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Deauville : improbables amis et misérables citoyens

Le Festival du Cinéma Américain a décerné trois récompenses à « Bull », film d’Annie Silverstein, où une ado paumée est sauvée par un vieux champion de rodéo.

« Bull », premier long-métrage d’Annie Silverstein, a reçu trois récompenses : le Grand Prix, le Prix de la Révélation, et le Prix de la Critique.

Deauville, ses planches, ses parasols, sa plage, son hippodrome… et son Festival du Cinéma Américain, dont la 45ème édition vient de s’achever. Depuis vingt-cinq ans, le festival normand organise une compétition qui récompense le cinéma américain indépendant, et a ainsi permis la découverte ou l’émergence de nombreux jeunes cinéastes. Bien loin des clichés des grandes comédies romantiques ou des effets spéciaux des blockbusters, ce cinéma aborde bien souvent des sujets assez dramatiques, violence, racisme, misère sociale, drogue, abus… Un cauchemar américain, avec pour personnages des oubliés, des rejetés, des laissés-pour-compte.

Cette année encore, c’est une telle Amérique qui était montrée dans les films en compétition, mais au palmarès de ce 45ème Festival on retrouve aussi des films qui ne sombrent pas dans le misérabilisme, et où perce même une lueur d’espoir. Ainsi le grand gagnant, « Bull », premier long-métrage d’Annie Silverstein, qui a reçu trois récompenses : le Grand Prix, le Prix de la Révélation, et le Prix de la Critique. Pourtant, cela commence banalement dans une triste banlieue du Texas, où s’ennuie une gamine de 14 ans (formidablement incarnée par Amber Havard). Une môme paumée, dont la mère est en prison, recueillie avec sa petite sœur par leur grand-mère un peu dépassée. Bêtise d’ado, elle participe à la mise à sac de la maison du voisin, un vieil homme en fin de carrière dans les rodéos. C’est dans cet univers de cow-boy que le voisin va la faire entrer, d’abord comme une punition, puis un monde où elle trouve une place. « Bull » est ainsi une tendre et improbable histoire d’amitié entre un vieux noir au corps cassé et une gamine blanche qui va grandir à son contact ; plutôt que de suivre la voie tracée de la délinquance, la jeune fille va se diriger vers la lumière et une autre vie.

« Passion et amour pour le cinéma français »

Prix du Jury ex-aequo, le film de Michael Angelo Covino, « The Climb », est une belle histoire d’amitié entre deux grands gaillards.

C’est une autre belle histoire d’amitié qui a été récompensée avec « The Climb », de Michael Angelo Covino, Prix du Jury ex-aequo avec « The Lighthouse » de Robert Eggers. « Nous avons fait ce film avec beaucoup de passion et d’amour pour le cinéma français », disait le réalisateur avant la projection. « L’intention du film est d’être marrant, mais peut-être non, c’est aussi un drame », ajoutait son compère Kyle Marvin, également acteur et co-scénariste du film. S’il contient effectivement de nombreuses références à la culture française, c’est sur une route de montagne des Alpilles que s’ouvre « The Climb » ; deux cyclistes américains peinent à monter, l’un va se marier, l’autre lui avoue qu’il a couché avec la future épouse de son pote. La séquence suivante enchaîne avec un enterrement, et tout ce film mélange ainsi humour et drame au fil des années et d’une relation immuable entre deux grands gaillards.

En lui décernant son Prix, le public de Deauville a été sensible à une fable à laquelle on a envie de croire très fort, « The peanut butter falcon », de Tyler Nilson et Michael Schwartz. Là aussi, pourtant, les personnages principaux sont loin d’être des « winners » : Zak (pour qui le film a été écrit) est un jeune homme trisomique qui vit dans un foyer et veut devenir catcheur, Tyler (joué par Shia LaBeouf) est un pêcheur fauché et mal dans sa peau. Zak s’évade, Tyler est poursuivi, et les deux se retrouvent compagnons de route, ensemble pour une drôle équipée vers la Floride, et une belle aventure humaine, comme un petit goût de bonheur pour des parias.

