Monde
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

Comment les singes apprennent à se réconcilier

Nicola Koyama, Liverpool John Moores University

singes-des-montagnes
Singes des Montagnes (Photo Thomas Bresson commons.wikimedia.org)

Pour nous autres humains, il peut paraître dangereux de s’engager dans un conflit avec un de nos congénères, non seulement à cause du risque de blessure et du stress, mais aussi parce que cela peut remettre en cause de précieuses relations amicales. Il en va de même pour les singes et les grands singes.

Exactement comme nous, ils nouent des liens sélectifs et réciproques, voués à durer, qui ressemblent énormément aux liens amicaux entre les êtres humains. Et chez nous comme dans le monde des primates, une agression peut nuire aux relations entre deux individus, diminuant la cadence des interactions et la tolérance envers l’autre.

Comme dans les familles humaines, chez les singes et les grands singes, l’activité quotidienne du groupe génère inévitablement des différends. Les causes de conflit sont multiples : qui pourra profiter de l’endroit ombragé pour se reposer ? Qui est le responsable dans telle ou telle situation ? De qui faut-il faire la toilette ? Avec qui s’accoupler ? Contre qui se réchauffer quand il fait froid ? A quel endroit s’installer pour manger ? La vie est parfois difficile. Mais heureusement, les primates ont des stratégies à revendre quand il s’agit de prévenir ou d’atténuer le coût social des agressions.

Ces stratégies vont de la soumission formelle à l’apaisement des tensions – avant l’escalade de la violence – en passant par la médiation, pour tenter de réguler le conflit. Mais si l’agression est inévitable et que le combat a bel et bien lieu, les rivaux ont encore une option à leur disposition. Tout comme les humains, les primates peuvent réparer la relation endommagée à travers la réconciliation et rétablir un contact amical après un conflit.

La résolution de conflit

C’est Frans de Wall qui, dans les années 1970, a reconnu le premier ce comportement de réconciliation, dans une étude marquante du comportement postconflit chez les chimpanzés. Il a observé que les rivaux, peu de temps après leur bagarre, étaient capables de comportements amicaux l’un envers l’autre.

Certaines études prouvent que la réconciliation a aussi des conséquences sur les émotions des primates : elle réduit les indicateurs d’anxiété et de souffrance – pouls élevé, tendance à se gratter – qui reviennent à leur niveau de base.

‘Salut, l’ami’.
Nick Fox/Shutterstock

Le degré d’anxiété post conflit chez les primates est également corrélé à la nature de la relation entre les rivaux. Si l’on transpose la situation chez les humains, c’est parfaitement compréhensible : si vous vous disputez avec un ami proche, vous seriez bien plus stressé que si c’était avec une vague connaissance.

Les chercheurs ont également découvert que la réconciliation réduit le risque d’une nouvelle agression. Mieux, la réconciliation semble rétablir la tolérance et la coopération entre les amis qui s’étaient querellés.

Faire amende honorable

L’amitié est bonne pour la santé et améliore la survie et les chances de reproduction de la plupart des espèces : c’est le cas chez les dauphins, les chevaux et les primates. Il n’est donc pas surprenant que les mécanismes sociaux aient évolué dans le sens d’une atténuation des dommages causés par une agression.

Le fait que la réconciliation soit commune à tant d’espèces sociables montre combien notre propre tendance à faire la paix est profondément ancrée. Mais il semble tout de même que certaines techniques soient acquises et non innées.

Dans une expérience innovante, il y a quelques années, de Wall a prouvé que de jeunes macaques rhésus particulièrement belliqueux étaient trois fois plus enclins à montrer des comportements de réconciliation après avoir passé quelques mois en compagnie de macaques bruns plus calmes et plus prompts à faire la paix.

‘Un baiser pour faire la paix’.
olga_gl/Shutterstock

Ainsi, la tendance à la conciliation semble une compétence sociale acquise lors des expériences de jeunesse plutôt qu’un comportement inné. Une étude qui vient d’être publiée dans le Journal international de primatologie par l’un de mes doctorants va dans le même sens.

De fait, les chimpanzés adultes se réconcilient souvent en s’épouillant mutuellement ou en adoptant des comportements que l’on n’observe pas dans d’autres contextes – comme le fait de s’embrasser sur la bouche. Si la réconciliation était un comportement inné, les petits chimpanzés imiteraient les adultes – mais au cours de notre recherche, nous n’avons pas observé cela. Au lieu de ça, après une querelle, les petits se réconcilient de la façon qui leur est la plus familière – à travers le jeu. Ils n’ont pas encore acquis l’arsenal de techniques de leurs aînés.

Et tandis que les chimpanzés adultes sont plus enclins à se réconcilier avec leurs amis qu’avec de simples « connaissances », les petits ne font pas encore cette distinction : ils ont encore beaucoup à apprendre.

Singeries

Je me souviens d’avoir observé une interaction instructive entre des macaques japonais quand j’étais étudiante, sous un soleil de plomb. Le taux d’humidité était maximal et mes genoux dégoulinaient (je ne savais pas qu’on pouvait transpirer des genoux). J’ai observé une jeune guenon, Ai, cachée derrière des buissons, qui prenait de l’élan pour mieux bondir sur sa congénère endormie, Kusha. Surprise, Kusha l’a menacée et lui a foncé dessus. La guenon fautive s’est recroquevillée en signe de soumission et s’est éloignée en courant, maintenant une distance de sécurité d’environ 4 mètres avec Kusha.

Se baigner ensemble, ça rapproche.
norikko/Shutterstock

J’ai continué à observer la scène : après quelques secondes seulement, Kusha s’est approchée de Ai, s’est assise près d’elle, et a commencé à la toiletter pendant 30 secondes. Détendue, Ai s’est allongée et a laissé Kusha épouiller son flanc. Puis elles ont inversé les rôles et Ai a commencé à toiletter la patte de Kusha. Pendant toute cette interaction, elles ont échangé des baisers sur la bouche – selon des mouvements caractéristiques et rapides d’ouverture et de fermeture des lèvres – un moyen de signifier à l’autre ses dispositions amicales.

Certes, nous autres humains ne procédons pas exactement de la même manière. Nous n’apprécions pas particulièrement d’épouiller ou d’embrasser quelqu’un avec qui nous nous sommes disputés. Pourtant, pour les primates comme pour nous, en cas de conflit, la réconciliation est toujours l’option favorite. Alors, la prochaine fois que vous vous prenez le bec avec votre collègue, essayez la méthode des primates – un petit bisou, une gratouille dans le dos, et avec un peu de chance, vous serez de nouveaux copains en un clin d’œil.

The Conversation

Nicola Koyama, Senior Lecturer Natural Sciences and Psychology, Liverpool John Moores University

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

The Conversation

Monde