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« Air Cocaïne » : l’ombre des services secrets?

Le procès en appel des deux pilotes d’Air Cocaïne s’ouvre aujourd’hui à Aix en Provence. Pascal Fauret et Bruno Odos, soupçonnés d’avoir aidé à transporter 700 kg de cocaïne à bord d’un Falcon 50, entre la République dominicaine et la France, ont été condamnés en première instance à 6 ans de prison.

Air Cocaïne : les dessous d’une mystification (éditions L’Archipel)
Christophe Naudin : Air Cocaïne : les dessous d’une mystification (éditions L’Archipel)

Dans un livre publié quasiment au même moment, Christophe Naudin, l’homme qui avait réussi à exfiltrer les deux hommes de République Dominicaine raconte ce qu’il a vécu. C’est lui qui a dirigé l’Opération. Même si de nombreuses zones d’ombre demeurent, on en sait un peu plus aujourd’hui. Révélations.

Le ton est vif, le récit haletant. Avec moult détails – sans oublier ici et là quelques pointes d’humour – Christophe Naudin embarque le lecteur dans des aventures plus que rocambolesques. Il révèle à peu près tout de cette mission qu’il a accepté de monter, diriger et mener à bien.
Spécialiste des faux papiers, pilote émérite lui-même et proche du milieu du renseignement, cet ancien de l’aéronavale est farouchement persuadé de l’innocence des deux pilotes. Lui qui, écrit-il « a grandi dans le credo de la récupération du soldat à l’ennemi » a accepté de les aider sans hésiter.

Nom de code : « Dîner à Paris »

C’est une vieille connaissance, Aymeric Chauprade, officier de marine, qui le contacte à l’été 2015 et lui en fait la proposition. Depuis, les deux hommes sont brouillés à mort.
A l’époque les deux pilotes, assignés à résidence en République dominicaine, viennent d’être lourdement condamnés à 20 ans de prison. Ils sont à bout. L’un d’eux évoque même la solution ultime : le suicide. Qui plus est, ils doivent être rejugés quelques mois plus tard et leur condamnation pourrait devenir définitive.
Pour Aymeric Chauprade, personnage atypique, géopolitologue, ancien député européen, élu sur la liste du Front National, c’est maintenant qu’il faut agir. Naudin n’y est pas opposé mais il pose une seule condition : obtenir de la bouche même d’Odos et Fauret un « ok » de principe. Un aller-retour le temps d’un week-end à Saint-Domingue le rassure sur la volonté des deux amis de fuir l’enfer dans lequel ils sont tombés.

Commence alors le montage proprement dit et les préparatifs. Dans le plus grand secret évidemment. Trois scénarii sont étudiés mais celui d’une « extraction » par la mer est retenue.

Homard et Langouste

Le nom de code de l’Opération est tout de suite trouvé : « Dîner à Paris ». Pour Naudin c’est « un nom qui ne devait rien au hasard car nous comptions bien nous retrouver autour d’une bonne table parisienne à la fin de tout cela. De ce nom ont découlé tous les codes adoptés pour l’opération en elle-même. » On croirait presque assister à une parodie d’OSS 117. Chaque participant se voit ainsi affublé d’une fonction accolée à une deuxième identité « culinaire ». Christophe Naudin, le maitre d’œuvre de l’opération se fait appeler « Chef de partie poisson », Chauprade « Chef de partie volaille », un certain Pierre Malinowski, ancien assistant parlementaire de Chauprade, russophile et proche de Marion Maréchal est reconnaissable à sa spécialité de « Saucier ».

D’autres comme « Gambas » et « Langoustine » viennent rejoindre l’équipe pour secourir les deux pilotes détenus, surnommés eux « Homard » et « Langouste ». Au total une vingtaine de personnes sont réquisitionnés. Des militaires, des pilotes ; des marins, des policiers français en active ou à la retraite.

