Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 b dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire. Aujourd’hui, Aurore s’inquiète des conflits armés dans une très fine analyse géopolitique où l’Iran apparaît comme un pion central.
Par Gilles Voydeville
Lettre de novembre 2024 sur Gaïa
Lettre du mois des brumes laiteuses sur Kepler
Ma chère Gaïa,
Comme tes écrits traduisent ta souffrance !!!
En te lisant je m’aperçois que tu crains fort l’avenir. Car ton lot quotidien est peut-être fait des prémisses d’un grand conflit. Puisque ton intuition te prévient du danger, je vais me joindre à toi pour essayer de t’aider à comprendre ton monde. Pour éviter le pire, s’il est encore temps…
La République Islamique
En fait tu supportes bien trois conflits majeurs sur trois continents. Et je pense qu’ils sont plus liés qu’il ne le semble à première vue.
Tout d’abord l’Europe avec cette maudite Opération Spéciale qui n’en finit pas. Elle est finalement soutenue par la Chine, l’Iran et encore plus par la Corée du nord qui a fourni des armes et maintenant y dépêche ses soldats.
Ensuite le Moyen Orient avec la vengeance sans limite des Israéliens – soutenus par une grande partie de l’Occident – après qu’ils aient subi un génocide perpétré par le Hamas et supporté les inacceptables bombardements du Hezbollah.
Enfin, l’Afrique qui depuis bien trop longtemps se déchire au Soudan par un terrible affrontement entre les Forces de soutien rapides (RSF) et les Forces Armées Soudanaises (SAF). Celles-ci, comme tu le sais mieux que moi sans pourtant souvent m’en parler, ont rétabli depuis un an leurs relations diplomatiques avec l’Iran qui leur envoie des drones et entraîne leurs soldats. Tout cela dans le secret espoir d’établir une base navale iranienne sur le flan africain de la Mer Rouge et ainsi disposer avec les Houtistes sur l’autre rive d’une tenaille pour couper cette autoroute d’hydrocarbures.
Trait d’union entre trois guerres
J’ai donc bien l’impression que l’Iran est le trait d’union entre ces trois guerres. Tu devrais t’intéresser à sa politique qui va sans doute déterminer la suite des événements et peut-être un embrasement général. Car l’Iran est déjà un acteur majeur en tant que fournisseur de drones ultra performants à l’armée russe, de missiles au Yémen et de soutien aux SAF du Soudan. Aujourd’hui l’Iran ne fait pas le poids face à Israël qui possède l’arme atomique. Mais si le conflit devient direct entre ces deux puissances régionales, comme l’Ours brun de plus en plus noir a besoin de ses drones et si la Corée du Nord s’en mêle, l’Iran aura avant l’heure un soutien nucléaire… qui soit signera la fin du monde de la dissuasion par une guerre atomique, soit tiendra en respect ses adversaires pour établir un conflit conventionnel qui pourra virer à l’avantage de la République Islamique par le grand nombre de ses soldats et la puissance de son industrie militaire.
Les États-Unis devront alors s’impliquer plus encore au Moyen Orient avec leur marine et sans doute par l’envoi de troupes au sol rapatriées d’Europe.
L’Europe, devra faire face à l’Ours Noir sur son territoire et elle devra en plus s’engager aux côtés d’Israël contre l’Iran malgré son rejet du massacre de Gaza.
Et la Chine trouvera peut-être que le moment est opportun pour débarquer sur Taïwan, car si la flotte américaine est en Méditerranée, elle sera moins nombreuse dans le Détroit de Taïwan.
Bref, je ne vois que des nuages sombres s’accumuler au-dessus de ta planète bleue, et il faudrait une tempérance chinoise pour enrayer la machine infernale qui ne peut s’imaginer que si l’oncle Xi pense pouvoir subjuguer son île adorée par la persuasion, car selon Sun Tsu la guerre ne doit être déclarée que quand tous les autres moyens ont été épuisés…
Trump II
Gaïa, je reçois à l’instant un message de ta lune qui m’informe entre tes régulières missives des événements importants survenant sur ton merveilleux globe et celui-ci en est un : le Bison échevelé a gagné les élections de l’Empire Américain. On pourrait dire – avec une ambiguïté qui passe de plus en plus mal – que décidément cet animal est incorrigible car il bat les femmes quand il ne les attrape pas par la chatte (commentaire de 2005 parfaitement irrespectueux qui lui a valu les foudres des Charmantes mais sans doute une certaine admiration des mâles alpha et surtout lambda qui auraient eu envie d’en faire autant). Cet animal a quand même recueilli des dizaines de millions de voix féminines après de tels propos et cela interpelle vraiment.
