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Le mythe du « made in France »

Jean-Christophe Hauguel, École de Management de Normandie

made-in-france
« Made in France » série documentaire de Public Sénat qui veut répondre à la question : « Peut-on encore produire en France ? » Public Sénat/Vimeo

Alors que la campagne présidentielle française monte en puissance, de nombreux candidats de tous bords positionnent le « made in France » comme un moyen important de relancer la croissance et l’emploi. Si Arnaud Montebourg, ancien ministre du Redressement productif et candidat proclamé apparaît comme le chantre du modèle, d’autres insistent aussi sur les avantages du consommer « français ».

La société civile n’est pas en reste et des sites comme madine-france.com proposent un annuaire des achats « made in France » à destination du consommateur et revendique 3000 visiteurs par jour. Quant au Salon MIF Expo à Paris du 18 au 20 novembre 2016, il fête sa 5e édition et il est soutenu par de nombreux partenaires institutionnels apportant leur caution au concept.

Des emplois français ?

Outre la dimension politique voire symbolique du « MIF » dont on peut percevoir la portée aux frontières du populisme, le raisonnement économique sous-jacent et implicite est de considérer qu’un produit fabriqué en France fait appel à des emplois français. L’ensemble entraînant un cercle vertueux selon lequel production et travail sollicités « localement » soutiennent la croissance nationale et permettent de lutter contre le chômage. À l’opposé, un produit « made in USA, Germany ou China » serait lui improductif en France et non générateur d’emplois.

Ainsi il serait préférable d’acheter par exemple des voitures françaises (Renault ou Peugeot) plutôt que des voitures allemandes (Volkswagen) ou américaines (Ford) si on veut être un bon citoyen économique français.

En dépit de l’apparente simplicité du message, force est de constater que ce raisonnement est sans fondement en terme de sciences économiques. Il est dommage pourtant que tout se passe comme si on l’ignorait… En réalité, économie et nationalité ont des contours très complexes et très flous rendant leur identification tout simplement inopérante. Plusieurs éléments permettent de le démontrer comme nous allons le voir.

Complexité des processus de production

Un produit considéré comme fabriqué en France est le résultat d’une multitude d’opérations de production faisant appel à des consommations intermédiaires telles que des matières premières, des produits semi-finis, des outils, des machines, des fluides, des liquides, etc. Chacune des composantes de ce processus peut venir de pays très différents. Le consommateur final, ne voit pas ce processus de production.

Renault Laguna « assemblée » à Sandouville.
Wikipedia, CC BY

On lui « vend » par exemple d’acheter français une voiture tout droit sortie des usines de Poissy ou de Sandouville. Or, si l’assemblage final est bien réalisé physiquement en ces lieux, le moteur, la carrosserie, les pneus, le pare-brise, les joints viennent d’ailleurs, souvent de l’étranger. Le fabricant du moteur a lui-même assemblé un carburateur, des soupapes, des filtres qui viennent eux-mêmes de plusieurs pays. Le fabricant du carburateur a lui-même assemblé une cuve, une pompe, des vis venant de divers endroits, etc.

Pour poursuivre dans cet exemple du secteur automobile, on peut dérouler le raisonnement en se demandant si une Toyota de Valenciennes est moins « française » qu’une Renault de Pologne. Que dire d’une Ford « made in Detroit » et sous-traitant de nombreuses pièces à Faurecia, Valeo, Michelin ou Plastic Omnium, grands équipementiers français ?

Ce qui est vrai pour l’automobile l’est pour toute forme de production à des degrés de complexité plus ou moins divers, mais systématiquement. Un pur produit du terroir comme le vin symbole absolu du savoir-faire français n’échappe pas à la règle. Du liège du bouchon en passant par le papier de l’étiquette, du bois du fût, du verre de la bouteille et jusqu’aux outils et machines de récoltes, le processus est global avant d’être purement local.

