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Trump menace les droits des femmes, aux États-Unis et dans le monde

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Janvier 2017 : marche des femmes à Washington.
Brian Allen/Wikipedia

Jennifer Merchant, Université Paris II Panthéon-Assas

L’idée selon laquelle les hommes et les femmes bénéficient du même traitement devant la loi aux Etats-Unis n’est pas tout à fait exacte. Alors que les droits des hommes sont protégés par un langage spécifique dans la Constitution, il en va autrement pour les femmes. Leurs droits constitutionnels sont garantis, certes, mais seulement au gré des décisions du Congrès, des assemblées législatives des Etats, et bien entendu des arrêts des Cours, qu’elles soient fédérales ou fédérées. Il s’agit donc d’une sorte de « bon vouloir » des institutions, assujetti au contexte politico-juridique qui est, lui, changeant et aléatoire, comme nous venons de le constater lors des élections de novembre 2016. The Conversation

Bill of Rights.
1st United States Congress/Wikipedia

Cela est notamment visible dans le domaine du « droit à l’intimité » (right to privacy). Ce droit non-explicite dans la Constitution a été néanmoins formulé tout au long du 20e siècle comme étant un droit constitutionnel contenu dans une certaine interprétation des Bill of Rights par les juges de la Cour suprême.

Depuis l’arrêt Roe v. Wade, en 1973, l’objectif et les actions principaux du mouvement « pro-vie » a été de faire renverser cet arrêt. Ses partisans ont ainsi milité et soutenu des candidats à la Présidence des Etats-Unis se disant fermement favorable à la nomination des juges « originalistes » (strict constructionists), autrement dit des juges qui interprètent la Constitution à la lettre et considèrent donc l’arrêt Roe v. Wade comme une aberration puisque la Constitution n’évoque point un droit constitutionnel à l’avortement.

Législations locales

Cependant, à chaque élection présidentielle, leurs efforts connurent échec après échec, au point que le mouvement a du changer de stratégie. Fini l’idée de viser la Cour suprême. Il valait mieux commencer par une action dite « grass-roots », impulser le changement en faisant jouer la base (bottom-up). Cette fois-ci, l’objectif était de faire légiférer au niveau local, au risque de se retrouver devant les tribunaux fédéraux pour violation du droit constitutionnel à l’intimité. L’idée était également la suivante : si le mouvement parvenait à faire promulguer un grand nombre de lois restreignant l’accès à l’avortement au niveau local, les protagonistes « pro-choix », seraient obligés de passer tout leur temps en procédures juridiques et de dépenser tout leur argent afin de préserver les pratiques d’avortement existants.

Cour Suprême de l’Etat du Missouri.
Americasroof/Wikimedia, CC BY-SA

Ce changement de stratégie va connaître un succès retentissant avec l’arrêt de la Cour suprême en 1989 – Webster v. Reproductive Services. il renvoyait aux Etats fédérés la possibilité de déterminer les critères d’accès à l’avortement. Presque immédiatement, cet arrêt de la plus haute cour a permis la promulgation de nombreuses lois à travers les États-Unis qui ont restreint de manière significative l’accès à l’avortement pour les femmes : le mouvement « pro-choix » les appelle les trap laws (targeted regulations of abortion providers ; trap signifiant « piège ») : régulations ciblées des médecins/cliniques pratiquant l’avortement.

À partir du moment où une forme de dévolution dans l’accès à l’avortement fut instaurée, les résultats allaient nécessairement varier selon la géographie juridique/administrative américaine. Ainsi, depuis 1989, les Etats ont promulgué des centaines de lois destinées à limiter l’accès des femmes à la contraception ou à l’interruption de grossesse. Selon une étude de 2013 du Guttmacher Institute, 59 % des femmes américaines habitent un Etat qui a promulgué une ou plusieurs lois réduisant de façon significative l’accès à l’interruption de grossesse. Ces lois varient dans leur contenu mais sont très efficaces. Les associations féministes et « pro-choix » consacrent la quasi-totalité de leur activité à porter plainte contre ses lois.

