« C’est un film sur la confiance en soi, sur l’estime de soi », confie la comédienne, petite sœur de Ramzy, qui a coécrit le long-métrage de Katia Lewkowics. « J’ai mis beaucoup de moi dans l’histoire », dit-elle.
« Forte », le film de Katia Lewkowics avec Melha Bedia, devait sortir le 18 mars au cinéma. Faute de le voir sur grand écran, pour cause de fermeture actuelle des cinémas, « Forte » sera finalement diffusé en exclusivité sur Amazon Prime Vidéo, à partir du 15 avril. Rencontre avec Melha Bedia, lors de l’avant-première du film à l’UGC Ludres. Rencontre avec Melha Bedia, lors de l’avant-première du film à l’UGC Ludres.
« 20 kilos en trop et un bonnet en guise de coupe de cheveux », Nour est une jeune fille trop « pote » avec les garçons, pas assez féminine, une fille pas assez fille pour ne pas se prendre des rateaux. Incarnée par Melha Bedia, Nour est « une petite grosse », Nour est « Forte », titre du film de Katia Lewkowics (« Pourquoi tu pleures ? », « Tiens-toi droite »). Petite soeur de Ramzy, Melha Bedia est à l’origine de cette histoire, dont elle est aussi coscénariste.
Entourée de ses meilleurs amis, la toute fine Adèle (Alison Wheeler) mère célibataire qui a du mal à garder un mec, et Steph (Bastien Ughetto) qui hésite encore entre filles ou garçons, Nour décide finalement de changer, de se changer, et de se mettre à la pole dance. Elle va suivre les cours de Sissi, jouée par Valérie Lemercier, dotée d’un passé un peu louche et de toute la panoplie (faux cheveux, faux-cils, faux ongles), prof qui plus que d’astuces pour évoluer autour de la barre lui donnera le meilleur des conseils : « N’abandonne jamais ».
Nour est « Forte », et ce titre à double sens a été trouvé par la réalisatrice, car Nour est forte de caractère aussi. La morale de ce film sur la différence est que « l’important c’est d’être soi-même », mais cette inoffensive comédie reste superficielle et ne traite pas vraiment le vrai sujet, la férocité du regard des autres.
« Quand tu es bien dans ta peau, tu es bien dans ta peau »
La réalisatrice Katia Lewkowics précise que le but de ce film n’était pas de faire « un manifeste féministe » mais plutôt d’aller vers l’humour, c’était votre idée en l’écrivant ?
Melha Bedia : Complètement, est-ce qu’il s’agit d’un film féministe, est-ce que le propos est féministe, on est tous féministes, moi c’est naturel, je n’ai pas à le mentionner. Katia Lewkowics, Alison Wheeler, Valérie Lemercier, on a tous le même avis sur ça, on est féministes mais on n’a plus besoin de le seriner. Bien sûr, c’est un film sur les gens qui ne sont pas vraiment dans les normes, sur ce que la société nous renvoie, on parle beaucoup des femmes qui galèrent, mais il y a aussi les hommes. J’ai beaucoup de potes qui galèrent, dans notre génération on n’a pas forcément le mode d’emploi pour être une femme ou un homme, c’est ce qu’on a essayé de raconter dans ce film avec des gens réels, pour une fois.
Vous étiez autant garçon manqué que votre personnage, plutôt foot que pole dance ?
Complètement, j’ai mis beaucoup de moi dans l’histoire, je jouais au foot, encore maintenant. J’étais au PSG pour les filles, j’allais entamer une carrière de football féminin aux Etats-Unis, mais ma mère a dit non. Oui, j’ai voulu mettre beaucoup de moi pour que ce soit le plus sincère possible, j’ai préféré partir de moi et de mes potes pour essayer de faire un film le plus générationnel possible, parce que tous les films sur les jeunes, ça nous correspond rarement, on se sent rarement représentés. C’est le premier biopic d’une personne encore pas trop connue mais encore vivante.
Au début du film, votre personnage, Nour, assume son physique…
C’est un film sur la confiance en soi, sur l’estime de soi, c’est ce qui m’est arrivé dans la vraie vie. C’est plus les autres, ton entourage et la société qui te bousculent, qui te font remarquer que tu n’es pas dans les normes, si les gens ne t’en parlent pas et si la société ne te renvoie pas une mauvaise image, tu ne t’en rends pas compte. Quand tu es bien dans ta peau, tu es bien dans ta peau. Après, c’est une galère quotidienne pour tout le monde, pas que quand t’es gros, quand t’es myope, ou quand t’es arabe.
« J’ai fait de mes bourrelets une force »
Mais on vous sent plutôt à l’aise avec ça ?
