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Conseil d’État : les soignants suspendus face à un mur

Le 29 décembre, le Conseil d’État a rejeté toutes les requêtes demandant l’annulation du principal décret d’application de la loi du 5 août 2021. Dans sa décision, il valide à la fois l’obligation vaccinale anti-Covid pour les soignants et le passe sanitaire. Analyse.

Soignants suspendus (Photo credit: Rue89 Strasbourg on VisualHunt)
Soignants suspendus (Photo credit: Rue89 Strasbourg on VisualHunt)

Il fallait le tenter, même si les chances de succès étaient minces. Après plus d’un an d’attente, le miracle n’a pas eu lieu. Le 29 décembre dernier, le Conseil d’État a rendu sa décision (PDF ci-dessous) sur un ensemble de douze requêtes déposées entre le 13 août et le 7 novembre 2021 par différents collectifs, associations et particuliers. Toutes demandaient l’annulation du décret n°2021-1059 du 7 août 2021 ou de certaines de ses dispositions relatives au passe sanitaire et à l’obligation vaccinale anti-Covid pour les personnels soignants et assimilés, ainsi que pour les militaires. Plus d’une centaine d’arguments ont été avancés par les uns et les autres. Tous retoqués.

Cette décision du Conseil d’État est forcément décevante pour tous les personnels suspendus qui sont sans rémunération (et sans autres ressources) depuis maintenant 16 longs mois. Il a cependant le mérite d’être clair : il n’y a rien à attendre des juridictions françaises, qui valident et justifient intégralement toutes les mesures gouvernementales prises pour la gestion de la crise sanitaire.

Dernier espoir : la Cour européenne des Droits de l’Homme

Néanmoins, comme l’explique Me David Guyon dans une vidéo postée sur You Tube, il fallait en passer par là et épuiser toutes les voies de recours nationales pour pouvoir enfin accéder à la Cour européenne des Droits de l’Homme. Les requérants qui le souhaitent ont désormais jusqu’au 29 avril 2023 pour la saisir.

On peut espérer que la juridiction européenne sera plus ouverte à leurs arguments que ne l’a été le Conseil d’État, dont les réponses apportées dans sa décision du 29 décembre montrent à quel point tout débat est impossible.

Prenons le temps d’en analyser quelques-unes, assez représentatives, du dialogue de sourds qui s’est instauré en France autour de la crise sanitaire et des vaccins.

La situation sanitaire était-elle grave ?

De nombreux requérants pointaient le fait que la situation sanitaire à l’été 2021 n’était pas aussi alarmante que ce que le gouvernement déclarait. L’obligation vaccinale pour les personnels soignants et assimilés, ainsi que l’extension du passe sanitaire dans différents établissements recevant du public, n’était donc pas justifiées selon eux. Réponse du Conseil d’État : « À la date des actes attaqués, l’épidémie de covid-19 était en cours d’aggravation rapide par l’effet d’un nouveau variant du virus […] beaucoup plus contagieux et qui, selon les avis scientifiques alors disponibles, présentait plus de risques de causer des formes graves de la maladie ». Et le Conseil d’énumérer plusieurs chiffres montrant les augmentations, à cette période, du taux d’incidence de la maladie, du nombre de nouvelles hospitalisations, du nombre d’admissions en soins critiques et du nombre de décès en établissement de santé.
Le problème est que l’on peut toujours débattre des chiffres, d’autant plus que le Conseil d’État ne cite pas ses sources. On ne sait donc pas si le nombre d’hospitalisations, d’admissions en soins critiques et de décès indiqués sont tous dus au Covid. Par ailleurs, le taux d’incidence n’indique pas le nombre de malades, mais le nombre de testés positifs pour 100 000 habitants, ce qui reste un critère épidémiologique très discutable.
Mais le Conseil estime qu’« eu égard au très large consensus scientifique sur la gravité de la situation », on ne peut pas dire « que les critères pris en compte auraient été insuffisamment définis, ni que le Gouvernement se serait fondé sur des données erronées ou des indicateurs non représentatifs ».

Les vaccins étaient-il efficaces contre la transmission ?