En quoi consistent les autres lois que les groupes « pro-choix » tentent, le plus souvent sans succès, de faire disqualifier par les tribunaux ? Quarante-six Etats autorisent tout médecin et/ou praticien médical de refuser de participer à une interruption de grossesse pour des raisons religieuses et/ou de morale personnelle. Quarante-trois Etats autorisent des hôpitaux et cliniques – publiques ou privés – à refuser de pratiquer ces mêmes actes pour les mêmes raisons si la direction en décide. Quatre Etats interdisent aux assureurs privés de financer le recours à l’interruption de grossesse, et onze Etats n’autorisent pas les assureurs publiques à financer les interruptions de grossesses pour leurs employées.

Fausses informations

Par ailleurs, de nombreux Etats obligent les médecins à transmettre des informations médicales douteuses selon lesquelles le recours à l’interruption de grossesse peut provoquer des cancers du sein ou de l’ovaire. De nouvelles évolutions dans ce dernier type de stratégie « pro-vie » concernent des lois promulguées dans certains Etats sur les échographies obligatoires. Vingt Etats obligent en effet les médecins qui pratiquent des interruptions de grossesse à procéder à toute une série d’échographies avant l’acte médical, et obligent également les femmes à regarder les images pendant l’échographie et à entendre des explications de la part du médecin sur le développement fœtal tout au long de l’examen.

Manifestation d’opposants à l’avortement.
Thomas Hawk/Flickr, CC BY-NC

La femme peut refuser, mais elle doit alors le faire en certifiant par écrit qu’elle a refusé de regarder les images et à entendre le battement du cœur du fœtus (le stéthoscope à ultrasons permet d’entendre le rythme cardiaque fœtal entre la 9e et la 13e semaine de gestation). Le même type de loi au Texas existe, à la différence que l’échographie n’est pas abdominale mais trans-vaginale ; en somme, les femmes doivent concéder à une forme de viol « technologique » si elles veulent avoir accès à une interruption de grossesse légale et sûre. Cette réalité glaçante rappelle le film roumain de Christian Mungui, Quatre mois, trois semaines, deux jours dans lequel, afin de bénéficier d’une interruption de grossesse pratiquée par un homme lugubre portant le nom effrayant de Monsieur « Bébé », deux jeunes adolescentes, dont l’une est enceinte de son petit ami, doivent coucher avec ce charlatan avant qu’il ne procède à l’acte.

Le rôle crucial de l’exécutif américain

Ainsi, particulièrement pour ce « droit à l’intimité » (right to privacy), les élections présidentielles sont cruciales. Interrogé en 2008 sur les questions judiciaires, le candidat républicain, John McCain, ne cachait pas son souhait de nommer aux trois niveaux de la magistrature fédérale des juges « originalistes » qui interpréteraient la Constitution à la lettre et seraient des défenseurs de la théorie de la « retenue judiciaire » (judicial restraint). Ils condamneraient bien évidemment par avance tout arrêt qui participerait à la construction juridique d’un droit fondamental.

Les défenseurs du droit des femmes à choisir de mettre fin à une grossesse non-désirée tremblaient. Il était fort probable que McCain en 2008 ou Romney en 2012 (qui rejoignait les positions de McCain dans ce domaine), s’ils avaient été élus, auraient œuvrés pour renverser la majorité de 5 contre 4 en faveur du maintien de Roe v. Wade : il suffisait d’une seule nomination à la Cour suprême qui remplacerait un juge « pro-choix ». Dans cette configuration, la Cour n’aurait pas prononcé l’illégalité du recours à l’avortement ; elle aurait simplement appliqué l’argumentation du cas Webster.

Le grand hall de la Cour Suprême.
Phil Roeder/Flickr, CC BY

Dans le cas hypothétique d’un renversement de Roe, la Cour aurait donné aux Etats l’entière liberté de décider si oui ou non ils acceptaient la pratique de l’avortement sur leur territoire. Dans ce cas de figure, une étude de l’association, The Center for Reproductive Law and Policy, montre que sur 50 états, 30 aboliraient la pratique au lendemain d’un tel arrêt de la Cour suprême, et ont déjà rédigé le projet de loi à cet effet.

Reconfiguration de la Cour suprême

Avec la mort en février 2016 du juge conservateur à la Cour suprême, Antonin Scalia, l’arrivée d’une Administration Trump permet une reconfiguration radicale de la Cour. Il faut se rappeler que cette Cour est actuellement à 5 en faveur du maintien de la jurisprudence de Roe v. Wade (Ginsburg, Sotomayor, Kagan, Breyer, et Kennedy) et 2 farouchement en faveur de son renversement (Thomas et Alito). Cela nous laisse avec le Président de la Cour suprême John Roberts (Chief Justice) qui certes se doit de mesurer l’impact politique des arrêts de la Cour suprême, mais qui par le passé n’a jamais rejoint la majorité dans une décision où l’argument « pro-choix » a prévalu.