Comme en écho à ce malaise de l’Amérique, c’est le malaise français qui est raconté dans le film de Ladj Ly, « Les Misérables », qui a reçu le Prix d’Ornano-Valenti, décerné à un premier film français, « dans le but d’aider à sa reconnaissance, sa promotion et son exportation ». Prix du Jury au Festival de Cannes, ce film a été tourné à Montfermeil dans le 93, et montre ainsi « les tensions entre les différents groupes du quartier ».

Pierce Brosnan, Johnny Depp, Kristen Stewart…

Veste blanche et nœud-pap, Johnny Depp s’est montré quelque peu embarrassé par l’hommage qui lui était rendu.

Deauville, ses planches, et ses stars qui viennent inaugurer une cabine de plage à leur nom. En une dizaine de jours (du 6 au 15 septembre), le Festival aura accueilli cette fois encore de grands noms du cinéma américain, à commencer par Pierce Brosnan, l’ancien James Bond. « Je suis très touché, très ému, peut-être c’est un peu trop », disait quelques jours plus tard Johnny Depp, en veste blanche et nœud-pap, embarrassé par l’hommage qui lui était rendu ; avant la projection de « Waiting for the Barbarians » de Ciro Guerra, dans lequel le papa de Lily-Rose joue un méchant militaire.

Membre du jury, le chanteur OrelSan aurait presque fait rougir avec son discours la royale Sophie Turner, qui incarne Sansa Stark dans la série « Game of Thrones » (l’intégralité de la série était d’ailleurs projetée à Deauville). La divine Geena Davis a présenté le documentaire féministe « Tout peut changer », réalisé par Tom Donahue. La glamour Sienna Miller incarne une mère courage et femme indépendante dans « American Woman » de Jake Scott. Et pour finir, c’est la fiancée du vampire de la saga « Twilight », Kristen Stewart qui créait de l’agitation parmi ses fans. La comédienne incarne l’actrice Jean Seberg dans un film de Benedict Andrews, « Seberg », et participe à une imposture littéraire dans « JT LeRoy » de Justin Kelly. Pour lui rendre hommage, il n’y avait pas mieux que le cinéaste français Olivier Assayas, avec qui elle a tourné (« Sils Maria », « Personal shopper »).

Patrick TARDIT

Palmarès

Le Jury de la 45e édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville, présidé par Catherine Deneuve, entourée de Antonin Baudry, Claire Burger, Jean-Pierre Duret, Valeria Golino, Vicky Krieps, Gaël Morel, OrelSan, Nicolas Saada et Gaspard Ulliel a décerné les prix suivants :

Grand Prix – BULL de Annie Silverstein (Distribution : Sony Pictures Releasing)

Deux Prix du Jury ont été attribués – THE CLIMB de Michael Angelo Covino (Distribution France : Metropolitan FilmExport) THE LIGHTHOUSE de Robert Eggers (Distribution France : Universal Pictures France).

Prix Spécial du 45e – SWALLOW de Carlo Mirabella-Davis (Distribution France : UFO Distribution).

Le Jury de la Révélation, présidé par Anna Mouglalis, entouré de Alice Belaïdi, Damien Bonnard, Marie-Louise Khondji et Roman Kolinka a décerné son Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation 2019 : BULL de Annie Silverstein.

Le Jury de la Critique, composé de 5 journalistes, a décerné le Prix de la Critique – BULL de Annie Silverstein.

Le Prix du Public de la ville de Deauville a été remis au film suivant : THE PEANUT BUTTER FALCON de Tyler Nilson & Michael Schwartz (Distribution : ACE Entertainment).

Prix Littéraire Lucien Barrière – Rae DelBianco pour son roman À SANG PERDU.

Prix d’Ornano-Valenti – LES MISÉRABLES de Ladj Ly (Distribution France : Le Pacte).
Prix du 45e Festival de Deauville – CUBAN NETWORK de Olivier Assayas (Distribution France : Memento Films).

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