J’étais complètement obèse, j’ai maigri mais j’étais à 106 kilos. Après j’en avais fait une force, parce que je suis humoriste et que j’ai de la chance, quand je fais des blagues sur les gros, que j’appelle mon spectacle « Fat and furious », que j’en parle librement, je m’auto-charrie et m’auto-vanne, ça va pour moi. Mais je connais plein de gens qui n’ont pas la chance de monter sur scène, d’avoir un peu de répartie, et je pense à ces gens quand ils rentrent chez eux et regardent une comédie romantique avec une belle blonde, ils ne se reconnaissent pas, sur les réseaux sociaux toutes les copines ont plus de like, dans les magazines de mode il n’y a aucune fille qui te ressemble, ça devient compliqué. Moi, je suis un peu un cas à part, j’ai fait de mes bourrelets une force, mais quand tu n’as pas l’humour, c’est compliqué quand tu as treize-quatorze ans, il y a des gens qui vont te charrier, qui vont mal te parler, qui vont te juger, c’est horrible, notamment à l’école.
Il y a quelques semaines, « Télérama » faisait une couverture remarquée sur la grossophobie, et les témoignages y évoquaient des insultes, des rejets…
Il y a deux ans, je ne savais pas ce que c’était la grossophobie, c’est nouveau mais ça a toujours existé. J’ai plein de copines qui font égérie, qui font des couvertures de magazine, et j’ai aussi d’autres copines qui sont différentes, actrices, et qui n’auront jamais de couverture ; je n’aurai jamais de couverture d’un magazine féminin, parce qu’il y a les annonceurs, la pub, ça ne donne pas une belle image, une grosse c’est pas bon pour faire vendre… J’en veux beaucoup à la presse féminine, à la mode, aux réseaux sociaux.
Le dossier de « Télérama », un documentaire sur France 2, votre film… vous trouvez que les choses évoluent dans les médias, qu’il y a une conjonction ?
J’ai l’impression que les planètes des gros s’alignent. Je fais partie de cette minorité mais j’ai d’autres minorités, quand ce sera le tour des myopes je serai là, quand ce sera le tour des vierges je serai là, les arabes, les musulmans… J’accumule, plein de minorités ça devient la majorité. En tout cas, sur le corps et le fait d’en parler c’est en train de bouger. Je n’ai aucune velléité à me dire que ce film va aider les gens et des générations entières, mais si certains arrivent à se reconnaître c’est cool. Moi je me suis reconnue dans très peu de films.
« Mon frère me voyait à l’ENA »
Après avoir été seule en scène, vous aviez envie de passer au cinéma ?
J’ai eu la chance de commencer le cinéma, avec des petits rôles, avant de monter sur scène. J’ai mis vraiment du temps à écrire mon spectacle, parce que mon frère ne voulait pas que je fasse ce métier, j’avais des bonnes notes à l’école et il me voyait à l’ENA. J’ai fait deux ans de tournée en première partie de Diam’s et j’ai appris la scène avec elle. J’ai commencé avec un premier rôle dans une série, « Les Lascars » sur Canal+, ensuite j’ai fait un premier film avec Marc Lavoine, « A toute épreuve », et des rôles dans « Tout schuss », « Pataya »… J’ai vraiment mis un petit doigt de pied dans le cinéma avant de monter sur scène, et je vais reprendre mon spectacle à la rentrée, parce que pour moi c’est vital.
Désormais, Ramzy a mieux accepté votre choix ?
Oui, il est très content, il est fier, mais il a été dur avec moi.
C’était obligatoire de le faire jouer dans le film ?
Je n’ai pas eu le choix. Je pensais à Didier Bourdon pour le rôle, parce que je suis fan, et un matin ma mère a appelé Katia et lui a dit : Mais tu vas prendre mon fils aussi. C’est la première fois que j’ai pistonné Ramzy, ça fait plaisir.
Pour les séquences de pole dance, vous avez suivi un entraînement, tout comme Valérie Lemercier ?
J’ai fait six mois de pole dance, c’est tellement dur. J’avais tellement d’a priori sur ces filles, j’ai trouvé une bienveillance, une sororité entre les filles qui m’ont aidé, on s’est entraidées, on s’est appris des choses, et surtout j’ai rencontré des filles qui m’ont bouleversé, il y avait de tous les milieux sociaux, de tous les corps, c’était génial, ça m’a beaucoup appris. Valérie est danseuse depuis quinze ans, elle est douée et très élancée, elle est très très forte, en trois fois elle a tout réussi, alors que moi j’ai pris plus de temps, je pense que j’ai perdu cinq couches de peau.
Une phrase revient plusieurs fois dans le film, « J’ai un CDI », c’est devenu si extraordinaire ?
On le voit dans toutes les familles, c’est un truc qui vient de la génération d’avant, quand tu as un CDI tu peux construire ta vie, acheter un appart… Quand tu es en intérim, quand tu cherches un taf, ou quand tu es artiste, pour les parents ta vie n’est pas tracée. Pour une maman, sa fille doit avoir le bac, passer le permis, trouver un garçon, se marier, acheter une maison, un labrador… et voilà.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« Forte », un film de Katia Lewkowics avec Melha Bedia, Valérie Lemercier et Alison Wheeler (Amazon Prime Vidéo).