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Coronavirus chinois : « Il est encore trop tôt pour parler de pandémie »

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Trois premiers cas de coronavirus en France (capture Euronews)

Eric D’Ortenzio, Inserm

Annulation des festivités du Nouvel An chinois à Pékin, mise en quarantaine de plusieurs villes… À peine 15 jours après avoir annoncé la découverte d’un nouveau virus responsable de pneumonies sévères, les autorités chinoises prennent des mesures drastiques pour contenir l’épidémie, qui a déjà fait 26 victimes. Ces dispositions exceptionnelles sont-elles justifiées ?

Le point sur la situation avec Eric D’Ortenzio, médecin épidémiologiste, chercheur à l’Inserm et coordinateur scientifique du consortium REACTing, destiné à harmoniser les recherches pour faire face aux crises sanitaires dues aux maladies infectieuses émergentes.


On recense plus de 800 cas dʼinfection majoritairement en Chine, mais aussi dans une dizaine de pays d’Asie, ainsi qu’aux États-Unis et en France (avec trois cas confirmés vendredi soir). Peut-on déjà parler d’épidémie, voire de pandémie ?

Oui, on peut parler d’épidémie en Chine. Quand un nouveau virus est détecté sur un territoire, quelques cas suffisent à qualifier l’événement d’épidémie.

En revanche, il est encore trop tôt pour parler de pandémie, car pour cela il faudrait que les cas importés dans les autres pays diffusent, que les malades contaminent d’autres personnes. Cela ne s’est pas encore produit.

Que sait-on de ce nouveau virus et de sa provenance ?

Ce virus, baptisé 2019-nCoV, appartient à la famille des coronavirus, dans laquelle figurent aussi les virus du SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère) et du MERS (Middle East respiratory syndrome). Le virus de Wuhan n’avait cependant encore jamais été décrit.

Il s’agirait d’un « cousin » du SRAS, qui avait été responsable d’une épidémie au début des années 2000. Celle-ci s’était traduite par 774 décès.

Les premières analyses ont révélé que la séquence du matériel génétique (constitué d’ARN) du 2019-nCoV présente 60 à 70 % d’homologie avec celle du SRAS. Il est cependant encore trop tôt pour dire précisément en quoi les deux virus diffèrent.




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Quels symptômes provoque-t-il ? Que sait-on de sa virulence ?

Sans tirer de conclusions hâtives, on constate que sa symptomatologie est relativement classique. Elle évoque celle du SRAS et des coronavirus sévères : fièvre, toux, difficultés respiratoires…

Chez certains patients, l’infection demeure bénigne, mais d’autres vont développer des formes graves se traduisant par une détresse respiratoire et une pneumonie sévère. Les décès surviennent suite aux défaillances simultanées de plusieurs organes (reins…). Actuellement, sur 295 patients étudiés, la moyenne d’âge semble supérieure à 40 ans, et les personnes concernées seraient plutôt des hommes. Les décès constatés ont souvent concerné des personnes avec des pathologies sous-jacentes telles qu’hypertension, diabète, etc.

Les chiffres actuels indiquent que la mortalité de ce virus serait de 3 à 4 % (ndlr : estimation basée sur 17 victimes pour 547 cas officiels au 23 janvier). Par comparaison, le taux de létalité du SRAS était proche de 10 %, et celui de la grippe est de moins de 1 pour 1 000. Mais le taux de létalité du virus de Wuhan pourrait être amené à évoluer dans les jours à venir, en fonction de l’évolution de l’épidémie. C’est la raison pour laquelle le comité d’experts de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ne s’est pas encore prononcé sur la pertinence de déclarer la situation comme urgente.

On manque encore de données sur la sévérité et la transmissibilité du virus, or ce sont des questions cruciales. Il faut être vigilant, mais inutile de déclencher une panique sans raison.

La conférence de presse de l’OMS du mercredi 22 janvier consacrée au virus de Wuhan.

En parlant de transmission, d’où vient ce virus ?

