Geetha Ganapathy-Doré, Université Paris 13 – USPC
La démocratie va de pair avec un sens de responsabilité et un souci de transparence. Tout élu doit rendre des comptes à son public. Ce devoir est d’autant plus attendu et exigé en temps de crise par une population anxieuse. L’expression non-verbale (expression du visage, gestes) compte tout autant que ce qui est dit.
On se souvient du visage hébété de George Bush quand il avait appris les attentats du 11 septembre. Il l’avait expliqué comme une tentative de projeter le calme pour ne pas perturber les enfants devant lesquels il se trouvait, même si sa réaction à son for intérieur était de la colère.
Quand un pays en est crise sécuritaire, secoué par des attentats terroristes à plusieurs reprises, le chef de cet État peut-il tout dire, par média interposé, à propos des mesures qu’il va prendre pour combattre le terrorisme à l’extérieur et l’intérieur du pays pour assurer la sécurité de la nation ?
Bilan politique annuel
Le projet ou le bilan annuel fait par des responsables politiques qui rythment la vie politique de la Grande-Bretagne ou des États-Unis prennent une forme de discours solennel – le discours du trône, préparé par le Premier ministre et lu par la reine devant les deux chambres réunies au royaume uni ou discours sur l’état de la nation (préparé avec l’aide du rédacteur des discours) prononcé par le président devant le congrès aux États-Unis. Il n’y a pas de droit de réponse.
En France, cet exercice de bilan politique est moins solennel car il prend une forme médiatique (Nicolas Sarkozy avait suspendu la tradition entre 2008 et 2012 ; François Hollande l’avait reprise pour délivrer un message à la nation, la plume du président français est Guillaume Bachelay) et plus dialogique, le président répondant aux questions des journalistes assis autour de la même table.
Cette mise à l’épreuve médiatique de l’action politique est immédiatement commentée par les responsables aussi bien de la majorité que de l’opposition. La comparaison de cet exercice faite avec le « grand oral » des concours de la fonction publique donne l’idée de la légitimité républicaine et du poids politique dont revêtent les paroles du dirigeant.
À la veille du 14 juillet 2016, la communication du président de la République a été parasitée par plusieurs événements : les manifestations contre la loi travail rejetée par une partie de sa propre formation politique, le Brexit, le meeting d’Emmanuel Macron à la mutualité, la tribune de François Fillon dans Le Figaro fustigeant la politique étrangère de la France et le rapport rendu par la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme. Elle avait pointé du doigt la faille du système des renseignements. Le jugement du tribunal administratif de Nîmes avait d’ailleurs enfoncé le clou en rendant l’état en partie responsable de la mort du soldat Abel Chennouf.
Un pays qui gagne, un président à la hauteur
C’est dans ce contexte que François Hollande devait défendre son bilan afin de se positionner en tant que candidat crédible de la gauche lors des élections présidentielles de 2017. Tout au long de l’interview à l’Élysée, le président donnait l’impression qu’il était plus détendu et plus sûr de lui-même au bout de quatre ans d’exercice du mandat présidentiel.
Il avait pris une posture de celui qui n’a pas baissé les bras devant les difficultés de tout ordre et a égrené les résultats obtenus : la France est un grand pays. Elle a su se redresser et retrouver la croissance, le COP 21 et l’Euro ont eu lieu sans incident. Après le Tour de France, l’état d’urgence allait être levé le 26 juillet (suite à la tuerie de Nice, l’état d’urgence a été prolongé de trois mois) assurait-il, mais avec le système de Vigipirate maintenu à son maximum et le dispositif sentinelle graduellement allégé. En revanche, le système de renseignements allait être renforcé.
Le lion contre le moucheron, la fable de la politique de sécurité
Dans la mesure où le président de la République avait désigné le camp adverse comme l’ennemi de la démocratie, il devait conforter ceux qui, en France, au nom des droits de l’homme, protestent contre le prolongement de l’état d’urgence. Mais la maison France est fragile, avait-il prévenu.
Pour renforcer l’image de la France qui émerge plus forte de ses épreuves, il avait décidé que l’attitude de la France à l’égard des terroristes qui ont pour base la Syrie et l’Iraq serait celle d’une « plus grande fermeté ». Il avait signalé la présence des conseillers militaires français pour appuyer les Irakiens pour la prise de Mossoul tout en précisant qu’il n’y aura pas d’opération au sol. En passant, il avait utilisé le vocabulaire militaire de frappe : frapper fort l’état islamique qui commence à fléchir et à se retirer.
