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Je vous salue Notre-Dame de Paris : de l’émotion à la reconstruction d’un patrimoine mondial

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Le 15 avril 2019, Notre-Dame en feu.
Leighton Walter Kille, CC BY-SA

Anne Gombault, Kedge Business School

« Notre-Dame brûle et la France entière pleure et le monde entier aussi » déclare Monseigneur Michel Aupetit, Archevêque de Paris, bouleversé ce lundi 15 avril en fin de soirée. « Effroyable, effrayant, douloureux, une tragédie, un cauchemar, surnaturel », les afflictions se bousculent.

« Ce lieu ne laisse personne indifférent, quand vous rentrez dans cette cathédrale, vous êtes envahis… » résume Anne Hidalgo, la Maire de Paris, devant le monument en flammes. « On reconstruira » lui répond le Recteur de Notre Dame, « on reconstruira ».

La flèche de 93 mètres s’est effondrée, des pierres sont tombées, la toiture est détruite aux deux tiers, l’intérieur en partie abîmé ; la structure est sauvée, la façade et les deux tours sont debout, les œuvres d’art les plus précieuses ont été préservées, cinq cents sapeurs-pompiers ont bataillé.

Le gigantesque incendie de la Cathédrale Notre-Dame de Paris du 15 avril 2019 est un événement historique extraordinaire qui rappelle avec intensité la puissance symbolique des monuments nationaux de réputation mondiale et le dilemme de destruction-création dans lequel ils s’inscrivent.

Vers 19h20, la fumée obscurcit le soleil.
Jennifer Gallé, CC BY

Émoi patrimonial

La cathédrale Notre-Dame de Paris est un monument « superstar » total : une architecture exceptionnelle, des artefacts patrimoniaux réputés, une fréquentation par millions, attirant les touristes du monde entier, avec un impact substantiel sur l’économie locale et une importante offre commerciale périphérique.

Produisant une réputation favorable très élevée à valeur de ressource stratégique intangible inaliénable. Ce type de monument mêle cohésion culturelle, culture et histoire nationale dans une expérience vécue comme « totale » pour les visiteurs et la population qui l’entoure, en touchant à de nombreux pans de la société : histoire, culture, politique, économie, technologie.

Notre-Dame de Paris est d’abord un lieu cultuel exceptionnel presque millénaire de l’Église catholique et du christianisme. Joyau de l’art gothique aux innombrables trésors, dont la couronne d’épines, la tunique de Saint Louis, le grand orgue, les vitraux, les rosaces, les calices, les tableaux, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, cette merveille d’architecture présente des caractéristiques d’unicité et de symbolisme très élevées.

Le sacre de Napoléon, par Jacques Louis David, 1808. Musée du Louvre.
Wikipédia

Symbole national, elle a vu défiler une grande partie de l’histoire de France « fille aînée de l’église », tous les rois, le sacre de Napoléon, les obsèques du Général de Gaulle, Georges Pompidou et François Miterrand… Monument mythique de Paris qui a inspiré le célèbre roman de Victor Hugo qui en livra une vision romantique – son passage sur la « grande flamme qui montant entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles… » est repris en boucle dans tous les médias quelques heures après le départ de l’incendie comme si elle était prémonitoire et le roman est en tête des ventes ce matin sur Amazon.

La flèche en feu.
Guillaume Levrier, CC BY

En conséquence, élément attractif prioritaire (primary asset) de la destination France première du monde en volume, et de sa capitale Paris, point kilométrique zéro des routes de France, la « cathédrale des cathédrales » est un must, monument touristique le plus visité en Europe avec environ 14 millions de visiteurs en 2018.

On l’a bien vu avec les dizaines de messages de chefs d’État, les centaines de journalistes venus du monde entier réunis devant elle, les images de l’incendie diffusées sur toutes les télévisions, la déferlante de messages sur les réseaux sociaux : le rayonnement international de Notre-Dame est indéniable.

L’objet patrimonial suscite toujours des émotions, et l’émotion serait même la preuve du patrimoine, révélatrice de valeurs partagées : le fait qu’autant de personnes, soient bouleversées par l’incendie de Notre-Dame révèle la valeur positive collectivement attachée à l’ancienneté, l’unicité, l’authenticité, la beauté, la signification religieuse et politique du monument.

« Parce que Notre-Dame-de-Paris, c’est notre lieu, c’est notre histoire, notre littérature, notre imaginaire, le lieu où nous avons vécu tous nos grands moments […], c’est tant de livres, de peintures […] même celles et ceux qui n’y sont jamais venus, cette histoire c’est la nôtre », affirme le Président Emmanuel Macron dans son discours de 23h30 devant l’édifice qui brûle encore.

Responsables politiques, personnalités et médias s’expriment sur le même ton : « Notre cathédrale commune » rédige le soir même sur son blog Jean‑Luc Mélenchon, président du groupe LFI à l’Assemblée nationale, « notre grand livre d’histoire » dit Stéphane Bern, « Notre Drame » titre Libération.

« Théâtre de la mémoire », la cathédrale incendiée réveille un affect communautaire, traditionnellement liée à ce type de patrimoine, mélangeant sentimentalisme, nostalgie et nationalisme dans une forme particulière de lien au passé, habité par le culte de la préservation des monuments.