Les coronavirus sont des virus zoonotiques, c’est-à-dire que leurs réservoirs naturels sont des animaux. La chauve-souris est souvent un réservoir naturel pour les coronavirus : elle les héberge dans son organisme, mais ne tombe pas malade. On ne connaît pas encore le réservoir du virus 2019-nCoV (ndlr : celui-ci partagerait un ancêtre commun avec le coronavirus du SRAS, ancêtre qui ressemble à un coronavirus de chauvesouris, HK9-1). Le passage à l’être humain se fait généralement via un autre animal, que l’on appelle un hôte intermédiaire. Pour le SRAS, ce rôle a été joué par la civette masquée (ou civette palmiste à masque, Paguma larvata) un petit mammifère consommé en Chine. Dans le cas du MERS, il s’agissait du dromadaire.

L’être humain se contamine au contact de cet hôte intermédiaire : dans le cas présent, on a découvert que sur le marché de Wuhan, la ville d’où est partie l’épidémie, des animaux vivants étaient vendus, voire tués sur place (notamment à nouveau la civette masquée, mais aussi des rongeurs, des serpents…). Les chercheurs mènent actuellement des analyses pour déterminer si certains de ces animaux contiennent des coronavirus. Si c’est le cas, ils les séquenceront pour les comparer avec ceux qui ont été trouvés chez les humains. Identifier le réservoir naturel est plus compliqué que trouver l’hôte intermédiaire, cela demande davantage d’investigations.

Pour que le virus puisse passer de son réservoir naturel à un nouvel hôte, il faut que son matériel génétique subisse un certain nombre de modifications. Il en est de même pour qu’il passe de cet hôte intermédiaire à l’être humain. Si le virus acquiert la capacité à se propager directement d’humain à humain, une chaine de transmission peut se mettre en place. C’est donc l’accumulation de plusieurs événements qui mène à une épidémie.

Comment le 2019-nCoV se transmet-il ?

Le virus de Wuhan se transmet entre humains, c’est une certitude : des personnels soignants qui avaient pris en charge des patients sont à leur tour tombés malades, alors qu’ils n’avaient pas visité le marché d’où est partie l’épidémie. Ce qu’on ne sait pas c’est à quel point le virus est transmissible. Faut-il un contact très rapproché, ce qui limiterait les risques ? Ou au contraire la transmission se fait-elle facilement ? Cette donnée est fondamentale pour analyser l’évolution de l’épidémie et sa propagation. Actuellement, entre 80 et 100 cas sont officiellement déclarés par jour.

Au niveau des paramètres qui influencent la transmission figurent l’infectiosité du virus, la charge virale (le nombre de virus) qu’on va trouver dans les sécrétions (postillons…), la survie du virus dans l’environnement (reste-t-il infectieux s’il est déposé sur une poignée de porte, un lavabo…) ainsi que la vulnérabilité de la personne infectée : nous ne sommes pas tous égaux face à l’infection.

En outre, les coronavirus mutent assez fréquemment. À chaque réplication, le virus subit de petites modifications. Celles-ci ne sont pas assez importantes pour provoquer une différence dans la symptomatologie ou la transmissibilité, mais leur accumulation peut faire qu’à un moment donné, le virus se retrouve mieux adapté à l’être humain, ce qui peut se traduire par une transmission facilitée.

Enfin, de nombreuses inconnues demeurent encore, telles que la période d’incubation. Plusieurs chiffres ont été cités, initialement on la pensait de 14 jours, puis on l’a ramenée à 7 jours. Il est trop tôt pour se prononcer, elle se situe peut-être entre les deux.

Comment se protéger ? Les masques sont-ils efficaces ?

Oui, en empêchant la projection de postillons, les masques constituent une barrière efficace. Concernant les autres mesures : il faut se laver les mains régulièrement, et se signaler aux autorités sanitaires en cas de doute. L’isolement des malades et la recherche active des personnes avec lesquels ils ont pu être en contact, pour les tester et les faire suivre médicalement, constitue aussi une mesure importante. Pour l’instant, il n’existe pas de traitement antiviral. Des discussions sont en cours pour mettre en place des essais afin de déterminer quelles molécules pourraient être efficaces.

