« Mes films montrent des gens au travail ou des gens qui n’en ont plus », confie le cinéaste Pierre Jolivet, qui a tourné une « comédie sentimentale et sociale » avec un couple de coiffeurs joué par Alice Belaïdi et Arthur Dupont.
« Je suis descendu en bas de chez moi, me faire couper les cheveux », raconte Pierre Jolivet, qui a trouvé dans un salon de coiffure l’idée de son nouveau film, « Victor et Celia » (sortie le 24 avril). C’est donc du récit d’un duo de jeunes coiffeurs, et toutes leurs difficultés pour ouvrir leur propre salon, de « la vraie vie de vrais gens », qu’est partie cette nouvelle histoire bien ancrée dans la société d’aujourd’hui, racontée par le cinéaste de « Fred », « Ma petite entreprise », « En plein coeur »…
Deux amis ont un projet de salon ensemble, mais le contrat à peine signé, Victor (joué par Arthur Dupont) se retrouve tout seul ; il tente alors de convaincre Celia (interprétée par Alice Belaïdi), une amie coiffeuse rencontrée dix ans plus tôt à l’école, de créer leur petite entreprise, d’être leur propre patron d’un salon ouvert dans une ancienne quincaillerie. Mais malgré les bons conseils du comptable (joué par Bénébar), Max qui fait des maximes, Victor et Celia découvrent que ce n’est pas si simple, la création d’entreprise : il faut faire avec la banque, les travaux, les soucis administratifs, la paperasse, les premières factures, les voisins…
« Les jeunes entrepreneurs sont dans l’idée de retrouver leur liberté, et surtout le plaisir. A trente ans, quand c’est votre passion, vous êtes indestructible, je voulais faire un film qui puise leur énergie pour la mettre sur l’écran », dit Pierre Jolivet, qui a aussi jeté son petit couple de coiffeurs dans les bras l’un de l’autre. « L’amour a pointé son nez dans cette comédie sociale, devenue comédie sentimentale », ajoute le réalisateur, qui signe ainsi un film « léger, vivant », entraîné par son couple de comédiens, Alice Belaïdi et Arthur Dupont, qui ont ce qu’il faut de charme et d’énergie.
Interview de Pierre Jolivet, aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer, où le film avait été présenté en avant-première.
Pierre Jolivet : « Il n’y a pas que les gilets jaunes et Carlos Ghosn »
« Victor et Celia » évoque un de vos films précédents, « Ma petite entreprise », mais avec le positivisme de ces jeunes qui veulent créer leur salon ?
Pierre Jolivet : En tout cas dans cette lignée, oui, il y a un mélange de « Ma petite entreprise » et de « Je crois que je l’aime » qui est une comédie sentimentale, quinze ans après je reviens vers ce genre de sujets. Mais le monde change tellement, il y a tellement de choses à raconter. Oui, il y a du positivisme parce qu’il faut en avoir quand on veut créer sa boîte et faire quelque chose de soi-même. Il n’y a pas en France que les gilets jaunes d’un côté et de l’autre côté Carlos Ghosn avec 1350 fois le smic par mois, il y a énormément de gens qui se défoncent, qui font des choses qui leur plaisent, c’est difficile mais ils y prennent du plaisir, il y a quelque chose de joyeux dans le fait de ne pas subir. J’aime bien ces personnages qui ne se plaignent jamais, ils bossent, ils avancent, et il y a énormément de gens comme ça ; ce ne sont pas des héros classiques de cinéma, où tout va très mal. Est-ce que ça va avoir un écho sur le grand public, je n’en sais rien du tout, c’est un pari, le film n’est pas politiquement correct de ce point de vue-là. Très souvent, les gens ont envie de créer quelque chose, qui leur permette de travailler et qui leur ressemble, qui ne soit pas a contrario de leur vie, mais c’est difficile à faire, c’est courageux.
Votre film met en scène des gens dans l’exercice de leur métier, dans leur vie quotidienne, ce qui a souvent été oublié par le cinéma français…
Ca a été oublié par La Nouvelle Vague surtout, les cinémas français et italien d’avant-guerre étaient basés sur un grand réalisme, on parlait beaucoup du monde du travail. Et puis La Nouvelle Vague est arrivée, qui est quand même un cinéma globalement très bourgeois, en dehors de Truffaut avec son premier film, « Les quatre cents coups », qui a un aspect très social, mais sinon très vite c’est un cinéma qui n’est pas du tout ancré dans la réalité sociale, elle a fait disparaitre ce cinéma-là, il faut attendre l’arrivée de Claude Sautet pour revenir à des gens qui travaillent et pour qui l’argent représente quelque chose. Mais peut-être que les gens apprécient aussi qu’on ne parle pas d’argent dans les films, beaucoup de gens sans doute vont au cinéma pour qu’on ne leur parle pas d’argent et ne veulent pas savoir comment les personnages gagnent leur vie.
« Il n’y a que les populistes et les ultra-libéraux pour être optimistes »
Votre film précédent, « Les hommes du feu », avait des pompiers pour personnages principaux, ici ce sont des coiffeurs, il y a une ligne sociale dans votre cinéma ?
Oui, mes films montrent des gens au travail ou montrent des gens qui n’ont plus de travail, et en souffrent existentiellement, que ce soit « Fred » avec Vincent Lindon ou « Jamais de la vie » avec Oliver Gourmet, ce sont des gens qu’on a privé de travail, c’est une amputation tragique. Mon plaisir c’est d’avoir été un des premiers à mettre les pieds dans le plat et à faire des films sociaux en France. D’ailleurs, dans cette révolte des gilets jaunes, j’ai été très ému par les premières semaines en tout cas, les premiers débats ; les gens ont oublié, mais l’annonce de l’augmentation des carburants arrive le lendemain des gros titres sur les grandes entreprises qui ont gagné plus de 20% et les patrons qui se sont augmenté de 17% !
Mais à ce fond social, vous avez rajouté une histoire sentimentale…
Vraiment, ce qui m’a le plus amusé, c’est de retrouver les réflexes des comédies sentimentales relativement classiques, en général un milliardaire qui rencontre une danseuse, des personnages hauts en couleurs socialement, qui ont des destins, et de donner à mes deux petits coiffeurs de banlieue des situations de comédie sentimentale de la même nature, ça me plaisait beaucoup. D’imaginer tout le temps Cary Grant et Katharine Hepburn à la place d’Arthur Dupont et Alice Belaïdi, et retrouver ce côté on se court après, on s’engueule, on se retrouve… c’est très ludique.
Vous qui observez le monde qui nous entoure pour vos films, comment voyez-vous la société aujourd’hui ?
Je suis plutôt pessimiste. Mais qui est optimiste, vous connaissez des gens optimistes aujourd’hui ? Il n’y a que les populistes et les ultra-libéraux pour être optimistes et être sûrs que ça va mieux, les gens normaux ne peuvent pas le penser.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« Victor et Celia », un film de Pierre Jolivet, avec Alice Belaïdi et Arthur Dupont (sortie le 24 avril).