France
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

La vitamine C, une molécule au double visage

Fabrice Collin, Université de Toulouse 3 Paul Sabatier

téléchargement.jpg orange
Orange de Chypre (Pixabay.com)

La vitamine C est connue pour ses propriétés antioxydantes, elle nous protège de l’attaque des radicaux libres. Mais ce n’est pas tout : dans certaines conditions, la vitamine C stimule la production de ces radicaux, créant elle-même l’ennemi contre lequel elle doit nous défendre. Au final, le mal l’emporte-t-il sur le bien ?

Tout le monde le sait : il faut manger des oranges, c’est plein de vitamine C (aussi appelée acide ascorbique ou ascorbate), un antioxydant qui nous protège de… de… de quoi déjà ? De l’armée de radicaux libres qui nous menacent d’oxydation et qui sont impliqués dans de nombreuses pathologies.

Le combat débute dans notre corps dès la première respiration. L’air inhalé produit des molécules intermédiaires, les espèces réactives de l’oxygène (en anglais ROS, pour reactive oxygen species), qui peuvent dégrader fortement la plupart des molécules présentes dans notre organisme.

Aussitôt, l’infanterie se mobilise. Des enzymes (protéines) sont chargées de neutraliser ces ennemis avant qu’ils ne fassent trop de dégâts : la superoxyde dismutase se charge de l’anion superoxyde (noté O₂•−), et la catalase (et la glutathion peroxydase) s’attaque au peroxyde d’hydrogène (H₂O₂), plus connu sous le nom d’« eau oxygénée ».

Reste la troisième espèce, le radical hydroxyle (noté HO). Il est particulièrement réactif et menace d’autres molécules constituant nos cellules (membranes cellulaires, ADN, protéines…) dont la dégradation peut déboucher in fine sur de nombreuses pathologies (cataracte, athérosclérose, cancer…). Contre lui, il nous faut de la vitamine C, considérée comme le meilleur antioxydant dans notre organisme, capable de réagir très vite avec la plupart des radicaux libres.

La vitamine C nous protège…

Mangeons des oranges donc, mais aussi du persil, des fruits ou des poivrons. Tous ces aliments contiennent de la vitamine C, assimilée par notre organisme. Une fois qu’elle a réagi avec les ROS, qu’elle a été oxydée, elle est en partie recyclée par l’organisme, et peut même repartir à l’assaut.

Solidaire aussi, elle apporte une aide précieuse à d’autres antioxydants exogènes (apportés par l’alimentation) nécessaires à notre santé. Par exemple, avec la vitamine E (ou « α-tocophérol »), contenue dans les poissons gras ou les fruits secs. C’est une molécule lipophile (elle a une affinité pour les graisses) qui protège plus spécifiquement les constituants cellulaires eux aussi lipophiles, comme les membranes des cellules. La vitamine C agit comme co-antioxydant en aidant la vitamine E à se régénérer après oxydation. Elle assure ainsi une très large protection, à la fois intracellulaire et extra cellulaire.

… et nous menace

L’une des autres propriétés de la vitamine C, moins connue, est sa capacité à participer à la production de ces espèces réactives de l’oxygène (ROS). Pour transformer docteur Jekyll en monsieur Hyde, il nous suffit d’un métal sous forme d’ion (le cuivre ou le fer par exemple) et d’oxygène.

Imaginez alors une course de relais dans laquelle le témoin est un électron : la vitamine C donne un électron au métal qui le donne à son tour à l’oxygène, générant ainsi l’anion superoxyde. Avec un ou deux électrons de plus, la vitamine C participe à la transformation de l’anion super-oxyde en peroxyde d’hydrogène ou en radical hydroxyle. Ainsi, elle est capable de produire les mêmes espèces qu’elle est chargée de combattre ! On parle alors de propriétés pro-oxydantes, c’est-à-dire qui favorisent l’oxydation. Alors, docteur Jekyll ou monsieur Hyde, qui l’emporte à la fin ?

Plus néfaste qu’utile ?

Dans un article récent, cette double compétence de la vitamine C a été étudiée in vitro dans le contexte de la maladie d’Alzheimer. Elle participe effectivement à la production d’espèces nocives pour notre santé, mais elle peut aussi assurer son rôle protecteur si elle est présente en concentration suffisante. Question de quantité, donc ? Pas uniquement. Tout dépend aussi des ions métalliques disponibles dans notre organisme pour catalyser la production de ROS.

Dans certaines pathologies telles que l’hémochromatose (surcharge de fer dans l’organisme), l’apport de vitamine C peut avoir un effet fortement délétère : plus d’ions métalliques et plus de vitamine C entraînent une augmentation de la production de ROS.

En somme, il nous faut beaucoup de vitamine C et peu d’ions métalliques pour un effet protecteur efficace. Mais le calcul s’avère complexe : les études montrant les propriétés pro- ou antioxydantes de la vitamine C sont très variables car elles dépendent du type de métal impliqué et des concentrations mises en jeu. Peut-on imaginer limiter les apports en ions métalliques dans notre alimentation pour réduire la production de ROS ? N’y pensez même pas, des ions métalliques tels de que le fer, le cuivre, le zinc ou le manganèse sont impliqués dans de très nombreux processus vitaux (transport de l’oxygène dans le sang, synthèse de l’ATP, défenses antioxydantes, métabolisme des glucides…).

Utile en étant néfaste !

Non, ne renoncez pas à votre orange si vite ! Car si docteur Jekyll se transforme en monsieur Hyde, l’inverse est aussi vrai. Dans certains cas, les ROS deviennent nos alliées. L’oxydation induite par la vitamine C menace les cellules saines comme les malades, elle peut provoquer sélectivement la mort de cellules cancéreuses (lignée cellulaire de cancer du côlon). La vitamine C peut aussi agir par bien d’autres mécanismes pour la réduction de tumeurs chimiorésistantes, et les chercheurs essayent actuellement de l’exploiter dans le traitement de certains cancers.

Comme dans l’Étrange cas du docteur Jekyll et de monsieur Hyde, il y a bien un monsieur Hyde dans la vitamine C. Mais il y a aussi beaucoup de docteurs Jekyll, tant les fonctions biologiques bénéfiques de cette molécule, découverte il y a plus de quatre-vingts ans, sont nombreuses. Les recherches actuelles tendent à mieux comprendre et peut-être un jour contrôler cette métamorphose. En attendant : mangeons des oranges !

The Conversation

Fabrice Collin, Enseignant-chercheur en chimie, Université de Toulouse 3 Paul Sabatier

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

France