Engagement politique

L’idée est simple : sous le prétexte d’une balade en mer, « Homard » et « Langouste » vont rejoindre un voilier qui les attendra dans les eaux internationales. A son bord Christophe Naudin récupèrera les deux hommes et naviguera ensuite jusqu’à Saint Martin. Une fois le bateau accosté, les pilotes accompagnés par Naudin gagneront l’Aéroport de Fort de France pour enfin embarquer à destination de Paris.
D’après Naudin, cette mission et ceux qui l’ont conduite devaient rester secrets pendant au moins 6 mois. Mais avant même qu’Odos et Fauret n’embarquent sur le vol de retour, la presse française est déjà au courant. Selon l’expert c’est par goût de la publicité et de la gloriole, qu’Aymeric Chauprade aurait alerté le journaliste Louis de Raguenel, l’un de ses contacts privilégiés à Valeurs Actuelles. Non seulement le pacte secret est rompu mais Chauprade aurait manqué à tous ses devoirs. Naudin lui demande de rester en république dominicaine pour continuer à endormir les autorités et faire « vivre » les caches des pilotes. Mais l’homme politique prend la poudre d’escampette deux jours avant la fin de la mission. Aymeric Chauprade n’a pas souhaité répondre à nos questions. Mais dans un communiqué publié samedi, Aymeric Chauprade (@a_chauprade) / Twitter il s’interroge et suspecte son chef de mission : « Naudin avait-il prévu de faire « porter le chapeau » aux acteurs qu’un engagement politique marqué allait inévitablement désigner comme des coupables parfaits ? »
Paranoïa ? Lucidité ? Chauprade n’en dira pas plus. Et c’est dommage.

L’hypothèse d’une deuxième équipe

Depuis le début de cette affaire, une ombre plane. Celle des services secrets français. Beaucoup d’interrogations restent en suspens. En contactant Christophe Naudin qui, lui, ne se cache plus sa proximité avec les services, l’ex-député était-il en mission commandée par le Renseignement français ? Quels sont ses liens avec la DGSE ? D’où viennent les 100 000 euros dépensés pour l’exfiltration ainsi que l’achat de matériel sophistiqué ? Des agents de la DGSE ont-ils participé à l’opération « Dîner à Paris » ?
Pour Christophe Naudin il apparait comme une évidence que non seulement les services français étaient au courant de l’opération mais qui plus est la couvrait, en accord avec les services Américains.
Par ailleurs, selon nos informations, il y aurait eu une deuxième équipe déployée pour mener à bien la même opération. Une pratique assez fréquente selon les spécialistes du Renseignement interrogés par nos soins. Qui l’a dirigé ? De qui était-elle composée ? Le mystère est entier. Ce que l’on sait c’est que des téléphones par satellite, des iridiums, avait été livrés aux pilotes bien avant leur ultime escapade. Christophe Naudin nous a affirmé ne pas en avoir été informé.
Et puis au fond pourquoi la DGSE s’intéressait elle tellement à ces deux pilotes ? Ce sont d’anciens militaires de l’Aero Navale. L’un d’entre eux, Bruno Odos, fut même habilité pour l’arme nucléaire. Enfin : pourquoi et comment se sont-ils retrouvés mêlés à cette affaire de stupéfiants ?

Retour vers l’enfer

Pour Christophe Naudin le retour des pilotes en France a signé le début de ses ennuis. Une fois passée la folie médiatique, il a pu reprendre une vie professionnelle à peu près normale. Mais c’était sans compter la rage des autorités dominicaines, vexées d’avoir été ainsi flouées et ridiculisées mondialement. Se sentant intouchable l’expert se remet à voyager. C’est en Égypte que sa vie va basculer. C’est là qu’il est arrêté en toute illégalité par des agents d’Interpol, puis après quelques semaines en prison, transféré manu militari et sans aucun respect des règles de droit international à Saint-Domingue. Là il est jeté en pâture à la population locale. Traité comme un grand criminel, voire comme l’« ennemi du peuple ».
Christophe Naudin se retrouve derrière les barreaux d’une prison de haute sécurité à une quarantaine de kilomètres de Saint-Domingue.

Rage et sentiment d’injustice

Nous avions pu constater ses conditions de détention au cours d’une visite de 2 jours. Promiscuité. Exiguïté. Violence. Insalubrité. Insécurité permanente. Ici les des détenus sont rabaissé au rang d’animaux maltraités. La corruption et l’argent font le reste. Comment a-t-il pu tenir dans ce lieu où le moindre regard de travers avec un codétenu peut vous couter la vie. Pour se rendre compte de cette détention « extrême » les premières pages d’« Air Cocaïne : les dessous d’une mystification (éditions L’Archipel) » sont indispensables.
Lui que les media courtisaient avant toute cette affaire tente de se reconstruire. De panser ses plaies moins physiques que morales. A l’abri des regards. Ces 18 mois de vie passés derrière les barreaux, abandonné par son pays sont dur à oublier. Et c’est bien ce qui caractérise ce livre : la rage et le sentiment d’injustice.
Christophe Naudin n’en démord pas. S’il fallait à nouveau exfiltrer ses amis, il le referait sans hésiter. Mais lui l’ancien militaire, patriote jusqu’au bout des doigts a du mal à accepter et encore moins à digérer le fait que la France l’ait lâché.

Air Cocaïne
Air Cocaïne
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