Monde
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

Pourquoi historiennes et historiens s’intéressent-ils à « Game of Thrones » ?

File 20190414 76840 ehofhb.jpg?ixlib=rb 1.1
Missandei, interprétée par Nathalie Emmanuel (Game of Thrones, HBO, 2011-).
thefanboyseo.com

Christian-Georges Schwentzel, Université de Lorraine

La série Game of Thrones (HBO, 2011-), tirée des romans de George R.R. Martin, n’est pas du tout une reconstitution historique du passé, mais une œuvre de fiction et de fantasy. Elle suscite pourtant un très vif intérêt de la part des historiennes et des historiens.

A quoi s’intéressent les historiens ?

Le magazine Historia (avril-juin 2019) vient de publier un hors-série dont le titre a, de prime abord, de quoi intriguer : « Game of Thrones, la série événement à la lumière de l’Histoire ». Le numéro est cosigné par une palette d’universitaires : deux spécialistes de littérature (ce qui n’a rien d’étonnant, puisque George R.R. Martin est un romancier) ; et douze chercheuses et chercheurs en histoire, offrant un assez large éventail, allant de la jeune post-doctorante au professeur émérite. On y trouve une majorité de médiévistes, mais aussi des spécialistes de l’Antiquité et de l’époque moderne.

Bien sûr, les historiens n’étudient pas seulement des textes écrits avant eux par d’autres historiens. Ils peuvent aussi se pencher sur des œuvres littéraires, des objets artistiques, des films… Dans ce sens, tout est historique, ou peut le devenir, dès lors qu’on l’aborde avec une certaine méthode et au travers de questionnements propres aux sciences humaines.

Il est ainsi possible d’étudier l’Iliade ou la Bible à la lumière de l’histoire, c’est-à-dire, par exemple, en tentant de faire la part entre ce qui s’est réellement passé, il y a trois mille ans, et ce qui a été inventé. L’historien y parvient notamment par la confrontation des sources. C’est ainsi qu’on a vu le développement d’une archéologie biblique ; ou encore de recherches sur l’Âge du bronze dans le monde égéen, initiées par Heinrich Schliemann, qui découvrit l’ancienne Troie, prouvant qu’il y avait bien un fond historique sous les récits épiques élaborés plus tard.

La Bible ou l’Iliade, qui ne sont pas des textes écrits dans une perspective historique, nous livrent donc de précieuses informations sur l’histoire des Hébreux ou des Grecs dans l’Antiquité.

Mais quel est l’intérêt historique de Game of Thrones ?

Par contre, Game of Thrones ne nous dit rien du passé, du moins pas de manière directe, puisqu’il s’agit d’une œuvre contemporaine. Le premier tome du Trône de fer (« A Song of Ice and Fire ») a été publié par George R.R. Martin en 1996 et le premier épisode de la série a été diffusé par HBO en 2011.

Autant dire qu’au regard de l’histoire de l’humanité, ces œuvres littéraires ou filmées sont extrêmement récentes : l’auteur de la saga, les réalisateurs de la série (David Benioff et Daniel Brett Weiss) ou encore les acteurs sont tous parfaitement connus et identifiés. Rien à voir avoir avec Homère ni avec les rédacteurs de la Bible.

Game of Thrones est une œuvre qui nous parle d’abord d’aujourd’hui : de « nous », lecteurs si nombreux qui au cours des dernières années avons lu les romans de George R.R. Martin et qui, encore plus nombreux, avons vu la série et en attendons la fin, avec une impatience grandissante, un peu partout sur notre planète.

Car Game of Thrones est un phénomène mondial, unique ou du moins premier en son genre (à n’en pas douter, d’autres œuvres prendront le relai). La série est de toute évidence la plus regardée de nos années 2010 ; elle a été diffusée dans plus de 170 pays, sans compter les visionnages illégaux, difficile à estimer précisément. Le trailer de la saison 8, dont la diffusion doit débuter en avril 2019, aurait été vu par quelque 80 millions de personnes en 24 heures à peine.

Ce succès traduit l’étonnante adéquation entre la série et les attentes d’un public international. Ce qui en fait assurément une source historique majeure pour les chercheuses et chercheurs qui s’intéressent ou s’intéresseront plus tard à notre époque.

Donald Trump examinant des prototypes de murs, San Diego, mars 2018.
Wikipédia

Que dit de nous Game of Thrones ?

