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C’est bien « La fille de son père »

Tout comme dans « Perdrix », premier film de Erwan Le Duc, tourné dans les Vosges, il y a dans celui-ci de la poésie et du burlesque, de l’humour et de la sensibilité.

Céleste Brunnquell et Nahuel Pérez Biscayart jouent une fille et son père, très proches l’un de l’autre, mais qui vont devoir se séparer.

Avec « Perdrix », son gendarme amoureux et ses nudistes activistes dans les rues de Plombières-les-Bains, Erwan Le Duc nous avait enchanté. Après les Vosges, c’est à Metz et Nancy qu’il a tourné des séquences de son second long-métrage, « La fille de son père », soutenu lui aussi par la Région Grand Est (sortie le 20 décembre). Un film qui commence par une rencontre amoureuse en musique, la foudre ayant frappé deux jeunes gens de 20 ans, Etienne (Nahuel Pérez Biscayart) et Valérie (Mercedes Dassy).

Lorsque des mois plus tard, Valérie disparait sans prévenir, il reste de cette idylle un coup de pinceau rouge sur un ballon de foot et un bébé, une toute petite fille, Rosa. Une fois passé le chagrin, Etienne met son mouchoir sur cet abandon et décide qu’il va élever seul sa fille, mener une vie familiale à deux, et octroyer à son enfant un amour paternel, sans conditions, pour toujours. Dix-sept ans après, il est le jeune père enthousiaste d’une adolescente, jouée par Céleste Brunnquell (vue récemment dans « Fifi », tourné à Nancy) mélange de fragilité et de dureté.

Une tranquillité perturbée

Fille et père ont grandi ensemble, et le héros du film serait plutôt le père, qui assure son rôle sans faiblir. Dans cette vie tranquille s’est glissé le copain de mademoiselle, Youssef (Mohammed Louridi), apprenti écrivain qui entre et sort par la fenêtre, dort en bas du lit de Rosa, et observe cette famille monoparentale pour en faire « un poème épique ».

Erwan Le Duc, qui fut journaliste sportif pour Le Monde, fabrique un cinéma décalé, au ton vraiment singulier.

Mais trois événements vont perturber leur équilibre. Coach d’une équipe de foot, Etienne apprend par madame la maire (Noémie Lvovsky) que le terrain, où il repasse du blanc sur les lignes blanches, va être remplacé par une forêt, pour plaire à l’électorat écolo-bobo. Sur une image furtive de « Thalassa », il reconnaît sa Valérie parmi le public d’une compétition de surf au Portugal. Et sa chère fille est acceptée à l’Ecole des Beaux-Arts de Metz, à trois cents kilomètres de chez eux.

Tendresse et fantaisie

Future artiste, Rosa peint de grandes toiles colorées, doit tenir ça de sa mère qu’elle ne connait pas. Elle est bien, cette « Fille de son père » qui prend soin de son paternel, plus mature que lui. « T’es pas prêt, papa », lui dit-elle, plutôt sérieuse alors qu’elle n’a presque plus 17 ans. Il a pourtant une amoureuse (Maud Wyler, vue dans « Perdrix ») qui se réjouit d’une nouvelle vie de couple possible, mais il n’est pas encore prêt à vivre sans sa fille ; d’ailleurs il fait un aller-retour à Metz pour mesurer temps et distance qui les séparent, et jeter un œil à la future école de sa môme.

Erwan Le Duc, qui fut journaliste sportif pour Le Monde, a trois K pour références : Keaton, Kaurismäki, Kitano. S’il nous avait aussi amusé avec la série « Sous contrôle » (avec Léa Drucker en ministre des Affaires étrangères), il injecte de la poésie et du burlesque dans sa mise en scène, recherche un « enchantement du réel », fabrique un cinéma décalé, mélange de sensibilité et d’humour, de tendresse et de fantaisie, au ton vraiment singulier. Présenté en clôture de la Semaine de la Critique à Cannes, « La fille de son père » est aussi un mode d’emploi pour l’émancipation d’une jeune fille, ou comment la laisser vivre sa vie, car « Il n’y a pas d’amour perdu ».

