Le Mémorial de la Shoah annonce l’acquisition récente de cinq planches-contacts, soit 98 photographies. Ce reportage inédit détaille précisément chaque étape de la première arrestation massive des Juifs à Paris, le 14 mai 1941, il y a 80 ans, à l’initiative des autorités allemandes, par les forces de la Police française.
Le Mémorial de la Shoah a fait l’acquisition de 5 planches-contacts, retraçant les lieux de la rafle dite du « Billet vert » – le 14 mai 1941 – auprès de deux collectionneurs spécialisés. Ces planches acquises par le Mémorial, numérotées de 182 à 187 – la planche 185 est manquante -, représentent 98 photos.
Les cinq pellicules du photographe apportent une réalité bien différente des seules photos diffusées par la presse collaborationniste. Pour la première fois, les lieux de l’arrestation sont immortalisés sous plusieurs angles ainsi que les protagonistes de la rafle. Jusqu’alors déshumanisées par la propagande, voire totalement effacées des reportages, les familles des raflés sont représentées dans l’émotion des adieux, sous les yeux des curieux et des voisins.
Surtout, cette découverte, essentielle à l’histoire et au devoir de mémoire, permet de suivre le chemin parcouru par ces hommes raflés, de leur arrivée au gymnase Japy, lieu de la souricière, jusqu’à leur internement dans les camps du Loiret.
Ce que révèlent les photographies
Les 98 photographies, tirées en planches-contacts, permettent de suivre le déroulement de la rafle dans toutes ces étapes et dans le temps.
1. Les premières images montrent les protagonistes de la rafle à l’intérieur du gymnase Japy en discussion. Les deux commanditaires allemand et français sont parfaitement reconnaissables :
-Théodor Dannecker (1913-1945), représente Eichmann en France, et chef de la section IV J de la Gestapo, chargée de la question juive
-L’amiral François Bard (1889-1944), fraichement nommé préfet de Police de Paris
2. La série de photos de Japy : les hommes arrêtés sont parqués dans les gradins à l’étage. La première étape de la rafle a déjà eu lieu : les Juifs convoqués sont entrés dans la souricière. Ces photos inédites révèlent l’intérieur de Japy et les centaines d’hommes juifs entassés, ainsi que leurs accompagnateurs, souvent leurs épouses
3. L’extérieur de Japy : des hommes arrivent encore, portant leur convocation et sont reçus par les policiers à l’entrée du gymnase. Ils disent adieu à leur famille tandis qu’une file de femmes et d’enfants se crée. Ils attendent de remettre des vêtements à leur proches.
4. Le quartier est bouclé. Les voisins sont aux fenêtres. Les familles sont acculées au fond de la rue et attendent d’avoir des nouvelles de leur proche. Les visages sont angoissés et la police fait barrage, puis évacue la rue.
5. Les hommes de tous âges, arrêtés, sortent un par un, encadrés par les policiers et entrent, chargés de leurs paquets, dans des autobus garés juste devant l’entrée du gymnase, rue Japy
6. L’arrivée à la gare d’Austerlitz par l’arrière de la gare.
7. À Pithiviers, une vue inédite du hangar noir dont aucune image n’existait jusqu’à présent, durant l’internement des Juifs, qui sera ensuite le lieu de l’enregistrement des raflés du Vel d’Hiv et des déportations.
Première rafle de Juifs en France pendant la seconde guerre mondiale
La Rafle du « Billet Vert » constitue la première arrestation massive de Juifs à Paris, le mercredi 14 mai 1941. Ne se doutant de rien, ces hommes, principalement étrangers venant d’Europe de l’Est, sont convoqués le mercredi matin par la Préfecture de Police par un « billet vert », pour « examen de situation » et priés de se faire accompagner d’un parent ou ami.
Ces hommes, pour beaucoup des pères de famille, engagés volontaires au début de la guerre et ayant donc combattu pour la France, s’attendaient à un contrôle de leur situation. Fuyant l’antisémitisme et les persécutions de leur pays natal – Pologne, URSS, Roumanie, Tchécoslovaquie – pensant trouver refuge dans le pays des libertés, ils sont arrêtés avant tout parce que Juifs et étrangers. Plusieurs centres de convocation sont indiqués sur les « billets verts » : la caserne Napoléon (IVe), la caserne des Minimes (3e), 52 rue Edouard Pailleron (XIXe), 33 rue de la Grange-aux-belles (Xe) et le gymnase Japy (XIe) ainsi que d’autres centres dans les commissariats d’arrondissement et en banlieue parisienne.Pour le gymnase Japy, 1061 Juifs sont convoqués à 7h du matin ; 800 répondent à cette convocation. Lorsqu’ils arrivent, ils sont contrôlés et retenus à l’intérieur du gymnase. L’accompagnateur est chargé de se rendre au domicile de la personne arrêtée et de revenir avec une valise contenant des effets personnels. Ensuite, les 3700 Juifs arrêtés sont emmenés à la gare d’Austerlitz dans des autobus spéciaux, encadrés par des policiers français puis internés dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande (Loiret). Ils y resteront plus d’un an puis seront déportés directement au camp d’Auschwitz-Birkenau par les convois 4 du 25 juin 1942, 5 du 28 juin 1942 et 6 du 17 juillet 1942.
Lors de la Rafle du Vel d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942, c’est au tour des familles d’être arrêtées et détenues dans ces mêmes camps avant leur déportation au camp d’Auschwitz-Birkenau, entre juillet et septembre 1942.
Des photos de propagande
Dès l’Armistice, le 25 juin 1940, la presse est muselée en France par l’occupant allemand et la photographie de presse sous contrôle de censure. La Propaganda Kompanie (la PK), créée au sein de la Wehrmacht, est composée de photographes, de caméramans, de reporters radios et presse, équipés de matériel photographique très performant. Cette unité, directement sous le contrôle du ministre de la Propagande en Allemagne, Joseph Goebbels, est chargée de documenter en images la dimension historique d’une action militaire et de réaliser des reportages de propagande pour l’étranger, pour la presse et les agences de l’intérieur.
À DÉCOUVRIR
À partir du 14 mai 21
Gymnase Japy
Exposition en extérieur coorganisée avec la Mairie de Paris2, rue Japy – 75011 Paris
Dès la réouverture
Photos disponibles au Mémorial de la Shoah en salle de lecture17, rue Geoffroy l’Asnier – 75004 Paris
Prochainement – Été 2021 Mémorial de la Gare de Pithiviers (Loiret)Conférence sur la découverte le jeudi 20 mai 2021 à 19h30À suivre en direct du site internet du Mémorial, sur Facebook et Youtube.En présence de Serge Klarsfeld, historien, président de l’association des Fils et Filles des Déportés Juifs de France, Lior Lalieu-Smadja, responsable de la photothèque du Mémorial de la Shoah, et Liliane Rysfeld, témoin du départ de son père le 14 mai 1941.Animée par Ilsen About, chargé de recherche au CNRS, membre de l’IRIS, CNRS-EHESS.