Tribunal de Commerce, Paris, Quai de l’Horloge, Île de la Cité.
Alexander Johmann/Flickr, CC BY-SA
Nicole Stolowy, HEC School of Management – Université Paris-Saclay
Cet article est publié en partenariat avec le site Knowledge@Hec.
Les tribunaux de commerce français existent depuis plus de quatre cents ans et sont présidés par des juges non professionnels bénévoles, élus par leurs pairs. Dans notre étude, nous avons voulu comprendre comment ces tribunaux particuliers avaient été créés, ainsi que les raisons pour lesquelles ils ont conservé le système de la justice rendue par des pairs. Nous expliquons que les tribunaux de commerce sont parmi les plus efficaces, avec des taux d’appel parmi les plus bas.
Les tribunaux de commerce français sont apparus au XVIe siècle et ont très peu évolué depuis. Ainsi, si les ressorts du commerce et des échanges ont beaucoup changé, ce n’est pas le cas du mode de résolution des litiges commerciaux. Ce n’est pas tant dû à une incapacité à évoluer avec le temps qu’à l’efficacité inhérente des tribunaux de commerce.
Ce système a beau être ancien, il est unique et reste toujours aussi pertinent et efficace. D’où l’interrogation suivante : qu’est-ce qui explique que les tribunaux de commerce français aient traversé les siècles et survécu, notamment, à la Révolution ?
Des juges élus par leurs pairs
La réponse se trouve dans l’Ancien Régime. Dans les années 1560, Michel de l’Hospital a suggéré que les commerçants règlent leurs propres litiges dans des tribunaux distincts, pas présidés par des juges professionnels. Dans ces tribunaux, les juges n’étaient pas des professionnels du droit, mais des marchands élus par d’autres marchands pour régler des différends commerciaux.
Encore aujourd’hui, les juges des tribunaux de commerce (juridiction de première instance) sont des bénévoles élus et, par conséquent, non rémunérés. L’idée initiale remonte aux systèmes mis en place sur les marchés et foires d’Italie au XIIIe siècle. Ces places marchandes disposaient de leurs propres organismes pour trancher les litiges et n’avaient pas recours aux tribunaux officiels. Les tribunaux de commerce ont même survécu à la Révolution française en raison de leur conformité à l’idéal démocratique révolutionnaire.
Le droit commercial basé sur la pratique et non la théorie
Tout l’avantage de ces tribunaux réside dans le fait les juges, élus par leurs pairs, connaissent bien les besoins des plaignants. Les juges sont très impliqués car experts dans leur domaine. Ils assument leur rôle parallèlement à l’exercice d’une activité professionnelle et connaissent parfaitement les obstacles qu’un dirigeant ou une entreprise peut rencontrer.
Dans d’autres tribunaux, les juges ont une formation juridique mais peuvent passer d’un domaine à l’autre sans être spécialisés. Ceux qui travaillent dans le commerce sont familiarisés avec les usages, les règles tacites, ainsi qu’avec les règles officielles régissant ce secteur. Et les règles commerciales sont davantage issues de la pratique que de la théorie.
Puisqu’il s’agit d’un droit appliqué, les acteurs du droit commercial (entreprises, actionnaires, dirigeants, etc.) estiment approprié d’élire des juges issus de leur univers, des juges qui connaissent bien les règles.
Un taux d’appel révélateur
Pour évaluer l’efficacité des tribunaux de commerce français, nous avons effectué une analyse statistique des taux d’appel des différents tribunaux en France. Le taux d’appel est une mesure directe de l’efficacité des tribunaux. Le fait que les jugements soient moins suivis d’appels traduit un meilleur degré de satisfaction concernant l’issue des procédures.
Nous constatons que le taux d’appel des tribunaux de commerce français était de seulement 13 %. C’est moins que les tribunaux de première instance en matière civile de droit commun, les TGI (tribunaux de grande instance) et moitié moins que les Conseils des prud’hommes (bien que ces derniers soient également présidés par des juges non professionnels). Le nombre de jugements infirmés en appel est également bien inférieur dans les tribunaux de commerce.
Par ailleurs, une procédure d’appel dans un tribunal de commerce prend en moyenne moins de six mois, contre parfois plus d’un an dans un Conseil des prud’hommes. En somme, le tribunal de commerce présente une efficacité inégalée en France. Le faible taux d’appel implique une acceptation des décisions rendues, et nos résultats démontrent toute la pertinence des tribunaux de commerce après quatre cents ans d’existence. Et cela devrait perdurer à l’avenir.
Des juges experts en commerce
Les entreprises optent souvent pour un règlement des litiges devant les tribunaux de commerce, sans faire appel à des arbitres privés. L’histoire a montré qu’ils sont efficaces et continuent à répondre aux besoins. Ceci est en partie dû au fait que les juges ne sont pas des juristes professionnels à plein temps.
Ils travaillent en entreprise, connaissent les règles du commerce et peuvent trouver des solutions légales efficaces aux litiges portés devant ces tribunaux. Le commerce évolue au fil du temps, tout comme les connaissances des juges. C’est ainsi que les juges et les tribunaux de commerce conservent toute leur pertinence dans le temps.
Enfin, notre étude suggère que les tribunaux de commerce français sont une illustration de la justice rendue par des citoyens ordinaires. Ils doivent leur efficacité au fait d’être présidés par des juges bénévoles élus par leurs pairs. Nous pensons que des systèmes similaires pourraient être mis en œuvre dans d’autres domaines du droit appliqué comme le droit maritime. Le système français pourrait également être adopté par des tribunaux similaires dans d’autres pays.
Cependant, le droit appliqué par les tribunaux de commerce français présente la particularité d’être codifié, tandis que celui appliqué dans les autres pays est souvent basé sur la jurisprudence. Adopter un système de tribunal de commerce similaire au système français dans un autre pays, impliquerait donc nécessairement une évolution du droit local.
Nicole Stolowy, Matthieu Brochier, « France’s Commercial Courts : A Good Example of the Administration of Justice by Ordinary Citizens »“ Journal of Business Law, 2017, vol. 1, pp. 1-22 (08/02/2017).
Nicole Stolowy, Professeur de droit, HEC School of Management – Université Paris-Saclay
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.