Patrick TARDIT

« Céleste a amené beaucoup de douceur et d’intelligence à son personnage »

« Perdrix » était présenté comme une « comédie amoureuse », « La fille de son père » est aussi une « comédie amoureuse », mais d’un amour plutôt filial et paternel…

Erwan Le Duc : Oui, effectivement, l’idée de départ c’est de raconter cette relation entre un parent et son enfant, entre un père et cette fille, raconter cet amour inconditionnel, et aussi l’emprise que ça peut poser au bout d’un moment, ce côté un peu fusionnel. Et puis de voir comment il arrive à en sortir, de raconter le moment où ils doivent se séparer et chacun aller faire sa vie.

Erwan Le Duc : « L’idée de départ c’est de raconter cette relation entre un père et sa fille, cet amour inconditionnel, et aussi l’emprise que ça peut poser au bout d’un moment ».

Pour « Perdrix » déjà, vous recherchiez à créer un « enchantement du réel », et dans ce film aussi c’est le cas, vous mettez à la fois de la poésie et du burlesque dans votre mise-en-scène…

Oui, c’est quelque chose qui m’intéresse, cette idée de l’enchantement du réel et que dans le quotidien le plus prosaïque peut surgir à tout moment quelque chose de merveilleux, non seulement on n’est jamais à l’abri de ça, que ce soit quelque chose qui puisse être une émotion très forte mais qui puisse aussi être du burlesque et de l’humour. Il y a des petits gags dans le film qui servent à ça, qui sont des pas de côté, mais qui racontent toujours quelque chose du personnage ou de la situation, et il y a aussi d’autres moments qui vont vers le surréalisme, mais qui ne sont pas non plus éloignés du réel. Je pense par exemple à la scène où pendant qu’il passe un examen pour devenir entraîneur de football, comme il est avec son bébé qui pleure tout le temps, les examinateurs se mettent à chanter une berceuse avec lui pour que l’enfant se calme. C’est une scène qui va vers le merveilleux et qui répond à ce qu’Etienne dit à propos de sa fille, qu’avec cet enfant il savait qu’il allait vivre quelque chose d’extraordinaire.

« J’ai gardé une tendresse pour les entraîneurs »

Pourquoi avez-vous choisi Céleste Brunnquell pour le rôle de Rosa, cette fille très proche de son père ?

On a fait un casting très simplement, on a fait plusieurs essais avec elle, et assez vite elle s’est imposée par l’interprétation qu’elle proposait du personnage. Céleste a amené beaucoup de douceur et beaucoup d’intelligence au personnage, et une dimension supplémentaire, elle l’a amené ailleurs. Sur le papier, c’est un personnage assez dur, qui a quelque chose de très affirmé, qui ne laisse pas grand-chose l’atteindre. Céleste a amené beaucoup d’émotion à cette Rosa, et en plus une très belle relation aussi avec Nahuel Pérez Biscayart qui joue son père, c’était très heureux, ils fonctionnaient vraiment très bien ensemble.

Vous faites d’Etienne un entraîneur d’une équipe de foot amateur, est-ce que c’est en référence à votre passé de journaliste sportif ?

Ca vient un peu de là, ça vient surtout de mon passé de modeste joueur quand j’étais jeune, adolescent notamment, où j’ai beaucoup joué dans des petits clubs comme celui que dirige Etienne. J’ai gardé une certaine tendresse pour les divers entraîneurs que j’ai pu croiser à cette époque. C’était souvent des gens très impliqués, passionnés, qui débordaient d’énergie, et qui parfois allaient un peu trop loin dans leur engagement, c’était vraiment leur vie, ils faisaient tout dans le club. Je trouve que ce sont des personnages touchants, Etienne amène en plus une dimension philosophique de leçon de vie, même s’il est un peu tout seul dans son délire, il prend son rôle d’éducateur très à cœur.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« La fille de son père », un film de Erwan Le Duc, avec Céleste Brunnquell, Nahuel Pérez Biscayart, et Maud Wyler (sortie le 20 décembre).

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