Dire moins, agir plus, privilégier la communication latérale
Les journaux français rapportant les propos de François Hollande ne se sont pas attardés sur cette séquence, préférant faire du buzz autour de la place d’Emmanuel Macron dans le gouvernement ou le salaire du coiffeur de François Hollande à l’Élysée.
C’est oublier ce que visent les terroristes : un rôle central dans le théâtre politique du monde. Le 14 juillet étant le jour de la fête nationale, on pouvait anticiper qu’ils essaieraient de trouver une brèche pour gâcher la fête. Le caractère d’« irruption » de leur acte est conforme à leur modus operandi. La chronologie des attentats de Bruxelles et au Bangladesh montrent qu’il n’y a pas de répit dans la violence. Disloquer la temporalité des sociétés établies à travers la destruction des biens et des personnes semble être la tactique principale des terroristes pour se faire voir et entendre.
On ne peut pas faire abstraction de l’ennemi même quand on s’adresse à un public national dans sa langue maternelle. Parler au peuple français sachant que l’adversaire invisible et protéiforme de la nation, qui occupe en plus le terrain médiatique à travers la propagande djihadiste, écoute ce qui se dit plus attentivement que les concitoyens demande de la vigilance et de la prudence. Toute trace de triomphalisme serait aperçue par l’adversaire comme une humiliation et une provocation. La lutte contre le terrorisme n’est pas comparable à une compétition sportive. Les buts atteints, aussi impressionnants soient-ils, ne signifient pas toujours une victoire acquise.
Malheureusement, le public, les responsables politiques de tous bords et les journalistes ne veulent pas accepter que dans ces circonstances, il vaut mieux laisser les responsables politiques se taire et agir sans attendre qu’ils soient omniprésents dans les médias pour des commentaires à chaud afin de créer une proximité avec les personnes traumatisées. Pour que ce devoir de réserve – qui concerne tout le monde en temps de crise – soit accepté, il faut qu’il y ait un pacte de confiance liant le président avec le peuple. François Hollande a essayé de créer les conditions de ce pacte en utilisant la métaphore simple et intime de la maison. La polysémie du terme (demeure, foyer, dynastie, entreprise) a quelque peu brouillé le message.
Nouvelle éthique et esthétique de la communication politique
Si l’on ne peut pas tout dire, que dire alors sans langue de bois ? C’est là où réside toute la difficulté de la communication politique en temps de crise. Laisser parler des actes plutôt que de parler des actions entreprises contre l’ennemi est peut-être la meilleure solution. Contrairement à Bush, l’administration Obama n’avait pas beaucoup communiqué sur la traque de Ben Laden.
Le message à faire passer est qu’en temps de crise l’efficacité de l’action d’attaque ou de défense gagne à ne pas être divulguée. Ni l’héroïsme hérité des Grecs, ni la ruse machiavélique, ni le camouflage emprunté aux militaires ne semblent adéquats en l’espèce. Une communication politique sobre qui contraste avec l’esthétique du sang imposée par les terroristes et l’esthétique du spectaculaire à laquelle ont recours les médias et qui se distingue de la composition promotionnelle trouvera certainement un écho parmi les citoyens.
Les réseaux sociaux jouent un rôle immédiat d’avertissement et de soutien, voire de dénonciation, en temps de crise. Face à la force subversive du terrorisme, les médias traditionnels qui agissent d’habitude comme contre-pouvoir de la démocratie à travers un journalisme d’investigation (l’enquête indépendante sur les profils, les trajectoires et les motivations des terroristes, l’infiltration du camp adverse, l’interrogation des politiques et des reportages sur les victimes), bien qu’ils soient parfois tentés de verser dans le journalisme d’accompagnement (l’incrustation dans le véhicule de l’armée ou de la police) sont obligés d’inventer un journalisme de vérité réfléchie évitant l’écueil de la propagande et la bataille commerciale pour le scoop.
Geetha Ganapathy-Doré, Maîtresse de conférences HDR en anglais, Université Paris 13 – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.