Car quand j’écris battre les femmes, c’est parce qu’au décours de l’élection de 2016, il bâtit une certaine Hillary, secrétaire d’État des États-Unis et distinguée candidate du parti Démocrate. Elle en fut bouleversée car elle ne comprit pas qu’un malotru ait pu lui être préféré. Pour cette charmante femme de conviction, déjà éprouvée par une vie publique tumultueuse, il fut vexant d’être battue, défaite, mais par un tel goujat ce dut être encore pire. Révulsée par les manières de son adversaire, calomniée par son imagination grossière, outrée par ses mensonges à répétition, elle n’en fut point consolée par une victoire sur le bougre ni par un quelconque repentir de ce dernier de l’avoir traînée dans la fange pour des raisons tactiques.
Un maître complotiste de gros calibre
La seconde victoire du Bison, c’est donc bien d’avoir battu Kamala la souriante et charmante Démocrate qui avait tant d’atouts. Mais en fait dans ce pays encore ancré dans la prégnance mâle et blanche, elle cumulait beaucoup de handicaps : femme, d’origine multi ethnique, intellectuelle issue d’une université réputée, ex-procureure de Californie qui n’aurait pas manqué d’intensifier la lutte contre le sexisme et le racisme qui sont des marqueurs de cette société…
Ma chère Gaïa, quant à cet inattendu succès du Républicain, je pense que la haine que tes journalistes lui vouent y a sa part. Elle a toujours été telle qu’ils n’ont une nouvelle fois pas vu surgir l’animal, tel l’éléphant dans la pièce, défense d’y voir une possible victoire de la vulgarité sur la bonne éducation.
Les peuples aiment les tyrans
Ton coquin a du répondant et sait faire jouer les ressorts des petites frustrations de beaucoup de citoyennes et citoyens américains pour leur soutirer un bulletin de vote favorable. C’est un maître complotiste de gros calibre, un hâbleur d’envergure, un fanfaron de première bourre, un faraud doté d’un énorme culot qui ose accuser ses victimes de ses énormes travers. Bref s’il est plus qu’indélicat, semble limité dans son raisonnement et manifeste une coprolalie d’une belle grossièreté, on pourrait se demander s’il est atteint de troubles cérébraux frontaux ou plutôt s’il n’en rajoute pas un peu pour faire peuple, pour parler à toute une frange de la nation américaine qui n’en a rien à faire de l’ordre du monde et des guerres sur des terres lointaines, mais attend dans son assiette la récompense de s’être compromise avec un butor qui ose faire et dire ce qu’elle n’osera jamais…
Et quand du souffle d’un zéphir qui détourne d’un rien la trajectoire d’une balle, Dieu l’épargne pour ne lui tirer que l’oreille, l’affaire est dans le sac. C’est-à-dire la démocratie ligotée au bon vouloir d’un vaniteux qui sait qu’au fond d’eux-mêmes les peuples aiment les tyrans quand ils appartiennent – comme lui seul et le plantigrade – à la race des vainqueurs.
Un glissement du monde ouvrier vers la droite
Ma chère Gaïa, tu n’imaginais pas qu’un tel raz de marée républicain puisse submerger les vastes plaines de l’Amérique et s’étendre au pied des manufactures rouillées par la mondialisation. Mais la vérité, c’est que les pauvres s’en retournent vers la droite républicaine parce que la gauche s’est détournée d’eux et les a oubliés. Pour les mêmes raisons, ta France a déjà subi ce glissement du monde ouvrier vers la droite. Ceci est un énorme avertissement pour tous les dirigeants progressistes qui n’en ont pas encore pris conscience et cela fait craindre d’autres contre-révolutions. Le peuple a toujours faim, toujours soif, veut profiter toujours plus de la manne économique. Surtout si par le passé il a connu mieux, il ne conçoit pas que des élites forcément responsables de son accablement même relatif, se désintéressent de son sort au profit de minorités qui à ses yeux ne le méritent pas.