Cette question est cruciale, étant donné que l’obligation vaccinale pour les personnels soignants et assimilés ne reposait au fond (et ne repose toujours) que sur ce seul argument. De même pour l’extension du passe sanitaire. Rappelons en effet que le gouvernement a légitimé la mise en place de ces mesures en se fondant sur une étude scientifique mise en ligne le 28 juin 2021 sur le site de l’Institut Pasteur, selon laquelle les non vaccinés étaient 12 fois plus contagieux que les vaccinés. Rappelons également que cette étude a été dénoncée comme étant invérifiable et frauduleuse par le chercheur et mathématicien Vincent Pavan.
Que dit le Conseil d’État ? D’abord que, dans un contexte de flambée épidémique (selon lui avéré), « la préservation des personnes les plus exposées aux formes graves nécessitait non seulement une protection directe mais aussi un ralentissement de la propagation du virus […] que la couverture vaccinale, si elle était restée à son niveau alors constaté, ou sur sa tendance spontanée de progression, n’aurait pas pu freiner ».
Le Conseil d’État considère donc que le seul moyen d’enrayer l’épidémie était la vaccination, dont l’efficacité sur la transmission n’est ici (point 19 de sa décision) aucunement mise en doute, alors que plusieurs requérants affirmaient le contraire.
Mais un peu plus loin (point 21), le Conseil fait un aveu discret : « Il ressort des avis scientifiques alors disponibles […] que la vaccination […] réduit fortement les risques de transmission du virus, même si quelques incertitudes s’étaient fait jour sur ce second point ». Comment ?! Mais alors, si l’efficacité des vaccins sur la transmission n’était pas aussi certaine que cela à l’époque (ce qui est plus que prouvé aujourd’hui), pourquoi avoir tout misé sur cette unique solution jusqu’à la rendre obligatoire et passible de sanctions pour les soignants ? Pourquoi avoir imposé une mesure aux conséquences aussi importantes, pour ne pas dire dramatiques, sur le plan personnel et social si le moindre doute existait ? Et comment le Conseil d’État peut-il malgré tout valider la mesure ? C’est incompréhensible.

S’agissait-il de produits expérimentaux ?

De nombreux requérants ayant souligné le caractère expérimental des vaccins, le Conseil précise « que les vaccins contre la covid-19 administrés en France ont fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché de l’Agence européenne du médicament […]. L’administration d’un vaccin à la population sur le fondement d’une telle autorisation conditionnelle ne constitue, eu égard à sa nature et à ses finalités, ni une étude clinique, ni un essai clinique, ni l’administration d’un médicament expérimental […]. Il ne s’agit pas davantage d’une recherche impliquant la personne humaine ».
Circulez, y a rien à voir ! Une telle affirmation ne peut que laisser pantois quand on sait que les principaux vaccins administrés en France (ceux de Pfizer-BioNTech et Moderna) étaient toujours en phase 3 de leurs essais cliniques à l’été 2021. Que l’Agence européenne du médicament ait autorisé leur mise sur le marché conditionnelle ne change rien à l’affaire.

Les bénéfices étaient-ils supérieurs aux risques ?

Sur cette question comme sur les autres, le dialogue de sourds est patent : tandis que les requérants remettent en cause les données scientifiques officielles et apportent des chiffres et des observations provenant d’autres sources, les membres de la haute juridiction balayent tout d’un revers de manche en s’en tenant aux mêmes données officielles que celles sur lesquelles le gouvernement s’est appuyé pour prendre ses décisions. On tourne en rond !
Ainsi, alors que les requérants insistaient sur les nombreux effets indésirables graves (dont des décès) rapportés par la pharmacovigilance dans les six premiers mois de la campagne vaccinale, le Conseil d’État minimise le phénomène sans aucune donnée factuelle. « Il ressort des avis scientifiques alors disponibles […] que la vaccination offre une protection de l’ordre de 90 % contre les formes graves de la maladie […], tandis que les effets indésirables sont trop limités pour compenser ces bénéfices », écrit-il au point 21.
Toujours selon le Conseil, « le risque cardio-vasculaire était pris en compte ». Quant à la vaccination des femmes enceintes, il n’y voit rien à redire puisqu’elle était « préconisée ». Rappelons tout de même que d’ordinaire, tout vaccin est formellement déconseillé aux femmes enceintes, y compris les plus classiques. Enfin, le Conseil assure, toujours d’après les experts officiels, que « les personnes rétablies de la maladie ne bénéficient pas d’une immunité aussi durable que celle des personnes vaccinées ». Ce qui reste aujourd’hui encore à prouver…
Mais on comprend bien que le Conseil d’État n’est pas là pour établir ou rétablir la vérité scientifique, ni même pour émettre le moindre doute sur les avis et données officiels, ce qui est fort regrettable étant donné que toutes les mesures de contraintes sociales adoptées ne reposaient (et ne reposent toujours) que là-dessus.

Des traitements pouvaient-ils être une alternative à la vaccination ?

De la même façon, alors que de nombreuses requêtes affirmaient qu’il existait des traitements efficaces contre le Covid et que l’obligation vaccinale n’était donc pas justifiée, la réponse du Conseil est sans grande surprise : « Les arguments […] tirés de ce que des traitements avaient été autorisés ou auraient dû l’être ou auraient été en voie de l’être, ne sont pas suffisants pour remettre en cause l’utilité de la vaccination ». Sans plus d’arguments.

Les contre-indications sont-elles du ressort du médecin ou du Premier ministre ?

Autre point interpellant : le Conseil d’État valide (point 26) la mise à l’écart des médecins dans la libre appréciation des contre-indications à la vaccination. Une liste des contre-indications médicales reconnues existe, écrit-il, et celle-ci est régulièrement actualisée par le Premier ministre au fur et à mesure de l’évolution des connaissances médicales et scientifiques. Les médecins doivent s’y référer, point barre.
Autrement dit : le Premier ministre est devenu le Premier médecin de France et le seul dont la compétence soit reconnue en matière de contre-indications ! Renversant. De plus, cela délégitime complètement la médecine individuelle : on ne fait plus que de la médecine de masse, sans tenir compte des spécificités et des antécédents médicaux de chacun. Voici une affirmation qui devrait soulever un tollé dans le monde médical et tous nous inquiéter en tant que patients…

Le passe sanitaire était-il une obligation vaccinale déguisée ?

