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« Edmond Rostand, c’est Cyrano »

Il y a de la légèreté, de l’humour et du panache dans le film d’Alexis Michalik, où l’acteur Thomas Solivérès incarne « Edmond ».

Très bien écrit, ce film fait une transposition réussie de l’univers du théâtre au cinéma.
Très bien écrit, ce film fait une transposition réussie de l’univers du théâtre au cinéma.

Bien sûr, il y a la scène du balcon, la fameuse tirade du nez (« C’est un peu court, jeune homme… ») et bien d’autres choses en somme, car « Edmond », le film d’Alexis Michalik (sortie le 9 janvier), est bien plus qu’une nouvelle version de « Cyrano de Bergerac », c’est l’histoire de l’écriture et de la création de la pièce par un jeune poète qui n’a jusqu’alors fait que des fours, Edmond Rostand incarné par Thomas Solivérès.

« Cyrano est connu dans le monde entier, c’est la pièce française la plus jouée dans le monde, ce personnage a dépassé de loin et la pièce et l’auteur, peu de gens à part les spécialistes d’Edmond Rostand connaissent vraiment sa vie, c’était aussi une manière de braquer les projecteurs sur lui, et de prendre des libertés avec le personnage puisque peu de gens savent le vrai du faux », précise Alexis Michalik, acteur, auteur, metteur en scène, et désormais réalisateur.

Avec sa première pièce, « Le porteur d’histoire » (un feuilleton littéraire à la Dumas), il est devenu « le » dramaturge dont tout le monde parle ; et encore plus avec les suivantes, « Le cercle des illusionnistes », puis « Edmond » qui a triomphé au Théâtre du Palais Royal et remporté cinq Molière. « En fait, c’est venu progressivement, je n’avais pas de plan, j’ai commencé à monter un premier spectacle parce que j’avais envie, et puis un autre, et puis un autre… », dit-il.

« Edmond » se situe en 1897, alors que le grand acteur Constant Coquelin (joué par Olivier Gourmet) commande une pièce à Rostand : « Faites une comédie ! », lui dit-il. Assurément, répond l’auteur maudit, qui n’a encore qu’un titre et un personnage, « Cyrano de Bergerac ». Dans un véritable tourbillon, le film raconte ainsi un texte qui s’invente, les répétitions hasardeuses, une troupe qui se monte, des producteurs corses, une épouse jalouse (la délicieuse Alice de Lencquesaing), et un auteur tétanisé par la crainte de l’échec.

Le Paris de la Belle Epoque a été reconstitué à Prague : « Il fallait trouver un théâtre pour tourner pendant un mois, et on l’a trouvé en République Tchèque, du coup c’était logique qu’on continue là-bas », précise Alexis Michalik, qui a composé un formidable casting. Thomas Solivérès dans le rôle-titre, Olivier Gourmet qui joue l’acteur qui joue « Cyrano », Clémentine Célarié en Sarah Bernhardt, Mathilde Seigner en comédienne capricieuse, Antoine Duléry, Dominique Pinon, Simon Abkarian, Olivier Lejeune… et les jeunes Tom Leeb et Lucie Boujenah. « J’aime bien cette famille improbable », dit le réalisateur, qui a insufflé un esprit de troupe à toute cette bande.

Il y a de la légèreté, de l’énergie, du rythme et du panache, dans ce film très bien écrit, plaisant, amusant, avec une transposition réussie de l’univers du théâtre au cinéma, et à la fin de l’envoi, il touche !

Rencontre avec Alexis Michalik et Thomas Solivérès, lors de la présentation du film à l’UGC Nancy.

Alexis Michalik : « Cela fait quinze ans que j’ai ce film dans la tête »

"Mon ambition, c’est de faire du théâtre ou du cinéma populaire", confie Alexis Michalik.
« Mon ambition, c’est de faire du théâtre ou du cinéma populaire », confie Alexis Michalik.

Comment expliquez-vous le succès de « Cyrano de Bergerac » ?