Si la série Game of Thrones ne dit rien du Moyen Âge ni de l’Antiquité à proprement parler, elle nous révèle, en tout premier lieu, que les fantasmes humains n’ont guère changé depuis des siècles, voire des millénaires. Les thèmes qui nous fascinent sont toujours les mêmes, qu’on le veuille ou non : luttes pour le pouvoir, meurtres, complots, trahisons, prostitution, viol, inceste, torture…

À ces ingrédients, vieux comme l’humanité, s’ajoutent des thèmes en lien étroit avec les défis d’aujourd’hui. C’est pourquoi le succès de Game of Thrones dépasse largement le cercle des passionnés de fantasy. On y trouve des métaphores du dérèglement climatique et de la crise des migrants. Le long hiver menaçant l’humanité fait directement écho à des craintes liées aux changements du monde dans lequel nous vivons et à la peur de l’Autre. L’angoisse est matérialisée par le mur, édifié par Brandon Stark dit « le Bâtisseur » : une fortification de glace, longue d’environ 480 kilomètres et haute de plus de 200 mètres. De quoi faire pâlir d’envie Donald Trump dont le projet de séparation, bien réel, à la frontière mexicaine, oscille entre 5 et 9 mètres de haut. Une dimension tout de même importante d’un strict point de vue historique, puisque la muraille édifiée au IIe siècle par l’empereur romain Hadrien, qui inspira George R.R. Martin, atteint au mieux 4,60 mètres.




À lire aussi :
Trump aurait-il pu construire son mur au Moyen Âge ?


Rappelons que ni George R.R. Martin – qui imagina le Mur de Bandon, il y a plus de 20 ans déjà – ni les réalisateurs de la série ne pouvaient bien sûr prévoir l’élection de Donald Trump. Mais le livre et la série se révèlent d’une étonnante actualité, comme si, d’une certaine manière, c’était finalement l’histoire qui était en passe de rattraper la fiction. Game of Thrones parle de nous aujourd’hui et peut-être même de notre avenir.

Historia propose ainsi une comparaison entre les barrières de séparation depuis Hadrien jusqu’à celle de Trump (non encore construite), en passant par la muraille de Chine et le mur de Berlin. Rien qui soit susceptible de nous rassurer : en établissant un lien aussi direct, bien qu’il soit involontaire, entre l’Empire romain et les États-Unis, Game of Thrones donne (du moins jusqu’à la saison 7) le sentiment d’une humanité qui a décidément bien du mal à évoluer et dont l’avenir fait écho à son passé. Comme un serpent qui se mord la queue.

Yara Greyjoy interprétée par Gemma Whelan (Game of Thrones, HBO 2011-).
fandom



À lire aussi :
« Game of Thrones » au prisme de la théorie politique


Chercher les ressemblances : une activité pédagogique et ludique

De manière moins sombre, Game of Thrones offre aussi à tous les passionnés d’histoire un vaste terrain d’entraînement, constitué de deux immenses continents et doté d’une longue histoire fantaisiste ; car George R.R. Martin a non seulement créé des lieux et des personnages, mais aussi une chronologie qui voit se succéder les règnes, les invasions et les empires. Dès lors, il est tentant de chercher à identifier, sous la fiction, les nombreux emprunts qu’a pu faire l’auteur à l’histoire depuis l’Antiquité gréco-romaine jusqu’à, par exemple, la guerre des Deux-Roses qui, au XVe siècle, opposa les York aux Lancastre, comme les Stark aux Lannister.

Chercher les ressemblances entre les personnages de George R.R. Martin et des figures historiques bien réelles peut offrir aux enseignants et à leurs élèves ou étudiants une activité aussi passionnante que féconde. Game of Thrones est susceptible de servir de prétexte à l’étude de nombreux thèmes historiques. Missandei est une porte d’entrée qui permet d’aborder l’esclavage et l’affranchissement dans l’Antiquité. On pourra la comparer à la femme de Spartacus qui joua un rôle de conseillère auprès du célèbre chef des esclaves en révolte contre Rome, en 73-71 av. J.-C.

Les Fer-nés peuvent introduire un cours sur les Vikings ; d’autant plus que l’analyse, en 2017, d’un squelette retrouvé dans une nécropole à Birka, en Suède, vient de prouver que des femmes cheffes ont parfois commandé les peuples du Nord, il y a environ mille ans. A la lumière de cette découverte, Asha (ou Yara dans la série) Greyjoy en devient encore plus crédible.

Game of Thrones, ou une bien fantastique invitation à explorer de l’histoire…The Conversation

Christian-Georges Schwentzel, Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Monde