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Luxembourg : le coup de gueule de Dominique Gros

Le maire de Metz, plaide pour une meilleure répartition des impôts dans les zones frontalières. Voici son discours à la 37e session du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux du Conseil de l’Europe à Strasbourg le 29 octobre 2019.

Dominique Gros, maire de Metz (DR)
Dominique Gros, maire de Metz (DR)

Le rapport qui vient de vous être présenté par le rapporteur Lambertz a parfaitement posé les termes du débat pour une répartition équitable de l’impôt dans les zones transfrontalières. Je vais donc essayer d’illustrer avec des exemples concrets ce qui se passe quand le pays d’emploi des frontaliers ne répartit pas l’impôt avec les territoires de résidence.

200.000 frontaliers

1) Je voudrais commencer par caractériser le contexte très particulier du marché de l’emploi Luxembourgeois, qui dépend à 80% de la main d’œuvre étrangère, dont 200 000 frontaliers qui constituent 50% de sa main d’œuvre productive.
Ces 200 000 frontaliers et leurs familles représentent une population de 440 000 personnes. De plus, 57% des entrepreneurs installés au Luxembourg sont des frontaliers.
Par ailleurs il n’y a pas de réciprocité: les flux de frontaliers sont à sens unique en direction du Luxembourg et il n’y a pas d’investissement des entreprises luxembourgeoises à l’extérieur. Enfin, le Luxembourg ne répartit pas les recettes des impôts et laisse à la charge des territoires frontaliers 50% de sa main d’œuvre productive.

Les comptes se dégradent

2) Quelles sont les conséquences de cette situation sur nos territoires frontaliers ?

– La 1ère conséquence est l’amélioration de la compétitivité fiscale du Luxembourg qui perçoit les recettes des impôts et taxes sur la totalité de sa force de travail mais n’en entretien que la moitié.
Dans de telles proportions c’est un cas unique en Europe ! Et plus le temps passe et plus le recours à la main d’œuvre frontalière améliore la compétitivité fiscale du Luxembourg:
– Il y a 20 ans il y avait 2 actifs résidents pour 1 frontalier.
– Aujourd’hui c’est 1 pour 1.
– Et demain, ce sera 1 résident pour 2 frontaliers.
Et pendant ce temps les comptes des collectivités frontalières se dégradent.
– Et plus leurs impôts augmentent, plus les entreprises françaises, belges, allemandes rejoignent le Luxembourg et plus les anciens salariés deviennent de nouveaux frontaliers. Et plus le Luxembourg peut à nouveau baisser ses taux de fiscalité….

Dégradation de l’offre

  • La 2ème conséquence est la dégradation du tissu économique des territoires frontaliers, liée aux transferts d’entreprises.
    En 2019, 57% des entrepreneurs exerçant au Luxembourg sont des frontaliers. Et il n’y a que 26% d’entrepreneurs luxembourgeois. Combien d’emplois ont ainsi été transférés depuis les territoires frontaliers vers le Luxembourg ?
    Combien de ces entrepreneurs frontaliers seraient restés en France, en Allemagne et en Belgique à compétitivité fiscale égale?
    Par exemple depuis que le Luxembourg a baissé ses taux de fiscalité sur l’essence, le tabac, l’alcool, quasiment toute l’activité s’y est transférée.
    Mais c’est de l’emploi et des taxes que nous avons perdus et que le Luxembourg a gagnés : 2600 emplois et 1,5 milliard d’euros de taxes annuelles « transférées » au Luxembourg.
    De même il y a de nombreuses entreprises artisanales qui travaillent sur les territoires frontaliers depuis leur siège transféré au Luxembourg.
  • La 3ème conséquence est la dégradation de l’offre de services publics, liée d’une part à la faiblesse des ressources des collectivités locales privées de la fiscalité habituellement perçue sur les entreprises, mais liée aussi aux niveaux de salaires 2 à 3 fois plus élevés au Luxembourg. Nos ressources humaines dans les professions de la santé sont asséchées.
    Concernant la profession d’infirmier par exemple, sur les années 2013-2017 plus de 3 000 autorisations d’exercer ont été délivrées par le Luxembourg, à seulement 10% de diplômés luxembourgeois, les 90% restant ayant été formés en France, en Allemagne, en Belgique.
    En tant que Président d’un Centre Hospitalier Régional, je peux vous dire qu’il manque aujourd’hui des centaines d’infirmières et des dizaines de médecins spécialistes dans tous les services de tous les établissements hospitaliers des secteurs frontaliers.
    Faudra-t-il se résigner un jour à tous nous faire soigner au Luxembourg et en profiter pour y faire le plein d’essence, de tabac et d’alcool ?

Sauf le Luxembourg

3) Comment s’effectue la prise en charge de ces 200 000 frontaliers et de leurs familles?

