Mélangeant violence, sentiments et musique, Gilles Lellouche a tourné un film ambitieux, à la fois polar noir et comédie romantique, fresque lyrique qui avait été sélectionnée au Festival de Cannes.
Avec sa bande de nageurs dépressifs, Gilles Lellouche avait fait plonger 4,5 millions de spectateurs dans « Le grand bain », film tendre et réjouissant. Mais son grand projet, depuis qu’il avait lu il y a dix-sept ans le premier roman de Neville Thompson, « L’Amour ouf », était de l’adapter au cinéma. Chose enfin faite avec ce film sélectionné en compétition au Festival de Cannes (sortie le 16 octobre), coécrit avec Ahmed Hamidi et Audrey Diwan (réalisatrice de « L’Evènement » et « Emmanuelle »). Un long-métrage que Lellouche considère comme « une déclaration d’amour à l’amour, une déclaration d’amour au cinéma ».
Si le livre se déroule en Irlande, c’est dans le Nord de la France, dans une cité portuaire, qu’il a déplacé son récit. Une ville où vit Jacqueline dite Jackie (jouée par Mallory Wanecque), orpheline de mère depuis gamine, jeune fille plutôt sérieuse, désormais lycéenne qui débarque dans un nouveau bahut après avoir quand même été virée du précédent pour insolence. Dès le premier jour, elle tombe sur une bande de jeunes zonards chambreurs, à l’entrée du lycée ; la plus grande gueule s’appelle Clotaire (c’est quoi ce prénom !?), jeune branleur à mobylette (interprété par Malik Frikah). Ils commencent par gentiment s’insulter avant de ne plus se lâcher.
« Bien, c’est pas suffisant »
Cheveux ras, tête de voyou, gamin bagarreur, Clotaire est un môme qui a la rage, son père docker lui assénant pour toute leçon de vie que « Le joli, ça sert à rien ». Le délinquant en puissance ne se limite pas au vol de flanby, mauvaises fréquentations, mauvais coups, le jeune con vire mauvais garçon, conneries de plus en plus grandes, de plus en plus dangereuses, jusqu’à être impliqué dans la mort d’un convoyeur de fonds. Condamné, emprisonné, il passe une dizaine d’années derrière les barreaux.
Avec sa sortie commence la deuxième partie du film ; on retrouve les mêmes personnages, Jackie et Clotaire, interprétés alors par un autre duo d’acteurs plus âgés, Adèle Exarchopoulos et François Civil. L’ex-taulard n’a que trois idées en tête, « rattraper le temps perdu », se venger et retrouver sa Jackie. Fou d’amour, il a eu le temps en prison de rechercher dans le dictionnaire 457 mots pour définir sa chérie, qu’il ignore mal mariée, malheureuse malgré elle, mais sait que pour elle « bien, c’est pas suffisant ».
Séquences filmées comme des clips
Etalé entre deux époques, deux éclipses, « L’Amour ouf » commence comme un film d’action mais verse vite dans le romantisme ; la première partie est un film d’adolescence, de premier amour, emporté dans sa fougue par l’intensité des deux jeunes acteurs, Mallory Wanecque et Malik Frikah. Les héros sont entourés d’un beau casting dans les seconds rôles, dont Alain Chabat en père veuf aussi cool que possible, Benoît Poelvoorde en parrain local chanteur de thé dansant, Jean-Pascal Zadi (le seul personnage qui donne une note d’humour), Vincent Lacoste, Elodie Bouchez, Karim Leklou, Raphaël Quenard…
Sous influence du cinéma américain, Gilles Lellouche avait l’ambition d’un grand film (35 millions de budget), il a ainsi tourné une fresque lyrique, film de voyou et comédie romantique en même temps, polar noir et romance à l’eau-de- rose, mélangeant des scènes de violence, des sentiments passionnés, et même quelques séquences dansées filmées comme des clips, le rock des années 80 puis le rap résonnant dans ce film où tout est trop, même la durée (2H46). Mais il y a du souffle dans la mise en scène de ce récit qui bouscule les règles ; et après tout, comme il est dit dans le film, « le sacrilège est le meilleur des alibis ».
Patrick TARDIT
« L’Amour ouf », un film de Gilles Lellouche, avec Adèle Exarchopoulos, Mallory Wanecque, Malik Frikah, et François Civil (sortie le 16 octobre).