Production, distribution et consommation

Un autre argument de cette difficulté à identifier la nationalité dans l’économie réside dans la confusion entretenue entre production, distribution et consommation. La perception habituelle est de considérer la production, au sens de fabriquer un produit, comme l’acte noble, complexe quand sa distribution (sa vente) est considérée comme un acte pauvre, mercantile et simple. Produire français et vendre en France c’est bien mais produire à l’étranger et vendre en France ce serait bien moins bien. Cette vision oublie encore le Ba-ba du fonctionnement de l’économie.

La sacro-sainte « croissance » n’est pas le fruit de la production mais de la valeur ajoutée. Et seule la valeur ajoutée est source de la croissance. En d’autres termes plus l’écart entre le prix de vente et le coût de production est élevé et plus il y a de croissance donc de dynamisme économique donc d’emplois. Produire en France pour 100 et vendre en France pour 110 est moins générateur de PIB et d’emplois que produire à l’étranger pour 50 et vendre en France pour 150.

Faut-il également rappeler que vendre c’est produire puisque de nombreux emplois et autre valeur ajoutée de l’économie contemporaine sont tournés vers les métiers de la vente, de la distribution, du commerce, du marketing… Pas seulement chez les grands distributeurs ou l’agro-alimentaire ; les industries créatives et tous les services aux entreprises ou aux particuliers ont des commerciaux, des vendeurs, des communicants, des marketeurs.

Même l’industrie n’est pas « épargnée ». Ce rapport de l’Insee en 2015 souligne que la moitié des emplois directs de l’industrie manufacturière sont des emplois de service… Encore une fois : produire n’a aucune valeur en terme de croissance si on ne vend pas…

Si la vente est bien une activité productive en tant que telle, n’oublions pas non plus que transporter, gardienner, nettoyer, conseiller, programmer, maintenir sont des activités parfaitement productives et bien souvent non délocalisables par nature. À titre d’illustration, L’Insee estime que sur les 25,8 millions d’actifs que compte la France, 75,8 % sont des emplois occupés dans le tertiaire.

C’est donc bien là que se joue la capacité de notre économie à gagner la bataille de l’emploi et de la croissance. Les « sold in France », « served in France » ou « designed in France » devraient être tout autant populaires que le « made »…

Nationalité d’une entreprise et réalité de son activité économique

Une dernière source d’étonnement de l’économiste face au « Made in France » concerne la nationalité même des entreprises. Le critère universel retenu est l’adresse du siège social. Les champions du CAC40 ont bien tous leur siège en France, source évidemment de croissance, de richesses et d’emploi pour notre pays. Pour autant, l’activité économique de ces entreprises est loin, très loin même d’être française.

Par exemple, pour le groupe Total, un des champions des champions du CAC, les chiffres clés de l’entreprise dévoilent que sur les 100 307 collaborateurs du groupe, 67,8 % ne sont pas des Français, seulement 27,9 % du capital est détenu par des actionnaires français ou encore 22 % du chiffre d’affaires est réalisé en France.

Le champion du monde, Apple, symbole lui du « made in USA » réalise selon son dernier rapport annuel 35 % de son CA dans son pays d’origine et donc 65 % en dehors. Cela est bien entendu le plus visible dans les multinationales mais les PME surfent sur les mêmes tendances. Fournisseurs, clients, actionnaires, collaborateurs : qui peut prétendre fonctionner avec des acteurs 100 % nationaux de nos jours ?

« Ici c’est Paris », mais le PSG est largement un club multinational.
Psgmag.net/Flickr, CC BY

Au final c’est peut-être dans la métaphore d’une équipe de football de haut niveau qu’il faut regarder ce qu’est l’économie d’aujourd’hui. Manchester United, le Real Madrid ou le PSG clubs made in « England », « Spain » ou « France » sont des clubs historiques, fondés sur des valeurs locales fortes, faisant rêver des milliers de supporters locaux et soutenant l’économie locale.

