Guillaume Labrude, Université de Lorraine
L’été 2019 marque un triste anniversaire : les 50 ans du massacre de Cielo Drive qui, le 9 août 1969, a coûté la vie à l’actrice Sharon Tate, 26 ans et enceinte de 8 mois, ainsi qu’à Steve Parent, Wojciech Frykowski, Abigail Folger et Jay Sebring. Les bourreaux, de jeunes membres de La Famille, une secte basée dans le Spahn Ranch, étaient des adeptes de Charles Manson, un personnage devenu aujourd’hui iconique au sein de la pop culture. Décédé le 19 novembre 2017, l’ancien gourou s’est malgré lui illustré dans de nombreuses œuvres, que ce soit dans la série satirique South Park ou comme composante du nom de scène de Marilyn Manson.
Coïncidence ou volonté de marquer les esprits, deux productions audiovisuelles ont mis en scène le criminel en août 2019 : Once Upon a Time… in Hollywood, neuvième film de Quentin Tarantino sorti le 14 août, et le cinquième épisode de la seconde saison de la série Netflix Mindhunter, inspirée de l’ouvrage des agents Mark Olshaker et John E. Douglas, disponible depuis le 16 août. Plus célèbre encore que ses victimes pourtant intégrées au milieu du show-business, Charles Manson demeure une figure maléfique de la culture populaire.
Les promesses mansoniennes : capitaliser sur le mythe
Quel est le point commun entre Once Upon a Time… in Hollywood et la saison 2 de Mindhunter, en dehors de la présence d’un Charles Manson campé dans les deux œuvres par Damon Herriman ? Une campagne de communication basée sur le personnage.
Manson est visible dans les bandes-annonces du dernier film de Tarantino alors qu’il n’apparaît finalement que le temps d’une brève séquence dans le long métrage. Bien évidemment, l’aura de la Manson Family est présente tout du long et crée le suspense lié au climax.
À l’inverse, il n’apparaît pas dans la bande-annonce de Mindhunter saison 2 mais se trouve seulement mentionné deux fois tandis qu’une silhouette trop sombre pour être discernée se profile dans l’obscurité d’un couloir de prison. Il faudra patienter jusqu’au cinquième épisode, bien plus long que la plupart des autres opus de la saison, pour voir le gourou totalement divinisé par la mise en scène : champs/contre-champs entre les inspecteurs et l’entrée du réfectoire annonçant sa venue. Travelling arrière sur les deux agents du FBI et travelling avant sur le corridor : le petit homme se dessine aux côtés d’un gardien immense qui souligne un peu plus cette taille infime, disproportionnée vis-à-vis de son aura de manipulateur né.
Charles Manson, annoncé dès le premier épisode de la série en 2017, se juche comme à son habitude sur le dossier d’une chaise pour compenser sa petite stature et se met à faire le show. Tout est conforme et le jeu de Damon Herriman est saisissant de véracité, de la diction à la gestuelle en passant par le regard noir, les tatouages et le svastika scarifiée sur le front. L’essentiel de l’épisode est consacré à son œuvre macabre et sert d’écho aux turpitudes des personnages principaux.
Comme le souligne l’acteur australien Damon Herriman, ses deux interprétations ne font pas doublon : il incarne un Manson encore jeune dans le film de Tarantino, qui se déroule avant et pendant la fameuse nuit du 9 août, alors que dans Mindhunter, qui se passe à la fin des années 1970 et au début des années 1980, il l’incarne au plus haut de sa gloire morbide, avant la postérité. Jamais criminel n’aura été autant mis en avant par la télévision et le cinéma, si l’on met de côté les chefs d’État déviants. Pourtant, Charles Manson n’en est pas à ses premières incarnations. Malgré le regain d’intérêt pour Ted Bundy, qui demeure l’un des tueurs en série les plus tristement célèbres de l’Amérique du XXe siècle par le nombre de ses victimes, le chef de file de La Famille reste en tête de file au sein de la culture populaire.
Où est Charlie ?
En dehors de la culture Internet qui s’est approprié son image et ses mimiques dans de nombreux memes et de nombreux GIFs, ainsi qu’une quantité astronomique de produits dérivés le mettant en scène comme ces fameux T-shirts estampillés #jesuischarlie, sans compter la « murderabilia » qui désigne la collections d’artefacts liés à des criminels, Manson a pu voir son histoire et celle de ses adeptes relayée par plusieurs médias. De Nine Inch Nails à The Ramones en passant par Ozzy Osbourne, la culture rock n’en finit pas de citer le gourou qui en est devenu depuis l’un des personnages clés, une référence que chacun comprend lorsqu’il est question d’invoquer des arguments et des comparaisons extrêmes, au détour de quelques paroles.
À la télévision, qu’il soit présent en tant que personnage à part entière dans la septième saison d’American Horror Story ou simplement mentionné comme père biologique de l’un des personnages principaux dans Scream Queens, des mêmes auteurs, certaines œuvres audiovisuelles lui ont entièrement été consacrées. Aquarius, la série de John McNamara, met en scène un David Duchovny aux prises avec l’influence de sa secte tandis que la comédie musicale en stop motion Live Freaky ! Die Freaky ! de Joe Roecker retrace les tristes événements du 9 août 1969 en présentant Manson comme un illuminé chantant et Sharon Tate comme une personnalité abjecte et méprisante méritant plus ou moins son sort, ce qui provoqua bien évidemment l’ire des sœurs et de la mère de la défunte.
Au-delà des productions plus ou moins biographiques ou tout du moins inspirées de fait réels, le côté protéiforme de Manson se prête à de multiples usages dans la fiction. Tantôt parodique, dramatique, menaçant ou simplement mentionné pour situer une action dans son époque, Charles Manson a si bien infiltré la Pop Culture que son personnage, ou même le simple fait de le mentionner informe le récit et l’univers dans lequel il se situe. Citoyen de la ville fictive de South Park ou dépouille cryogénisée dans le Demolition Man de Marco Brambilla, Manson fait appel à l’imaginaire collectif.
Celui qui échoua à devenir chanteur folk et poursuivit une carrière criminelle est aujourd’hui au sommet de la notoriété : son simple nom renvoie à tout un univers dans lequel la culture pop semble pouvoir puiser à l’infini.
Guillaume Labrude, Doctorant en études culturelles, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.