Un déferlement de migrants qui menace leur emploi
Les habitants de l’Amérique profonde n’estiment pas devoir supporter l’entretien d’une armée destinée à la liberté de peuples qu’ils ignorent – alors qu’ils ont du mal à payer les traites de leurs maisons – et de devoir voter pour un parti qui n’a pas su les protéger d’un déferlement de migrants qui menace leur emploi. Quant au renforcement annoncé du protectionnisme des barrières douanières, il les fédère absolument car il repousse les effets nocifs de ta mondialisation dont ces travailleurs manuels américains ont fait les frais avec la concurrence des pays de l’Asie du Sud-Est.
La politique européenne américaine
Et si la politique intérieure de la gauche américaine n’a pas été un succès, que dire de sa politique extérieure ?
Elle n’a pas su contenir la progression de l’armée russe en annonçant qu’elle ne mettrait pas un pied en Europe, en tergiversant sur l’autorisation d’utilisation de missiles longue distance. Peut-être que l’Administration Démocrate avait-elle déjà compris que le Tsar ne pourrait pas perdre – car il a la bombe atomique et qu’il en fera usage quand cela sera nécessaire. Mais alors pourquoi a-t-elle pris des demi-mesures et a-t-elle entretenu un équilibre trompeur ? Au lieu de trancher. Les Démocrates ont été mous du début à la fin de leurs décisions, c’est-à-dire qu’ils ont fait preuve d’une indécision coupable de bouleverser l’ordre de ton monde. Un peu comme le président Obama avait refusé d’intervenir en Syrie : tu en subis encore les effets négatifs.
Un choix difficile
La promesse d’un règlement de ce conflit en 24 heures par le Bison à la blonde crinière laisse augurer de moins de tergiversations. Cette promesse repose certainement sur une idée simple : en contrepartie de l’arrêt de l’Opération Spéciale avec conservation des territoires usurpés, il stoppe la livraison d’armes à l’Ukraine ; sinon il lui fournira une avalanche de missiles de longue portée. Cette transaction ne pourra se faire sans l’accord du peuple ukrainien qui doit obtenir des compensations. Elle amputera malheureusement ce pays d’un quart, mais si elle est compensée par une entrée dans l’OTAN et dans l’UE, cela lui assurera une sécurité importante. Ainsi des millions de vies ukrainiennes et russes seront épargnées. Il y a là un choix difficile ; mais rester dans un brouillard issu des rives de la Moskova expose à un lever de brumes dans un paysage russifié.
L’Ours et le Bison
La bonne nouvelle c’est de savoir que l’Ours craint plus le Bison que son prédécesseur démocrate qu’il prenait pour une Chèvre. Le bon côté du Bison – qui admire l’Ours – serait qu’il ait envie de surpasser son modèle. Quand il rentre le mufle, piétine et s’apprête à charger à la tête d’un immense troupeau, il peut faire peur au moindre couard de ses ennemis. La crainte est belle et bien la seule limite du plantigrade. Croire que la peur ne le dirige pas est une erreur. La preuve en est qu’il a fait construire dans chacune de ses tanières une place identique pour prononcer ses discours. Afin que personne ne sache où il se cache.
Les diplomaties occidentales rabâchent que l’Ours ne s’arrêtera pas là. Mais comme l’écrit Machiavel, il ne faut pas surestimer les capacités ennemies. L’Ours a prouvé dans sa première invasion vers Kiev qu’il n’avait pas les capacités d’envahir facilement un pays voisin. Il s’est consolidé en deux ans, mais lutter contre une Europe qui est en train de se réarmer et qui possède quatre fois sa population et une économie dix fois plus solide, n’est pas à sa portée.
La protection nucléaire de la France voire de la Grande Bretagne
Ma chère Gaïa, venant de très loin mon avis est qu’il faut traiter avec l’Ours pour lui concéder les territoires occupés. Il y va de la vie de millions de jeunes gens qui vaut bien de laisser le joug russe s’accaparer un territoire mais ce pour la dernière fois sur le versant ouest de l’Europe. Car si besoin, quand l’Ukraine sera européenne, l’OTAN réagira immédiatement et avec force à la première incursion.