Mais pour être compétitifs dans leur domaine, ils composent des équipes de joueurs multiculturels, entraînés par des « étrangers », soutenus par des équipementiers, des investisseurs et des sponsors internationaux, entretenant des réseaux de millions de supporters dans le monde entier. À méditer pour « jouer » avec le mythe du « made in France » plutôt que de l’ériger en idéologie contre-productive…

The Conversation

Jean-Christophe Hauguel, Directeur Général Adjoint – Docteur en économie, École de Management de Normandie

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Le mythe du « made in France »

Jean-Christophe Hauguel, École de Management de Normandie

Alors que la campagne présidentielle française monte en puissance, de nombreux candidats de tous bords positionnent le « made in France » comme un moyen important de relancer la croissance et l’emploi. Si Arnaud Montebourg, ancien ministre du Redressement productif et candidat proclamé apparaît comme le chantre du modèle, d’autres insistent aussi sur les avantages du consommer « français ».

La société civile n’est pas en reste et des sites comme madine-france.com proposent un annuaire des achats « made in France » à destination du consommateur et revendique 3000 visiteurs par jour. Quant au Salon MIF Expo à Paris du 18 au 20 novembre 2016, il fête sa 5e édition et il est soutenu par de nombreux partenaires institutionnels apportant leur caution au concept.

Des emplois français ?

Outre la dimension politique voire symbolique du « MIF » dont on peut percevoir la portée aux frontières du populisme, le raisonnement économique sous-jacent et implicite est de considérer qu’un produit fabriqué en France fait appel à des emplois français. L’ensemble entraînant un cercle vertueux selon lequel production et travail sollicités « localement » soutiennent la croissance nationale et permettent de lutter contre le chômage. À l’opposé, un produit « made in USA, Germany ou China » serait lui improductif en France et non générateur d’emplois.

Ainsi il serait préférable d’acheter par exemple des voitures françaises (Renault ou Peugeot) plutôt que des voitures allemandes (Volkswagen) ou américaines (Ford) si on veut être un bon citoyen économique français.

En dépit de l’apparente simplicité du message, force est de constater que ce raisonnement est sans fondement en terme de sciences économiques. Il est dommage pourtant que tout se passe comme si on l’ignorait… En réalité, économie et nationalité ont des contours très complexes et très flous rendant leur identification tout simplement inopérante. Plusieurs éléments permettent de le démontrer comme nous allons le voir.

Complexité des processus de production

Un produit considéré comme fabriqué en France est le résultat d’une multitude d’opérations de production faisant appel à des consommations intermédiaires telles que des matières premières, des produits semi-finis, des outils, des machines, des fluides, des liquides, etc. Chacune des composantes de ce processus peut venir de pays très différents. Le consommateur final, ne voit pas ce processus de production.

Renault Laguna « assemblée » à Sandouville.
Wikipedia, CC BY

On lui « vend » par exemple d’acheter français une voiture tout droit sortie des usines de Poissy ou de Sandouville. Or, si l’assemblage final est bien réalisé physiquement en ces lieux, le moteur, la carrosserie, les pneus, le pare-brise, les joints viennent d’ailleurs, souvent de l’étranger. Le fabricant du moteur a lui-même assemblé un carburateur, des soupapes, des filtres qui viennent eux-mêmes de plusieurs pays. Le fabricant du carburateur a lui-même assemblé une cuve, une pompe, des vis venant de divers endroits, etc.

Pour poursuivre dans cet exemple du secteur automobile, on peut dérouler le raisonnement en se demandant si une Toyota de Valenciennes est moins « française » qu’une Renault de Pologne. Que dire d’une Ford « made in Detroit » et sous-traitant de nombreuses pièces à Faurecia, Valeo, Michelin ou Plastic Omnium, grands équipementiers français ?

Ce qui est vrai pour l’automobile l’est pour toute forme de production à des degrés de complexité plus ou moins divers, mais systématiquement. Un pur produit du terroir comme le vin symbole absolu du savoir-faire français n’échappe pas à la règle. Du liège du bouchon en passant par le papier de l’étiquette, du bois du fût, du verre de la bouteille et jusqu’aux outils et machines de récoltes, le processus est global avant d’être purement local.

Production, distribution et consommation

Un autre argument de cette difficulté à identifier la nationalité dans l’économie réside dans la confusion entretenue entre production, distribution et consommation. La perception habituelle est de considérer la production, au sens de fabriquer un produit, comme l’acte noble, complexe quand sa distribution (sa vente) est considérée comme un acte pauvre, mercantile et simple. Produire français et vendre en France c’est bien mais produire à l’étranger et vendre en France ce serait bien moins bien. Cette vision oublie encore le Ba-ba du fonctionnement de l’économie.

