C’est une vision sombre que donne du pays le cinéma iranien contemporain, et le film de Abbas Amini n’échappe pas à cette règle.
Observateurs de leur pays, les cinéastes iraniens donnent au monde extérieur une vision assez noire de l’Iran d’aujourd’hui. Derniers exemples, « Le diable n’existe pas » de Mohammad Rasoulof, le bouleversant « Un héros » de Asghar Farhadi, le secouant « La loi de Téhéran » de Saeed Roustayi, Grand Prix au Festival du film policier Reims Polar, qui a également décerné le Prix du Jury à un autre long-métrage iranien, « Marché noir » (« The slaughterhouse », sortie le 5 janvier), film de Abbas Amini qui n’échappe pas à cette règle, à cette noirceur.
Déjà, le décor principal n’y est pas engageant, un abattoir, où parmi les bestiaux pendus aux crochets, sont découverts trois cadavres humains, trois hommes enfermés dans une chambre froide, gelés. Paniqué, le vieux gardien de l’entrepôt fait venir son fils à la rescousse, pour le sortir de cette situation. « Tu es mon fils », dit-il à Amir, jeune homme qui ne peut faire autrement que de l’aider. De retour dans sa famille, désoeuvré et sans ressource, Amir a fait de la prison, était parti en Europe, a passé deux ans à Calais, dans un camp de réfugiés, puis le migrant a été expulsé, renvoyé dans son pays.
Un trafic de dollars américain
Avec son père et le patron de celui-ci, ils cachent les corps dans un trou, les enterrent pendant la nuit. Après cette première « mission », Amir travaille pour ce patron aux affaires plutôt louches, qui a des problèmes avec la banque et des associés qui le lâchent. Amir fait chauffeur et homme à tout faire, comme l’achat de bétail, de viande, qui camoufle en fait un trafic de dollars. A Téhéran, où les Etats-Unis sont toujours considérés comme le Grand Satan, on échange dans la rue des €uros et des dollars, tout s’achète et se vend, et la monnaie américaine est bien la valeur la plus chère et la plus recherchée.
« Marché noir » est un film tendu, âpre ; des scènes anodines, un match de foot, un repas en famille, deviennent des affrontements ; une procession funèbre, en barques sur un fleuve, impose le respect ; et Abbas Amini injecte des séquences fortes et intenses, notamment sur les marchés clandestins, où les transactions se font dans la cohue et la nervosité. Amir y prend sa part, même s’il ne peut s’empêcher de se sentir coupable, mal à l’aise, alors que les disparus sont recherchés par leur famille. Noir, « Marché noir » l’est incontestablement, du début jusqu’à la fin.
Patrick TARDIT
« Marché noir », un film de Abbas Amini (sortie le 5 janvier).