Point-de-vue. « Il n’y a aucune urgence à toucher aux droits des salariés, sinon pour faire de curieux transferts entre l’État et la Sécurité sociale » affirme l’ancien secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert. Explications.
Par Christian Eckert
La réforme des retraites revient dans l’actualité. Le Président se prévaut d’avoir reçu, par son élection, un blanc-seing pour conduire une réforme.
Il oublie de rappeler le flou et les revirements qu’il a lui-même opérés sur ce dossier (âge de départ fluctuant, retraite par points et système « universel » …).
Plus grave encore, il a radicalement changé son discours : il répétait avec ses affidés que la réforme s’imposait pour que survivent les retraites. Contredit par les faits et les projections, il brode aujourd’hui sur un nouveau thème : reculer l’âge de la retraite serait la seule façon de permettre la hausse des budgets de l’éducation, de la sécurité, de la transition énergétique… C’est nouveau : rogner les dépenses sociales financerait le budget de l’État en diminuant les impôts la plupart du temps au bénéfice des plus aisés (ISF, flat-tax, CVAE des grosses entreprises, fin de taxe d’habitation…).
« Un autre dessein »
Il est vrai qu’un bon indicateur est la part de la richesse nationale (PIB) consacrée aux retraites. Elle était de 13.8% en 2021. Avec une croissance similaire à celle des dernières années, après une petite hausse éphémère, elle descendrait mécaniquement dans la durée, même en l’absence de réforme !
Le Conseil d’Orientation de Retraites (COR) en fait le constat ainsi que le montre le graphique reproduit ci-dessous (4 simulations pour 4 hypothèses de croissance) :
Il n’y a donc aucune urgence à toucher aux droits des salariés sinon pour faire de curieux transferts entre l’État et la Sécurité sociale.
Le timing qui pourrait se décider en introduisant un amendement dans le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) ne s’impose donc pas, d’autant que ce projet cache à mon sens un autre dessein, tout aussi grave : Tout projet de loi gouvernemental doit faire l’objet d’un avis du Conseil d’État et d’une étude d’impact. On se souvient que le pitoyable projet de réforme dit « Delevoye », abandonné au prétexte de COVID, avait fait l’objet de réserves d’une rare sévérité, soulignant entre-autres l’indigence de l’étude d’impact.
Adoptée avec le 49-3 ?
Il se trouve que les amendements du gouvernement, pas plus que ceux des parlementaires, ne sont soumis à l’obligation de l’étude d’impact et d’avis du Conseil d’État. Si le Gouvernement choisissait de procéder par amendement, on aurait donc une réforme non concertée, faute de temps, sans avis de la plus haute juridiction du pays, ne donnant pas d’informations complètes sur ses effets, qui plus est sans doute adoptée grâce au 49-3.
Saisi sur cette procédure baroque, le Conseil Constitutionnel pourrait-il considérer que le gouvernement abuse du droit d’amendement et y voir un détournement de procédure ? On peut malheureusement en douter au vu des précédents arrêts de cette autorité.
Il ne restera comme ultime voie de recours que celle d’un nouveau mouvement populaire…
Pour éviter toute méprise et toute accusation d’immobilisme, je reconnais le besoin de se pencher sur certains aspects du système actuel :
- Même si le niveau moyen des retraites d’aujourd’hui reste à un niveau correct, il existe des situations insupportables pour les plus « petites » retraites. Ce niveau plancher doit être relevé, quitte à prendre quelques dispositions sur les retraites élevées ou sur le plafonnement des cotisations des hauts revenus.
- Les simulations « à règles constantes » montrent que le niveau moyen des retraites pourrait baisser. C’est sans doute par les cotisations que l’on pourrait éviter cela, en veillant à ce que les exonérations de cotisation décidées par l’État soient compensées, ce qui ne se fait plus depuis le passage de Monsieur Darmanin au Ministère des comptes publics.
- Le taux de réversion au conjoint des pensions des personnes décédées est très inégal suivant les régimes (de 0 à 100%, soumis au pas à plafonnement…). L’existence de régimes particuliers peut se discuter en fonction de l’histoire, de la nature des professions, de la pénibilité du travail ou de la particularité des carrières. Mais la problématique du « conjoint survivant » est la même pour tous. Une harmonisation progressive sur une situation médiane me parait souhaitable.
La complexité du sujet des retraites est très grande, sa sensibilité sur la vie de nos concitoyens l’est aussi ! Comment un gouvernement se targuant d’écoute et de concertation pourrait-il prétendre traiter la question avec les travers décrits plus haut ? Que l’on ne s’étonne plus du rejet du « politique » et des votes « défouloirs » si, entre autres, grâce aux moyens modernes, on ne pratique pas sur un tel dossier la pédagogie, la transparence et le choix démocratique. Avec volonté certes, mais avec respect et humilité aussi.