La sacro-sainte « croissance » n’est pas le fruit de la production mais de la valeur ajoutée. Et seule la valeur ajoutée est source de la croissance. En d’autres termes plus l’écart entre le prix de vente et le coût de production est élevé et plus il y a de croissance donc de dynamisme économique donc d’emplois. Produire en France pour 100 et vendre en France pour 110 est moins générateur de PIB et d’emplois que produire à l’étranger pour 50 et vendre en France pour 150.

Faut-il également rappeler que vendre c’est produire puisque de nombreux emplois et autre valeur ajoutée de l’économie contemporaine sont tournés vers les métiers de la vente, de la distribution, du commerce, du marketing… Pas seulement chez les grands distributeurs ou l’agro-alimentaire ; les industries créatives et tous les services aux entreprises ou aux particuliers ont des commerciaux, des vendeurs, des communicants, des marketeurs.

Même l’industrie n’est pas « épargnée ». Ce rapport de l’Insee en 2015 souligne que la moitié des emplois directs de l’industrie manufacturière sont des emplois de service… Encore une fois : produire n’a aucune valeur en terme de croissance si on ne vend pas…

Si la vente est bien une activité productive en tant que telle, n’oublions pas non plus que transporter, gardienner, nettoyer, conseiller, programmer, maintenir sont des activités parfaitement productives et bien souvent non délocalisables par nature. À titre d’illustration, L’Insee estime que sur les 25,8 millions d’actifs que compte la France, 75,8 % sont des emplois occupés dans le tertiaire.

C’est donc bien là que se joue la capacité de notre économie à gagner la bataille de l’emploi et de la croissance. Les « sold in France », « served in France » ou « designed in France » devraient être tout autant populaires que le « made »…

Nationalité d’une entreprise et réalité de son activité économique

Une dernière source d’étonnement de l’économiste face au « Made in France » concerne la nationalité même des entreprises. Le critère universel retenu est l’adresse du siège social. Les champions du CAC40 ont bien tous leur siège en France, source évidemment de croissance, de richesses et d’emploi pour notre pays. Pour autant, l’activité économique de ces entreprises est loin, très loin même d’être française.

Par exemple, pour le groupe Total, un des champions des champions du CAC, les chiffres clés de l’entreprise dévoilent que sur les 100 307 collaborateurs du groupe, 67,8 % ne sont pas des Français, seulement 27,9 % du capital est détenu par des actionnaires français ou encore 22 % du chiffre d’affaires est réalisé en France.

Le champion du monde, Apple, symbole lui du « made in USA » réalise selon son dernier rapport annuel 35 % de son CA dans son pays d’origine et donc 65 % en dehors. Cela est bien entendu le plus visible dans les multinationales mais les PME surfent sur les mêmes tendances. Fournisseurs, clients, actionnaires, collaborateurs : qui peut prétendre fonctionner avec des acteurs 100 % nationaux de nos jours ?

« Ici c’est Paris », mais le PSG est largement un club multinational.
Psgmag.net/Flickr, CC BY

Au final c’est peut-être dans la métaphore d’une équipe de football de haut niveau qu’il faut regarder ce qu’est l’économie d’aujourd’hui. Manchester United, le Real Madrid ou le PSG clubs made in « England », « Spain » ou « France » sont des clubs historiques, fondés sur des valeurs locales fortes, faisant rêver des milliers de supporters locaux et soutenant l’économie locale.

Mais pour être compétitifs dans leur domaine, ils composent des équipes de joueurs multiculturels, entraînés par des « étrangers », soutenus par des équipementiers, des investisseurs et des sponsors internationaux, entretenant des réseaux de millions de supporters dans le monde entier. À méditer pour « jouer » avec le mythe du « made in France » plutôt que de l’ériger en idéologie contre-productive…

The Conversation

Jean-Christophe Hauguel, Directeur Général Adjoint – Docteur en économie, École de Management de Normandie

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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