La ministre des Transports a confié à Jean-Cyril Spinetta la mission de dresser un état des lieux du système ferroviaire français. Avant la publication de ce rapport, Bernard Aubin, (syndicat FiRST) tire la sonnette d’alarme.
« Le ‘’rapport Spinetta’’ se fait attendre » écrit Bernard Aubin, secrétaire général du syndicat de cheminots FiRST dans une note très critique. « Sa parution, prévue début janvier, a été décalée pour ne pas parasiter la publication d’un autre texte, commis par l’ex-député Duron recasé à la tête d’un Conseil d’Orientation des Infrastructures. C’est du moins l’explication officielle. Une autre, qui transpire des couloirs du Ministère des Transports, serait plutôt que les propositions de l’ex PDG d’Air-France KLM, qui aurait bien sûr travaillé en toute impartialité, feraient l’objet des derniers ajustements d’Elisabeth Borne. Il serait, en effet, bien dommage que le Gouvernement se retrouvât en difficulté suite à quelques divergences entre ses orientations, retenues de longue date, et des propositions sont le seul but est de lui servir d’alibi technique. A défaut, d’ailleurs, de lui servir d’alibi politique car le sujet de l’avenir du système ferroviaire a été écarté de tous les débats des « Assises Nationales de la Mobilité » (ici). Des transports en commun sans train demain ? Impossible ? Pourtant, l’acronyme SNCF et le mot « train » ont été bannis de tous les débats, y compris ceux sur la multimodalité…
Premier indice.
« Nous n’entrerons pas dans le détail des ingrédients qui compensent ce cocktail explosif, ou lytique pour la SNCF. Mais jamais les menaces pesant sur l’Entreprise n’ont été aussi nombreuses et n’ont autant convergé vers un probable éclatement. Comme déjà écrit par mes soins à maintes reprises, la SNCF, telle qu’on la connait, âgée de 80 ans cette année, risque bien de fêter son dernier anniversaire. La collecte de documents historiques, censée marquer l’événement, fait plutôt figure de testament.
Parmi les principales menaces qui pèsent sur la SNCF et sur son personnel :
La transformation d’EPIC SNCF en société(s) anonyme(s). Le sujet n’est pas nouveau. Le Statut de la SNCF est dans le collimateur de Bruxelles depuis plusieurs années. En cause, une éventuelle distorsion de concurrence entre une entreprise bénéficiant de garantie financière de l’Etat et les opérateurs privés. Premier EPIC menacé, SNCF Mobilités. Mais il serait difficile de concevoir que ce qui reste de la SNCF, après la réforme de 2014, survive après de telles modifications. Quid aussi de l’avenir de l’EPIC de tête, censé assurer une certaine unicité de l’Entreprise publique ?
L’externalisation de « Gares et Connexions ». Les pointillés ont depuis longtemps été dessinés autour d’une activité pourtant fondamentale d’une entreprise ferroviaire, la gestion des gares. Le problème, c’est qu’il est difficile, pour les entreprises privées, de concevoir que ces lieux progressivement ouverts à la concurrence restent sous la coupe de l’opérateur historique. Les mesures « Canada Dry » de la SNCF, visant à préserver l’indépendance de « Gares et Connexions » tout en maintenant cette Activité au sein de l’EPIC Mobilités, peinent de plus en plus à convaincre les partisans de l’éclatement du système ferroviaire français.
La filialisation de Fret SNCF. Les incantations, nationales, européennes, mondiales, en faveur d’un rééquilibrage du transport de marchandises vers les modes les moins polluants se multiplient depuis des années. Mais dans la réalité, des conditions de concurrence imposées au rail lui restent très défavorables. La route reste privilégiée. Dans ces conditions, le transport ferroviaire de marchandises, qu’il relève du public ou du privé, a très peu de chance de survivre. Malgré les « efforts » infligés à Fret SNCF, qui ont occasionné la perte de près de 10 000 emplois et le report sur les routes de centaines de trafics, certains n’entrevoient le bout du tunnel qu’à travers la filialisation de Fret SNCF. La décision pourrait être annoncée en 2019. En aucun cas, elle ne sauvera l’avenir du transport de marchandises par le rail.