Pour moi, la raison pour laquelle Cyrano est tellement populaire c’est qu’il est inattaquable, il a l’empathie de tout le monde immédiatement, il refuse le succès parce qu’il refuse le compromis. Malgré le fait qu’il soit brillant, talentueux, il est condamné au malheur parce qu’il ne supporte pas autre chose que le sublime. D’une certaine manière, il sait que si jamais il se dévoile à Roxane, il va rentrer dans le couple et le couple sera forcément le compromis, il préfère garder Roxane intacte. Or, à mon sens, il n’y a pas de succès sans compromis, la recette d’une histoire d’amour harmonieuse c’est aussi le compromis. C’est le romantisme, on préfère mourir d’amour que le moindre compromis sur le sublime. C’est la transposition de Cyrano dans Edmond, Edmond est dans ce compromis permanent avec la vie de famille, la vie quotidienne, il a besoin du sublime pour l’inspirer, et c’est Jeanne qui va l’inspirer et l’amener à se transcender.

Votre film a eu un parcours original, ce fut d’abord un scénario, qui a été refusé, puis une pièce, qui a servi de base au film…

Tout à fait, ça fait quinze ans que je l’ai dans la tête ce film. Le point de départ, la mèche qui s’allume, c’est en voyant « Shakespeare in love », je me suis dit que c’était génial de raconter l’histoire d’une création et d’un auteur. Quelques années plus tard, en relisant « Cyrano de Bergerac », un dossier pédagogique racontait que Rostand avait alors 29 ans, c’est fou il était si jeune, que personne ne croyait à cette pièce, tout le monde pensait qu’il allait se planter, et en fait ça a été un succès phénoménal dès la première. Je me suis dit que j’allais raconter la genèse de cette pièce, ça a muri, et il y a cinq-six ans, j’ai commencé à écrire, le scénario a été développé, on l’a proposé à plusieurs réalisateurs qui ont décliné l’histoire, on n’est pas parvenu à le financer, et je l’ai donc fait au théâtre ; ça a tellement marché que finalement les financements sont arrivés et on a pu faire le film.

Comment avez-vous mélangé les deux genres au tournage, le théâtre et le cinéma ?

Il n’y a qu’une seule scène vraiment où on sort du théâtre, c’est le couvent, je voulais qu’à ce moment-là on oublie qu’on est au théâtre. Mais à part ça, on est toujours dans le théâtre, il y a juste une façon de filmer très mobile, pour éviter le côté théâtre filmé, un peu posé, un peu ampoulé. Me sentir au théâtre pour moi, ce n’est pas quelque chose d’immobile, j’y ai vu des trucs merveilleux. Je voulais que les gens soient au théâtre, mais tel que j’aime le théâtre, tel que j’en ai une vision, extrêmement riche, mobile, et pleine de fantaisie.

Vous disiez qu’il n’y a pas de succès sans compromis, vous qui avez connu le succès au théâtre, quels compromis avez-vous fait ?

Des compromis permanents, tout le temps, c’est incessant, c’est choisir ses batailles, mais ce n’est pas grave, sinon on n’avance pas. Quand j’ai commencé à écrire ce scénario pour une boîte de production, je n’allais pas le réaliser, j’avais accepté cette idée-là, le fait est que cinq ans plus tard c’est moi qui l’ai réalisé ; ce compromis a permis à ce film de se faire, et c’est le cas à plein de moments de la vie.

Pour vous, « Edmond » était une façon de réinventer « Cyrano » sans jouer vraiment la pièce ?

Non, je ne raconte vraiment pas Cyrano, ç’est Edmond qui écrit Cyrano. Quand on écrit quelque chose on est forcément habité parce qu’on écrit ; à chaque fois que je raconte une histoire, je ne fais jamais d’autofiction, mais une fois que j’ai fini et que je regarde ce que j’ai écrit, il y a des thèmes qui ressortent et qui me touchent de près. Il y a beaucoup de choses en commun à la plupart de mes pièces, la quête du père, l’approbation… Quand Edmond écrit Cyrano, il y a des thématiques qui lui sont proches, c’est son fantasme.