Arrivé au pouvoir, Trump a promis de nommer un juge conservateur et « pro-vie » pour remplacer Scalia. Le Sénat à majorité républicaine approuvera certainement ; ce qui nous ramène au contexte d’avant la mort de Scalia – 5 juges en faveur du maintien de ce droit constitutionnel pour les femmes, et 4 contre. Il suffit d’une deuxième nomination de la part de Trump durant l’exercice de son mandat (deux juges en faveur du maintien de Roe v. Wade sont très âgés et/ou malade – Ruth Bader Ginsburg a 83 ans et Anthony Kennedy a 81 ans), et nous y voilà : 5 voix pour renverser Roe et redonner aux Etats la possibilité de légiférer ou pas, contre 4 opposées à ce renversement.

La situation qui émergerait constituerait un retour à la situation d’avant 1973, lorsque chaque Etat fédéré décidait d’autoriser ou non l’avortement. L’étude du Center for Reproductive Law and Policy indique que sur les 50 Etats américains, 21 seraient susceptibles d’interdire totalement le recours à l’avortement, et 9 autres d’en assujettir l’accès à des conditions très sévères.

La construction et l’établissement juridiques des droits fondamentaux des Américains s’inscrivent dans une tradition spécifique au fédéralisme qui passe le plus souvent par une interprétation de la constitutionnalité d’une loi a posteriori. Il suffit pour le comprendre de se pencher sur l’histoire des droits des Noirs, des femmes, des homosexuels, et même des fœtus, car une des forces du mouvement « pro-vie » se trouve dans son habileté à s’approprier les mêmes outils que leurs adversaires. La dynamique dans laquelle ces droits évoluent est complexe et parfois opaque, tant les pouvoirs s’enchevêtrent, se bousculent, se cognent. On se trouve dans bien des cas en présence d’un Etat immense, tutélaire, tentaculaire (…) aussi irrésistible qu’inefficace : irrésistiblement inefficace comme l’écrit Marie-France Toinet dans L’Etat américain, (dir. Noëlle Burgi, Fractures de l’Etat-Nation).

Or, parfois cette complexité est gage de protection des droits fondamentaux. Dans le cas présent, et depuis la prise de fonction de Donald J. Trump comme 45 ème Président des Etats-Unis, tout ce qui se met en place relève d’une simplicité effrayante – un Congrès à majorité républicaine « pro-vie » qui veut couper les subsides des programmes fédéraux qui assurent des soins de santé pour les hommes et les femmes pauvres ; contraception, mammographies, maladies sexuellement transmissible, cancers (Title X et Planned Parenthood).

Les droits des femmes impactées dans le monde

Le Dr. Rajiv Shah, administrateur de l’US Aid, visite un centre de secours en Haïti en 2010.
USAID/Flickr, CC BY-SA

Par ailleurs, le Président et le Sénat seront peut-être bientôt en mesure de transformer radicalement, et pour plusieurs générations, l’interprétation de la Constitution en une vision figée et conservatrice à travers les nouveaux juges qui seront mis en place. Sans oublier l’impact sur des millions de personnes à travers le monde, les filles et les femmes qui vont être impactées par l’arrêt des subsides pour les soins de santé distribuées par l’agence internationale USAID, sous prétexte que ces centres de soins fournissent des moyens de contraception et un recours à l’interruption de grossesse. En effet, le 23 janvier 2017, le Président Trump signait un ordre se suspension intégrale ces fonds. Cette politique date du Président Reagan et est connue sous le nom de Global Gag Rule. Comme l’indique la politologue et journalise, Jill Filipovic, « la présidence de Trump pourrait constituer une menace pour la vie des femmes américaines et celles à travers le monde ». Cette menace est désormais devenue réalité dès les premiers jours de l’Administration Trump.

Jennifer Merchant, Professeure à l’Université Panthéon-Assas Paris II et membre du Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques (CERSA), Université Paris II Panthéon-Assas

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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