Le transfert à la concurrence de dizaines de lignes TER. Il n’y aura peut-être pas de grand soir, mais il y aura une érosion certaine des missions TER confiées à la SNCF. En cas de perte d’appel d’offre, les trains, leurs ateliers de maintenance, le personnel de bord et celui chargé de l’entretien des rames, devraient être transférés au nouvel opérateur. Les impacts de ces externalisations seront sans doute considérables pour l’entreprise publique mais aussi pour les cheminots concernés, déterminés à conserver leur place et leurs acquis.
Cocktail détonnant
La fermeture de centaines, voire de milliers de kilomètres de lignes secondaires. Il n’aura pas échappé, aux différents observateurs des transports assistant aux « Assises Nationales de la Mobilité », que la plupart des solutions présentées pourraient se substituer aux dessertes ferroviaires capillaires. Il n’aura pas non-plus échappé aux lecteurs du rapport Duron que les investissements proposés portent essentiellement sur les grands nœuds ferroviaires et sur les grandes gares. Quid des lignes les moins fréquentées, souvent mal-entretenues, qui constituent le tiers du réseau ? Le hasard fait bien les choses : un décret paru discrètement en novembre 2017 (ici), permettra de faciliter la transformation des plateformes ferroviaires en site propres… empruntés par des véhicules présentés lors des « Assises » ? La boucle est bouclée… Mais à part ça, aucune décision n’a été prise !
La disparition du régime spécial de retraite et du Statut des cheminots. Bien que considérés par certains comme des « avantages », ces acquis sociaux ne constituent qu’une contrepartie d’un travail effectué livrée sous une forme autre que la rémunération. Historiquement, les compagnies de chemin de fer avaient décidé de compenser la modicité des salaires par une retraite plus précoce et une réglementation du travail plus favorable. En toute logique, une éventuelle remise en cause de ces spécificités devraient impliquer une compensation salariale. Cela ne semble pas être l’approche du Président Macron qui évoqua, en juillet 2017, la suppression des acquis en contrepartie d’une reprise partielle d’une dette attribuée à la SNCF, réintégrée en son sein en 2014, mais qui relève de la responsabilité de l’Etat. Une provocation qui a fait bondir les cheminots, jusqu’au plus modérés !
S’ajoutent à toutes ces menaces venues de l’extérieur une montée du ras-le-bol interne, dû aux exigences fixées avec des moyens en constante diminution, les pressions diverses, la forte dégradation des conditions de travail, un « management » du personnel à l’américaine. Le fait de dirigeants ambitieux connaissant rien au chemin de fer mais déclinant avec arrogance des concepts fumeux que les opérationnels doivent contourner pour que les trains puissent encore rouler. Enfin, il y a cette lassitude de tout un personnel constamment dénigré, qualifié de « nanti », et dont les conditions de travail et de rémunération ne sont guère différentes de celles des entreprises privées, lorsqu’elles ne sont pas pires…
Tous ces éléments constituent un cocktail détonnant qui, il y a une quinzaine d’années encore, aurait déjà explosé depuis longtemps. Sauf que depuis, les esprits ont changé… En témoigne notamment la montée en puissance du syndicalisme d’accompagnement. Ce n’est pas le fait du hasard, mais de la démocratie. Tous les reculs sociaux en sont facilités, à la SNCF comme ailleurs. Le problème, c’est que le français n’est pas toujours cohérent dans son vote : il élit un Président sur la base d’un programme connu, il favorise l’érosion des équilibres sociaux, et ensuite se plaint des conséquences de ses propres choix…
A la SNCF, le cocktail réunit tous les ingrédients pour être explosif, mais la bombe ne semble pas encore disposer de détonateur. Le climat social français est plutôt à la résignation. Lorsque la grogne s’exprime, c’est la plupart du temps en ordre dispersé… pour l’instant. Le Gouvernement devrait se méfier, car certains explosifs, tels la nitroglycérine, n’ont pas besoin de détonateur. Il suffit de les agiter. Ensuite, il y a risque de réaction en chaine.
Personne ne sait encore, à ce jour, ce qui déclencha la grève de 1995. Une sorte de ras-le-bol général, sans doute, contre l’accumulation de mesures de plus en plus impopulaires. Une chose est sure, c’est que les cheminots se mobiliseront contre des décisions qui leur porteraient préjudice. Dans quelles conditions, avec le soutien ou sous la critique de l’opinion publique ? Combien de temps ? L’avenir nous le dira. Peut-être aussi Spinetta !