C’est une avancée par rapport aux autres épidémies : désormais on est capable de mettre en place de la recherche sur traitement ou sur vaccins en cours d’épidémie. Il ne s’agit pas seulement de progrès techniques, mais aussi d’une prise de conscience de la communauté scientifique, qui a tiré les leçons des flambées d’Ebola en Afrique de l’Ouest. On a compris que la recherche doit se mettre en place en temps réel, durant l’épidémie. C’est ce que nous faisons à l’Inserm, avec REACTing.

En matière de vaccin, la proximité avec le SRAS et le MERS pourrait permettre d’utiliser les recherches menées sur ces deux virus. Il semblerait par exemple que soit évaluée la possibilité de relocaliser un vaccin contre le MERS en cours de développement.

Les autorités chinoises ont mis en quarantaine non seulement Wuhan, ville de 10 millions d’habitants, mais aussi certaines cités voisines (le nombre de personnes confinées atteindrait 40 millions). Que penser de cette mesure ?

Il s’agit d’une mesure très forte, assez inhabituelle. On peut imaginer que cela peut avoir un impact sur la propagation du virus, puisqu’on va limiter les déplacements des personnes. En coupant les transports, on va réduire la transmission dans le pays et à l’étranger. Cependant, il est difficile de dire si c’est une bonne mesure, car il peut y avoir des effets pervers, notamment en raison de ce que cela peut provoquer chez les habitants : stress, mouvements de panique… Si par le passé, dans certains endroits, des quarantaines ou des cordons sanitaires ont déjà été mis en place (notamment pour contenir la peste), c’est probablement la première fois que des dispositions de cette ampleur sont prises.

En matière de gestion de crise, comment se passe la coopération internationale ?

La Chine a des experts scientifiques de haut niveau, des laboratoires sécurisés… Il n’y a pas de problème à ce niveau. C’est la communication et le partage d’information qui pourraient pêcher. Néanmoins, contrairement à ce qui s’était passé lors de l’épidémie liée au SRAS, où des informations avaient été retenues, sur cet événement la séquence des événements a été plus rapide.

L’information concernant les premières pneumonies a été rendue publique fin décembre, et le 7 janvier les autorités chinoises annonçaient déjà l’identification d’un nouveau coronavirus, tout en partageant les séquences du matériel génétique. C’est impressionnant.

Concernant le nombre de cas, c’est plus compliqué. Des experts ont rapidement produit des modélisations de l’épidémie évaluant à 1500 voire 2000 le nombre d’infections, soit largement plus que les 500 ou 600 cas déclarés par les autorités chinoises. Mais obtenir un décompte précis n’est pas facile : il faut mettre en place une surveillance active, rechercher les malades, etc.

L’OMS a insisté sur l’importance de poursuivre dans la voie de la transparence, notamment concernant l’échange des données. Au sein de l’institution, il existe désormais un groupe recherche sur les épidémies qui réunit de nombreux experts afin de réfléchir aux modélisations, aux essais cliniques, etc.

Et en France, comment se prépare-t-on ?

Quand une épidémie se déclare, notre volonté est de réunir très rapidement les chercheurs français afin de déterminer quelles sont les recherches à lancer en priorité.

En ce moment, nous avons des discussions sur les modélisations mathématiques nécessaires pour évaluer et anticiper la progression éventuelle du virus en France, en prenant en compte le trafic aérien notamment. Nous sommes en contact étroit avec les ministères de la Recherche et de la Santé.

Et dès que les autorités chinoises auront partagé des échantillons du virus, nous allons nous lancer dans l’identification des cibles thérapeutiques potentielles.The Conversation

Eric D’Ortenzio, Docteur en médecine, spécialiste en santé publique, épidemiologiste, Inserm

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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