Aujourd’hui le vrai problème pour l’Europe, c’est de prendre la défense d’un ancien territoire soviétique qui appartient encore à l’espace russophone. Si ce territoire décide d’adhérer à l’Europe et que celle-ci l’accepte, le débat sera plus clair car il n’y aura pas de tergiversations sur la nécessité ou l’utilité de combattre la Russie : la réponse sera immédiate avec la puissance de feu de 27 pays et la protection nucléaire de la France voire de la Grande Bretagne. Et à mon avis comme les choses seront claires, l’Ours malin n’ira pas mettre sa patte dans la ruche équipée de rasoirs affûtés.
Les Démocrates et Israël
Quant au deuxième volet de la politique démocrate au Proche Orient, il me semble plus que contestable. L’administration démocrate fournit les bombes les plus meurtrières qui déciment la population civile, rasent la ville de Gaza et maintenant entament les quartiers libanais du Hezbollah. Son seul aspect positif est de tenir en respect l’Iran. Cette politique étrangère démocrate de soutien à l’État Hébreux n’a pas été capable de modérer ce dernier dans ses outrances territoriales, ni le réfréner dans sa haine vengeresse et peut-être génocidaire : ta Cour Pénale Internationale en décidera.
Cette politique démocrate a été plutôt inefficace et ne s’est pas assez démarquée de celle qu’aurait pu pratiquer les Républicains. Les Charmants américains opposés à ces massacres n’ont pas eu de candidats à choisir, car Kamala n’a su renier la politique de son président. L’administration démocrate aurait dû comprendre que cette guerre israélienne au Proche Orient est – sous le couvert de la vengeance – une guerre de conquête pour compenser la rareté du sol (Carl Schmitt) et peut-être une guerre de religion – même si Peter Sloterdijk nie l’existence des motifs religieux pour déclencher des conflits – qui pourrait animer des belligérants ultra. Et que cette guerre n’annonçait ni la création ni la coexistence de deux Etats, chimères auxquelles la Chèvre s’est accrochée comme sur le barbelé d’un enclos.
Les extêmistes sionistes veulent annexer la Cisjordanie et Gaza
Ta question ma chère Gaïa va être de savoir si le comportement imprévisible du Bison à la mèche fantasque va infléchir la politique du Rhinocéros sioniste et fera émerger un gouvernement israélien modéré. Car il est possible que le président yankee ait pris la mesure de ses précédentes décisions controversées dont celle de la délocalisation de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem. Et qu’il n’en goutte pas particulièrement les résultats dont l’émergence des extrémistes sionistes qui veulent annexer la Cisjordanie et une partie de Gaza.
Donc ma chère Gaïa – paraphrasant Tancrède dans le Guépard « tout doit changer pour que rien ne change » – quand j’apprends que la direction politique de ce grand pays va changer, je pense quand même que les pauvres Charmants états-uniens resteront pauvres et que les équilibres instables de l’Europe Centrale et du Proche-Orient vont perdurer. À moins que d’accepter la conquête russe, de supprimer la fourniture d’armes létales à Israël et de changer le régime de la République Islamique…
Ah, l’Amour!!!
Voici donc le modeste fruit de mes pensées qui essayent de comprendre ton monde pour amoindrir tes maux. Ici les feuilles tombent avec l’élégance d’un tourbillon automnal sur les sentes forestières de mon hémisphère nord. Mes Ovoïdes s’y promènent en couple main dans la main, si ce n’est qu’au détour d’un bosquet malgré la fraicheur du temps mais pas de leurs sentiments, les mâles peuvent bondir dans la poche de leurs compagnes. Ah l’amour !!! Quant à mes sixpèdes argentés, ils migrent le plus au septentrion car la saison de la chasse pour leurs fourrures va bientôt commencer et qu’ils savent la crainte de leurs prédateurs pour le givre et la neige. Mes pouloïdes eux paissent grassement et s’enflent des pis pour l’hiver et mes médorchats ronronnent au coin des feux de leurs maîtres. Rien ne change donc si ce n’est que tout doit changer avec la politique de ma petite Utula qui admire tant tes autocrates qu’elle veut toujours importer leurs méthodes pour accroître ses pouvoirs. Je crains le pire et je compterai sur toi pour alors me conseiller.
Ma tendre Gaïa, je t’enserre de mille bras de mes mers, je t’embrasse de mille bouches de mes volcans et je t’enlace de mille rubans de mes aurores boréales.
Ton Aurore