– Il faut des routes et des voies ferrées pour transporter les 200.000 travailleurs frontaliers.
Pour le seul côté français, qui accueille 104 000 frontaliers, il est prévu d’investir 1,8 milliard pour doubler l’autoroute saturée vers le Luxembourg. Mais Luxembourg ne veut pas participer à cet investissement. Alors les frontaliers devront payer un péage, environ 600 millions, et le reste sera payé par les contribuables français.
Donc tout le monde participe, sauf le Luxembourg.
Et au bout du compte les frontaliers auront payé deux fois : ils auront versé un impôt qui n’aura pas été mobilisé par le Luxembourg et ils devront, en plus, s’acquitter d’un péage.
Est-ce juste?
– Toujours côté français il faut doubler les capacités de transport par trains: il s’agit d’investir 1 milliard d’ici 2030.
Le Luxembourg s’est engagé sur 120 millions d’euros. C’est seulement 12% de l’investissement.
Mais surtout, ce n’est que 0,3% des 33 Milliards € de recettes budgétaires que le Luxembourg aura perçues grâce aux frontaliers français sur la même période de 10 ans.
Est-ce équitable?
– Il a fallu former tous ces frontaliers, ce qui représente une dépense totale de 25,4 milliards €, prise intégralement en charge pas les pays voisins sans mobiliser les contribuables luxembourgeois.
– Il leur faut des crèches ouvertes tôt le matin et tard le soir pour accompagner les temps de transports dans les bouchons permanents.
– Il faut financer des écoles, des collèges, des lycées, des Universités correspondant aux besoins de ces personnes.
Sans les recettes correspondantes, est-ce soutenable?
– Si le chômage frappe un frontalier alors c’est le système d’assurance chômage de son pays de résidence, auquel il n’a pas cotisé, qui devra le prendre en charge au-delà du 3ème mois.
– Sa retraite venue, doté d’une pension allégée des impôts sur le revenu prélevés à la source par le Luxembourg, le retraité frontalier ne comptera que sur les budgets de son lieu de résidence pour répondre à ses besoins en services publics.
– Et s’il se retrouve en situation de dépendance, l’assurance dépendance à laquelle il aura cotisé sa vie durant au Luxembourg ne le prendra pas en charge puisqu’il n’y réside pas, et ce sera encore le système de solidarité de son lieu de résidence qui sera mis à contribution.
Qui pourrait se satisfaire de tant d’entorses à l’idée européenne?
D’autant plus que chaque année il nous faudra prendre en charge 10 000 frontaliers supplémentaires et leurs familles.

Empilement de difficultés

4) Dans ce contexte il est urgent de trouver des solutions et des accords.
La solution ne passera pas par un saupoudrage de subventions, distillées au cas par cas, au grés d’accords bilatéraux engageant chacune des 2.000 communes de résidence des frontaliers, les départements et les Kreises, les Régions et les Etats, chacun en fonction de ses responsabilités.
C’est impraticable. Ce n’est pas une proposition réaliste.
La piste d’une compensation proposée par le rapport Lambertz est la plus efficace, la plus simple, la plus opérationnelle. C’est d’ailleurs celle qui est la plus couramment mise en œuvre entre tous les territoires étudiés dans le rapport qui vient de vous être présenté. Et c’est aussi la solution la plus respectueuse des Pouvoirs Locaux des lieux de résidence qui n’ont pas à être administrés par les pouvoirs locaux des lieux de travail.
C’est là que l’initiative du Congrès des Pouvoirs locaux et Régionaux prend tout son sens : Car oui, seuls les Etats peuvent passer des accords. Sinon ce sont les collectivités locales qui payent l’essentiel du coût de l’absence d’accord.
C’est pour toutes ces raisons que le Land de Rhénanie-Palatinat vient de demander officiellement, la semaine dernière, à la Chancellerie allemande d’engager des négociations avec le Luxembourg afin de compenser des pertes évaluées à 50 millions d’euros par an pour les 32 500 frontaliers qui résident dans la Région de Trèves.
Le rapporteur Lambertz nous dit que la situation est complexe. Oui, pour le moins. Et je m’inquiète du temps qu’il faudra encore pour mettre en œuvre des solutions opérationnelles. Car c’est bien l’inaction des Etats au fil du temps qui a permis cet empilement de difficultés qui ne font que s’accroitre.
Et je ne perds pas de vue que si le Luxembourg porte la responsabilité de ne pas vouloir négocier au sujet d’une répartition des impôts, il n’est pas seul responsable des traités européens qui lui permettent d’agir comme il le fait depuis 30 ans.

Votes anti-européens

5) Pour conclure, je voudrais bien préciser mes intentions à travers ce témoignage.
Je ne crois pas que cette Europe, cette Europe des angles morts et des non-dits, cette Europe opportuniste qui se satisfait de prendre aux uns pour donner aux autres, ait un quelconque avenir. C’est une Europe inéquitable, injuste et qui n’invite pas les populations à la soutenir. Je vous propose de regarder de près les résultats des élections européennes de 2019. Vous y constaterez que plus les territoires sont proches de la frontière et plus les votes antieuropéens sont forts: jusqu’à 35% aux frontières françaises du Luxembourg! Et à chaque élection l’expression du rejet se fait plus forte.
Il est urgent de voir les Gouvernements des Etats européens tirer les leçons des situations injustes et inéquitables qui peuvent naitre, pourtant, d’excellents principes:
– Les principes de libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux.
– Mais restreints aux limites fixées par le principe de la souveraineté fiscale des Etats.
Le résultat est explosif et vous devez en prendre conscience.
C’est bien le sens de l’interpellation qui vous est faite par les Pouvoirs Locaux à travers le rapport Lambertz. Je vous remercie.

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