Les monuments nationaux suscitent des identifications affectives puissantes, qui soutiennent l’identité nationale et les relations internationales dans une fonction d’intégration. Ils mobilisent ainsi une conscience transculturelle, une économie et un corps politique « affectifs ». On laissera aux politologues le soin d’apprécier la portée réellement universelle de l’événement.

Reconstruction créatrice

« Fierté, parce que cette cathédrale, nous avons su l’édifier, et à travers les siècles la faire grandir et l’améliorer alors je vous le dis très solennellement ce soir, cette cathédrale nous la rebâtirons, tous ensemble […] Nous ferons appel aux plus grands talents […] Nous rebâtirons Notre-Dame » continue le Président Macron dans son discours, et beaucoup d’initiatives affluent dans les cinq heures à peine après le début de l’incendie pour reconstruire.

Dans la soirée et dans la nuit du 15 au 16 avril, une mobilisation exceptionnelle se met en place : Unesco, Fondation du Patrimoine, Souscription nationale et internationale, Association des Maires de France, élus, capitaines de l’industrie du luxe se manifestent. La Fondation François Pinault annonce un mécénat exceptionnel de 100 millions d’euros, tandis que LVMH et François Arnault surenchérit de 200 millions. Les particuliers veulent aider aussi, tous des bâtisseurs de cathédrale, dans un moment d’union sacrée de notre société profane. Il sera évidemment plus facile de lever des fonds et des énergies pour sauver Notre-Dame, un tel symbole, que pour bien d’autres monuments.

Prescriptions insuffisantes pour les travaux sur monuments historiques, manque de moyens alloués à leur préservation… les historiens d’art, comme Alexandre Gady ou Didier Rykner, en colère, pensent que l’incendie accidentel aurait pu être évité et que même si Notre-Dame de Paris va être « réparée », on « l’a perdue ».

Comme le rappelle l’analyse de Choay (1984) sur l’historien d’art Aloïs Riegl, le dilemme destruction/création ne peut jamais être tranché dans le domaine de la conservation du patrimoine. Il n’y existe pas de solution idéale, mais des solutions alternatives à la pertinence relative.

Avant l’incendie, pendant et après.
Leighton Kille., CC BY

L’incendie est parti depuis la charpente médiévale en chêne datant du XIIIe siècle, qui était en travaux. D’après les experts, elle ne sera probablement pas reconstruite à l’identique – cela représente une forêt de 1 300 chênes – mais sans nul doute de façon innovante en mobilisant des technologies modernes comme l’avait fait l’architecte Henri Deneux, avec la charpente en béton de la cathédrale de Reims, endommagée par les bombardements allemands qui avaient déclenché un incendie.

Les monuments en général, et particulièrement les monuments religieux, restent fragiles, exposés en premier lieu aux guerres, et à d’innombrables dommages et périls dont les incendies récurrents dans l’histoire des monuments, fréquents dans les églises avant l’invention des paratonnerres. Notre-Dame avait toujours été préservée pendant les périodes tourmentées de l’histoire de France, ni bombardements, à peine un départ d’incendie et un vol à déplorer. En mauvais état au XIXe, elle a déjà connu un important travail de restauration avec l’architecte Viollet-Le-Duc qui avait construit la flèche qui vient de s’effondrer, travail controversé comme souvent lorsque ce dilemme se pose, au motif qu’il trahissait le style de ses prédécesseurs pour trop imposer le sien.

La cathédrale de Reims en 1914.
Wikipédia, anonyme.

La création naît souvent de la destruction et l’incendie ouvre la voie à ce processus de « destruction créatrice » shumpéterien propre à l’innovation. « Il est dans notre nature de reconstruire encore plus fort » communiquait Barack Obama le soir même de l’incendie. Le patrimoine est désormais considéré par les politiques publiques comme une industrie créative par excellence qui permet un développement durable, économiquement viable, socialement équitable et respectueux de l’environnement. Ressource pour Paris et pour la France, inspiration pour le monde, la reconstruction sera un « chantier de cathédrale » exceptionnel, sans nul doute un levier de développement économique et social, voire politique.

Le développement des nouvelles technologies du patrimoine et la maturité technologique de Notre-Dame de Paris offrent, entre autres moyens, des enjeux et perspectives passionnantes pour cette innovation : la préservation digitale du monument pour l’éternité grâce aux images à ultra-haute définition, panoramiques et stéréoscopiques, ainsi qu’aux bibliothèques et archives numériques ; la révélation et la résolution éventuelle de certains « mystères » associés à la construction et aux symboles d’édifices religieux par l’imagerie spectrale, infra-rouge et ultra-violet, et aux scanners 3D ; la reconstruction de la cathédrale grâce aux dispositifs de balayage et de modélisation numériques ; la continuation des visites pendant les travaux pour tous, partout, et tout le temps via des applications, des dispositifs de réalité virtuelle ou par visiocasque. Les nombreux projets associant aujourd’hui les cathédrales aux dispositifs les plus avancés comme Cathédrale Numérique, e-Cathédrale, et Mapping Gothic France, témoignent de l’intérêt pour le numérique de la communauté scientifique, des pouvoirs publics et des publics au service d’une meilleure compréhension, préservation, restauration, et transmission patrimoniale.The Conversation

Anne Gombault, Professeur de management, directrice du centre de recherche Industries créatives Culture, Kedge Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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