Oui, selon plusieurs requérants. L’exigence de présentation d’un passe sanitaire à l’entrée de certains établissements, notamment des établissements de santé, avait pour « but avoué de pousser la population à se faire vacciner », d’autant plus que les tests virologiques étaient mal accessibles et non remboursés.
Non, selon le Conseil d’État, qui estime pour sa part qu’il n’existait pas « de contraintes d’accès aux tests ». Et si l’assurance maladie a cessé de rembourser les tests par l’effet d’un arrêté ministériel du 14 octobre 2021, ceci est « sans incidence sur la légalité des actes attaqués, qui sont antérieurs ».
Apprécions la subtilité de ce judicieux décalage temporel qui permet de disculper le dispositif de toute intention de forcer à la vaccination…

Le passe sanitaire était-il disproportionné, liberticide et discriminatoire ?

Certainement pas, selon le Conseil, puisque ce dispositif « était édicté pour une période limitée » et « qu’il préservait l’accès aux biens et services de première nécessité et n’était applicable qu’à des lieux dans lesquels l’activité exercée présentait un risque particulier de diffusion du virus » et « que d’autres mesures, telles que le port du masque, n’auraient pas suffi à maitriser l’épidémie ». Par suite, le passe sanitaire ne portait pas atteinte aux libertés d’aller et venir, ni aux autres droits et libertés invoqués par les requérants (point 45) et ne créait « aucune rupture d’égalité ni aucune discrimination qui serait contraire notamment à la convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales » (point 46).

Le passe sanitaire empêchait-il une égalité d’accès aux soins ?

Selon plusieurs requérants, ce dispositif introduisait « une rupture d’égalité entre les patients en fonction de leur situation vaccinale et du comportement du chef d’établissement », « la définition des exceptions prévues pour certains patients » ouvrant « la voie à l’arbitraire ».
Faux, répond le Conseil d’État. « Les dérogations prévues, notamment en cas d’urgence, et la part d’appréciation confiée au chef de service ou à l’encadrement étaient définies avec une clarté suffisante. Il appartenait aux personnels concernés d’en faire application avec discernement et uniquement sur des critères sanitaires. Ainsi […], elles ne laissaient aucune place à l’incertitude ou à l’arbitraire ».
Quant au fait que « l’obligation de présenter un « passe sanitaire » à l’entrée d’un établissement de santé porte atteinte au principe de fraternité », le Conseil n’y répond pas, se réfugiant encore une fois derrière le fait que la situation sanitaire l’exigeait pour ne pas transmettre le virus aux personnes à risque prises en charge dans ces établissements.
On peut donc quand même en conclure que certains malades valaient plus que d’autres…

Autres points et questions restées sans réponse

Sans faire la liste exhaustive de tous les points qui ont été abordés dans la décision du Conseil d’État, on peut cependant noter que, selon lui, à aucun moment les dispositions prises n’ont été à l’encontre du secret médical ni de la protection des données personnelles. Il estime également qu’aucune mission de police administrative n’a été déléguée aux personnels privés qui se sont vus confier la vérification des passes sanitaires à l’entrée des lieux où il était exigé…

On peut regretter, en revanche, que plusieurs arguments soulevés par les requêtes soient restés sans réponse. Par exemple, le fait que les tests virologiques n’aient pas été imposés aux personnes vaccinées, alors qu’on savait qu’elles pouvaient être contagieuses. Pas un mot non plus du Conseil d’État sur la question du consentement libre et éclairé, en lien avec le principe de précaution et le droit à disposer de son corps.

Quid des suspensions sans rémunération ?

Mais la plus grande absente reste la question de la suspension sans rémunération des personnels non vaccinés. Comme plusieurs requérants l’ont souligné, « l’obligation [vaccinale] expose les personnels à des pressions illicites ; la suspension de la rémunération des personnels non vaccinés les mettra dans l’impossibilité de subvenir aux besoins de leurs familles alors que c’est une obligation en vertu de l’article 371-2 du code civil ».
Réponse du Conseil d’État ? Aucune. Nulle part dans sa décision ce point n’est abordé, alors que c’est la première fois en France qu’est prise une mesure aussi attentatoire au droit à subvenir à ses besoins les plus fondamentaux. Du jour au lendemain, des dizaines de milliers de travailleurs ont été mis hors circuit, sans rémunération et sans autre possibilité de ressources, et ce, pour une durée indéfinie. Et rien ! Silence radio. Le sujet est éludé comme s’il n’existait pas. On en reste abasourdi.

Pour le reste, comme on l’a vu, toutes les mesures étaient justes, proportionnées, non discriminatoires, non liberticides, tout à fait légales et parfaitement justifiées. Bref, tout va bien dans le meilleur des mondes…

Décision Conseil d’Etat – 29-12-2022

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