Marie Dégremont, Sciences Po – USPC
Si les propositions économiques et sociales du candidat de la droite ont fait l’objet de nombreux débats et commentaires, sa politique environnementale a, elle, été peu évoquée au cours de la campagne des primaires. Qu’attendre du programme de François Fillon sur ces sujets ?
Dans ses propositions, ces questions sont essentiellement abordées au travers des problématiques du changement climatique et de la transition énergétique. On y trouve des marqueurs de l’alternance proposée par la droite et des éléments de continuité avec les politiques amorcées sous la présidence de François Hollande.
Réformer le marché européen du carbone
François Fillon insiste sur l’urgence à lutter contre le changement climatique. Dans ce cadre, il mise sur la sortie des énergies fossiles au profit d’énergies « décarbonées » – le nucléaire et les renouvelables.
Il inscrit cette démarche dans une perspective européenne, en souhaitant réformer le marché européen du carbone pour y ajouter un prix plancher du CO2 et ainsi accroître la compétitivité des sources d’énergie décarbonées. Car, aujourd’hui, le coût associé aux émissions de gaz à effet de serre est trop faible pour inciter les entreprises à se tourner vers des sources d’énergie moins émettrices. Les centrales à charbon, énergie fossile la plus polluante, sont les plus rentables au vu du faible coût des combustibles.
Le marché du carbone européen concerne plusieurs secteurs fortement émetteurs : producteurs d’électricité, raffinage, cimenteries… et couvre ainsi 45 % des émissions européennes de gaz à effet de serre.
Dans son programme, le candidat souhaite fixer le prix minimal du CO2 à 30 euros par tonne émise. Une étude de l’Ademe et de RTE, publiée au printemps 2016, analyse l’impact du prix du CO2 sur le système électrique européen, responsable de plus de 38 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne.
Selon cette étude, un prix du CO2 de 30 euros par tonne permettrait une diminution des émissions du secteur électrique de 15 % (à 100 euros, la réduction serait de 30 %). Serait-ce suffisant pour rendre le charbon moins compétitif au regard d’autres sources d’énergie moins polluantes ? Toujours selon la même étude, un prix du CO2 de 50 euros par tonne est nécessaire pour que les centrales à gaz (une énergie deux fois moins émettrice de gaz à effet de serre) à fort rendement évincent les centrales à charbon à rendement élevé.
Et pour que ces centrales à gaz soient plus rentables que les centrales à charbon à rendement faible, le prix doit être de 22,5 euros la tonne. La proposition de François Fillon se trouve donc entre les deux. Le nucléaire français, qui n’émet pas de gaz à effet de serre lors de l’exploitation, devient alors plus compétitif.
Rappelons qu’en avril 2016, François Hollande avait lancé l’idée d’un prix plancher du carbone, annoncé à 30 euros par Ségolène Royal quelques semaines plus tard. Elle n’a toutefois pas été concrétisée.
Cependant, cela ne dit rien des 55 % d’émissions non couvertes par le marché du carbone. En France, pour les secteurs restants, la taxe carbone – appelée « contribution climat énergie » (CCE) – pénalise les énergies fossiles en fonction de leur niveau d’émissions. Elle a été fixée à 22 euros par tonne de CO2 pour 2016 et 30,5 euros en 2017. Pour les années suivantes, la loi de transition énergétique donne un objectif de 56 euros en 2020 et de 100 euros en 2030. François Fillon pourrait donc s’inscrire dans la continuité de ces mesures.
Renforcer le nucléaire
Ces choix accompagnent une politique énergétique pour laquelle François Fillon énonce trois objectifs : indépendance énergétique, compétitivité et limitation des émissions de CO2.
Cette politique renforce le rôle du nucléaire : pour cette filière, le député de Paris préconise la prolongation de la durée d’exploitation des réacteurs à 60 ans, en fonction des décisions de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). La centrale de Fessenheim devrait alors rester opérationnelle, contrairement à ce qui a été prévu par le gouvernement Hollande suite à l’accord avec les écologistes.
L’ancien premier ministre fait du nucléaire un enjeu symbolique de l’alternance. La filière constitue l’un des éléments clés de son programme industriel. Il affirme vouloir soutenir la recherche et le développement dans le nucléaire de quatrième génération ; le fonctionnement de ce type de réacteur pourrait permettre de « fermer » le cycle du combustible par un recyclage des déchets des réacteurs actuels, et dont le surgénérateur Superphénix était l’un des démonstrateurs. Il promet également de poursuivre le soutien à la recherche et le développement des réacteurs à faible et moyenne puissance.
Nucléaire et renouvelables complémentaires
François Fillon affirme également vouloir soutenir les filières liées aux réseaux intelligents et au stockage d’énergie pour faciliter l’intégration des énergies renouvelables aux réseaux ; il s’inscrit ainsi dans la continuité des gouvernements précédents. Il insiste dans ce cadre sur la complémentarité entre le nucléaire et les énergies renouvelables, son programme précisant « qu’il ne faut pas opposer les énergies les unes aux autres ».
Un discours que l’on retrouve régulièrement… chez Ségolène Royal.
Le soutien à la recherche et au développement dans le domaine du captage et du stockage de carbone complète ces propositions d’engagement vers un renouveau industriel.
On constate donc, malgré la volonté de marquer sa différence sur le sujet du nucléaire, une relative continuité avec les politiques énergétiques menées lors des quinquennats précédents.
Des politiques énergétiques décentralisées
Quelques nuances du même ordre s’observent dans le domaine des énergies renouvelables. François Fillon affirme vouloir désengager fortement l’État de ce soutien, avec la suppression de l’obligation d’achat de l’énergie produite.
Une voie dans laquelle avait commencé à avancer le gouvernement dans le cadre de la loi de transition énergétique de 2015. Il est également favorable au recours aux appels d’offres pour les grandes unités de production. Notons qu’il accède dans ce cadre à une revendication des régions, qu’il souhaite associer à ces appels d’offres, jusqu’alors organisés par l’État. Au regard de l’impact budgétaire de ces opérations, on peut toutefois se demander si les régions pourront s’y lancer. Mais ce serait là un moyen puissant pour initier des politiques énergétiques décentralisées.
François Fillon propose enfin de valoriser l’auto-consommation… prolongeant ainsi la démarche engagée par le gouvernement.
OGM, gaz de schiste, principe de responsabilité…
Le programme environnemental de François Fillon détaille encore des mesures dans le domaine des bâtiments, des déchets, de l’eau, des transports et des marchés de l’énergie. On regrettera l’absence de mesures visant à réduire l’impact carbone de l’agriculture, qui représente 18,2 % des émissions de gaz à effet de serre de la France.
On retiendra donc dans ce programme des éléments de continuité avec les gouvernements précédents, mais aussi des symboles politiques visant à marquer un projet d’alternance. Parmi ces marqueurs politiques, on soulignera qu’au cours de la campagne, François Fillon s’est prononcé en faveur de la recherche sur les organismes génétiquement modifiés, de l’exploration des ressources françaises en gaz de schiste, et le remplacement du principe de précaution – qui impose l’encadrement d’activités dont les impacts environnementaux sont méconnus ou potentiellement négatifs – par le principe de responsabilité (assimilé à la notion de « pollueur-payeur »).
Marie Dégremont, Chercheur en sciences politiques au Centre de sociologie des organisations, Sciences Po – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.