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Covid-19 : Enquête autour d’un premier cluster pause-café

Durant la semaine du 22 au 28 mars 2021, un cluster s’est déclaré dans un garage du quartier des Quinze à Strasbourg. La reconstitution des événements avec le médecin du travail permet d’en savoir plus sur la transmission autour de la pause-café. Entretien avec Philippe Sculli, le patron de l’entreprise et le Dr Jean-Michel Wendling.

Philippe Sculli, vous êtes le dirigeant de l'établissement « le Garage des Quinze » situé dans un quartier résidentiel à Strasbourg
Philippe Sculli, dirigeant de l’établissement le Garage des Quinze situé dans un quartier résidentiel à Strasbourg

Comment est apparu le cluster ?

Philippe Sculli : Nous sommes une équipe de 10 collaborateurs positionnés sur 2 établissements. Le site principal compte 7 personnes dont les mécaniciens, un chef d’atelier, un administratif qui gèrent l’activité ; le second site est à 150 mètres et compte 3 personnes. En fin de semaine, le vendredi 19 mars, j’ai présenté une petite rhinite tout à fait banale. Le week-end qui a suivi, les courbatures et les manifestations grippales sont survenues et j’ai été testé positif au Covid le lundi suivant 22 mars.
Nous avons lancé les investigations auprès de toute l’équipe dans la semaine du 22 au 28 mars. Aucun des collaborateurs du site distant que je côtoie quotidiennement n’était concerné. Cependant, 2 de mes mécaniciens sur 4 du site principal ont été testés positifs. L’un est resté asymptomatique et l’autre a été malade durant 3 semaines…
3 personnes sur 7 ont donc été concernées.

Comment pensez-vous que le virus a pu circuler ?

P.S. : Nous travaillons dans un atelier bien ventilé, avec des portes sectionnelles toujours grandes ouvertes. Nous sommes vigilants sur les procédures avec port du masque lorsque nous sommes proches les uns des autres ou aux contacts des clients. Nous aérons les habitacles des véhicules, désinfectons les volants, ainsi que les clés des véhicules.

Transmission manu portée autour de la machine à café ?

Personnellement je ne prends pas mon repas sur place. Cependant, tous les jours, j’organise vers 10h un temps d’échange autour d’une pause-café et on mange des viennoiseries. Tout a dû se jouer à ce moment-là le vendredi où c’est moi qui ai acheté les petits pains. Il est vrai que la cafetière et les tasses sont dans un petit espace où chacun touche les surfaces sans forcément préalablement utiliser le gel hydroalcoolique avant. Les viennoiseries que j’ai pu manipuler alors que j’avais le nez qui coulait est aussi un vecteur possible. Des surfaces manu-partagées autour de la pause-café ont pu être souillées…

machine à café
Le moment d’une pause-café peut être propice à une contamination au Covid 19

Une transmission par les postillons ?

Autre option, les gouttelettes de salive lorsque l’on parle entre nous et que nous sommes plus proches, forcément sans le masque, et avec chacun nos tasses de café à la main. Je ne vois pas d’autre moment où il y a autant de proximité sur 10 à 15mn entre moi-même et cette partie de l’équipe.
Autre point, les 3 collègues du site distant font leur pause-café entre eux : je les vois et parle avec eux quotidiennement : aucun n’a été concerné sur cette période.

Quel retour d’expérience pour les autres entreprises ?

P.S. : Cet épisode, heureusement sans gravité, doit permettre aux autres entreprises de prendre conscience que ce temps de pause et de convivialité important pour la cohésion de l’équipe où des boissons et des aliments sont consommés est un moment où l’hygiène des mains doit être absolue. Depuis, les flacons de gel hydroalcoolique sont partout à la fois pour les clients qui entrent, touchent les surfaces, mais aussi autour du temps de pause et de repas. Maintenant une bonne partie de l’équipe est immunisée naturellement. Nous avons malgré tout encore plus à cœur d’assurer la sécurité pour nos clients avec des procédures renforcées d’hygiène autour de tout ce qui est touché avec les mains (volants, clés, tableau de bord, pommeau de vitesse, habitacle). Nos clients peuvent être rassurés.

Jean-Michel Wendling
Dr Jean-Michel Wendling, médecin du travail du garage des Quinze (DR)

Docteur Wendling, que pensez-vous de ce mode de contamination ?

J-M.W : Nous savons maintenant que les contaminations sont majoritairement centrées autour du repas et des restaurants grâce aux études COMCOR de l’Institut Pasteur, l’étude rétrospective du CDC et celle sur les soignants : ce sont les rencontres qui impliquent la consommation de boissons ou d’aliments partagés, que ce soit en intérieur ou en extérieur, qui favorisent très clairement la circulation du virus via possiblement certains supports manu-partagés et mis en bouche (tasses, couverts, verres, gobelets). Le masque étant enlevé lors de ces temps de convivialité, il est souhaitable de travailler sur l’hygiène des mains très perfectible en France selon l’enquête de l’IFOP fin 2020. Celle-ci peut largement s’améliorer autour de ce temps repas et pause-café : nous sommes convaincus que la gestion de l’épidémie, mieux maîtrisée dans les pays asiatiques qui ont les mêmes problématiques repas et échanges sociaux, repose en partie sur cette mesure efficace. De nombreux cas peuvent être évités sur ces temps critiques. La couverture vaccinale et l’immunité acquise par la rencontre du virus progressent, mais autant prévenir par tous les moyens disponibles. Nous ne savons pas bien aujourd’hui si les vaccins seront encore efficaces sur les variants qui arrivent demain.

Quel est votre avis sur la transmission du virus en milieu professionnel hospitalier ?

J-M.W : En milieu hospitalier, une attention considérable a été accordée aux mesures visant à prévenir la transmission du SARS-CoV-2 des patients infectés au personnel. Cependant, comme d’autres l’ont également identifié à l’échelle internationale, la transmission entre membres du personnel lors des pauses thé ou café, et lors des repas (+1620 %), est un facteur important d’infection des soignants. Etant donné que les personnes infectées peuvent être contagieuses mêmes peu symptomatiques ou vaccinées, les mesures de prévention lors du regroupement de personnel sont essentielles. Ces mesures doivent être particulièrement centrées sur les espaces de pause et autour des repas. L’hygiène des mains est très perfectible en milieu hospitalier quand on voit l’explosion des infections nosocomiales  avec 44 000 cas de COVID 19 nosocomial sur un an.

Quels sont les résultats du Réseau des Observateurs de l’Hygiène des Mains ?

J-M.W : En 2015, la France faisait partie des très mauvais élèves européens avec l’Espagne et l’Italie comme en témoigne cette carte sur la fréquence de lavage des mains en sortant des WC : intrigant. Seuls 62% des Français et 57% des Italiens prétendent se laver les mains en sortant des toilettes… Édifiant !

 Les données utilisées proviennent du site Internet de BVA (membre de WIN / Gallup International).
Les données utilisées proviennent du site Internet de BVA (membre de WIN / Gallup International).

Le Réseau des Observateurs de l’hygiène des mains (#ROHM) va prochainement rendre publique ses résultats sur les pratiques d’hygiène autour du repas et de la pause-café en entreprise. Pour rappel, les premières données montraient que 6 clients sur 10 qui entrent dans un commerce alimentaire ne se désinfectent pas les mains, ce qui est un indicateur plutôt inquiétant.

Rendez-vous après le 22 janvier pour les nouvelles données sur le sujet !

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