Jean-Paul Haton, Université de Lorraine
En application de recommandations internationales qui se sont multipliées ces dernières années, une vingtaine d’universités françaises se sont déjà dotées d’un référent ou d’un chargé de mission à l’intégrité scientifique. Dans la foulée du 2ᵉ Colloque national sur l’Intégrité scientifique et de la création de l’Office français d’intégrité scientifique, le mouvement devrait s’accélérer dans les prochains mois afin d’apporter toutes les garanties nécessaires quant à l’honnêteté et la rigueur de la recherche, au regard des attentes légitimes de la société.
En France comme ailleurs, l’immense majorité des chercheurs exercent leur activité de façon intègre et responsable, en respectant les fondements éthiques et déontologiques de leur discipline. La compétition exacerbée par les modalités de recrutement et d’évaluation peut expliquer certains manquements, d’où l’importance d’accompagner leur évolution tout développant la formation à l’intégrité scientifique dès les premières années d’études supérieures.
Au-delà de l’éthique, la déontologie
Le terme intégrité scientifique est la traduction directe de l’anglais Scientific integrity. Il s’agit avant tout de déontologie, l’éthique recouvrant pour sa part les questions posées par les progrès de la science et leur impact sur la société.
Toutes les disciplines confondues, on distingue plusieurs formes de manquement à l’intégrité scientifique :
- La fraude scientifique : fabrication ou falsification de données, plagiats (dont la détection est facilitée par des logiciels de traitement de textes mis en place dans de nombreux établissements).
- Les pratiques douteuses : position d’auteurs dans les publications, embellissement de données et de résultats.
- Les conflits d’intérêt (omission de déclaration de liens d’intérêt).
L’intégrité scientifique régit l’activité du chercheur par des règles et des valeurs à même de garantir son caractère honnête et rigoureuse. Elle fonde le contrat entre la science et la société.
Une dynamique récente dans le paysage universitaire
Voici une chronologie des avancées dans le domaine, dans le monde.
- 1974 : la Conférence générale de l’Unesco adopte une recommandation concernant la responsabilité sociale du chercheur. Cette recommandation fait l’objet d’une révision en cours.
- 1992 : les États-Unis publient un rapport intitulé « Responsible Science : Ensuring the Integrity of the Research Process » précisant un ensemble de recommandations pour une recherche responsable.
- 1999 : en France, l’Inserm est le premier établissement public à caractère scientifique et technique à être actif sur cette question.
- 2005 : la Charte européenne du chercheur est publiée
- 2007 : l’OCDE publie un rapport sur les meilleures pratiques de la recherche
Ces différentes initiatives avaient eu peu d’effets, tout comme un premier rapport sur l’intégrité scientifique rédigé en 2010 par Jean‑Pierre Alix, secrétaire du Mouvement université de la responsabilité scientifique.
Cette même année 2010, le Singapore Statement on research integrity est publié, et en 2011, The European code of conduct for research integrity.
Enfin, en 2015, le Comité d’éthique du CNRS (COMETS) publie une Charte nationale de déontologie des métiers de la recherche. Cette charte constitue une sorte de déclinaison nationale des textes internationaux mentionnés ci-dessus.
Le rapport Corvol marque un tournant décisif
Le 29 juin 2016, Pierre Corvol remettait à Thierry Mandon, Secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et à la recherche, un rapport intitulé Bilan et propositions de mise en œuvre de la charte nationale d’intégrité scientifique. Le texte comporte seize propositions destinées à sensibiliser la communauté scientifique et à renforcer les dispositifs de protection de l’intégrité scientifique. Contrairement à de nombreux autres rapports, il a été rapidement pris en compte et a largement contribué à faire évoluer la situation en France. Thierry Mandon a ainsi déclaré le 14 décembre 2016 que l’intégrité scientifique était « au cœur de l’engagement durable de la nation à soutenir sa recherche » et annoncé plusieurs mesures.
Ainsi, une conséquence directe du rapport Corvol est la création de l’Office français d’intégrité scientifique (OFIS).
Création de l’Office français d’intégrité scientifique
Le 20 mars 2017, le Collège du Haut-conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hceres) a voté à l’unanimité la création de l’Office français d’intégrité scientifique. Ce nouveau département de l’Hceres devrait être opérationnel à l’automne. Ses missions sont triples :
- Expertise dans le domaine de l’intégrité scientifique pour accompagner les universités et les EPST dans la mise en œuvre de leurs obligations en la matière.
- Observation : création d’un observatoire pour recenser les cas et comptabiliser les actions menées au niveau français.
- Animation de la politique nationale en matière d’intégrité scientifique (permettant notamment d’éviter une dispersion entre établissements en matière de traitement des manquements à l’intégrité scientifique) et contribution de notre pays au niveau international.
L’intégrité scientifique est d’ores et déjà un critère pris en compte dans l’évaluation des unités de recherche par l’Hceres.
Les référents Intégrité scientifique
Actuellement, une vingtaine d’universités françaises se sont dotées d’un référent ou d’un chargé de mission à l’intégrité scientifique et le mouvement devrait s’accélérer en 2017.
Ces personnes doivent remplir un certain nombre de critères : compétences scientifiques, objectivité, indépendance, respect de la confidentialité.
Ils sont nommés par le chef d’établissement et leur identité ainsi que leurs coordonnées sont publiques.
À la suite du rapport Corvol, un groupe d’experts a produit un vademecum des référents intégrité scientifique précisant la notion d’intégrité scientifique et la mission des référents. Ils doivent assumer les missions suivantes : la vigilance et la veille ; la prévention et le traitement des manquements ; la promotion de l’intégrité scientifique au sein de leurs établissements ; un rapport au chef d’établissement sur les dossiers traités. Les référents sont organisés en un réseau national, et interagissent également avec leurs homologues européens via le réseau ENRIO (European Network of Research Integrity Officers).
Priorité à la formation
La compétition pour obtenir un poste et les critères d’évaluation des chercheurs tout au long de leur carrière peuvent expliquer (sans les admettre pour autant) certains manquements à l’intégrité : plagiats, réplications de publications…
La formation est essentielle pour prévenir ces manquements. Depuis le 25 mai 2016, un arrêté national prévoit expressément que les écoles doctorales « veillent à ce que chaque doctorant reçoive une formation à l’éthique de la recherche et à l’intégrité scientifique ». En pratique, quelques universités seulement proposent pour l’instant une telle formation mais cela doit évoluer rapidement.
L’intégrité scientifique est désormais prise en compte de façon sérieuse dans les universités et les établissements publics de recherche français, comme l’attestent la mise en place de référents ou chargés de mission et la création de l’OFIS.
La situation en France est comparable à celle des autres pays. Une formation à l’intégrité scientifique intégrée dans les études supérieures est indispensable pour améliorer encore la situation. Il est raisonnable d’espérer que la formation contribuera à réduire le nombre des manquements constatés.
Jean-Paul Haton, Professeur émérite en informatique à l’Université de Lorraine, membre senior de l’Institut Universitaire de France (IUF), Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.