Au théâtre et maintenant au cinéma, vous avez envie d’évoquer avec légèreté le patrimoine littéraire et théâtral auprès du grand public ?

Mon ambition, c’est de faire du théâtre ou du cinéma populaire, quelque chose qui est pour tout le monde, mais qui pour autant ne tire pas vers le bas, comme tous les gens qui font des choses populaires et exigeantes, comme Billy Wilder le faisait à l’époque, j’ai plein de modèles.

« Edmond » se déroule à l’époque du tout début du cinéma, qui risque alors de menacer l’existence même du théâtre…

Il y a une pression supplémentaire sur Edmond, c’est un truc qui vient de moi aussi, il s’autoflagellait beaucoup, c’est sa dernière chance, il y a une notion d’urgence, il faut absolument réussir quelque chose avant de mourir, et l’arrivée du cinéma rajoute à cette urgence. Je pense que j’avais ça aussi quand j’étais plus jeune, il fallait absolument que je sorte un chef d’œuvre, il y a ce flip du temps qui passe, c’est aussi un clin d’œil à un autre de mes spectacles, « Le cercle des illusionnistes », où je raconte la naissance du cinéma avec Méliès.

Et vous êtes un peu rassuré maintenant sur le succès ?

Oui, je suis beaucoup plus détendu.

Pourquoi avez-vous choisi d’incarner Feydeau dans votre film ?

Parce que j’adore ce personnage et que ça me faisait marrer de jouer cet auteur insupportable, c’était de l’autodérision. Et en fait, parce qu’un acteur m’a lâché un mois avant le tournage.

Thomas Solivérès : « J’ai lu tout ce que je pouvais sur Edmond Rostand »

Thomas Solivérès : "Ce n'est pas un film sur la vie d'Edmond Rostand, c'est une fiction réaliste".
Thomas Solivérès : « Ce n’est pas un film sur la vie d’Edmond Rostand, c’est une fiction réaliste ».

Dans quel état d’esprit avez-vous accepté de jouer dans ce film ?

J’ai vu la pièce après avoir lu le scénario, évidemment j’en avais entendu parler comme tout le monde. C’est génial d’avoir la chance d’être associé à ce genre de films qu’on ne voit pas tous les jours, notamment en France, des films d’époque avec autant de richesse, qui reste une comédie mais qui aborde tous les thèmes, l’héroïsme, l’humour, la bagarre. J’avais remarqué en voyant la pièce que tous les rôles, même les plus petits, ont quelque chose à défendre, à jouer. Je viens d’un cinéma beaucoup plus populaire moins exigeant, et forcément comme ça a marché là-dedans, les propositions qu’on m’a souvent donné c’était ce genre de comédies, du coup j’essaie aussi de sortir de là.

En préparant ce rôle, vous êtes devenu un spécialiste d’Edmond Rostand ?

Oui, j’ai lu tout ce que je pouvais lire sur lui, parce que même si le film n’est pas un biopic, ce n’est pas un film sur la vie d’Edmond Rostand, c’est une fiction réaliste, malgré tout c’était important pour moi, j’avais besoin de savoir de qui on parlait, de connaître l’homme qu’il était. J’ai eu la chance d’avoir accès à des documents vraiment très intéressants, par exemple des correspondances avec sa femme, des articles de presse, des lettres de son fils Jean, plein de choses qui m’ont permis d’affiner le personnage, de réfléchir à des couleurs à ajouter, j’ai pris un vrai plaisir à découvrir Edmond Rostand et à me plonger dans cette époque, le XIXème siècle, qui est une époque merveilleuse.

Edmond, votre personnage, est un peu lui aussi Cyrano, il réinvente la scène du balcon, il écrit les lettres d’un autre, il cache son identité…

Edmond Rostand, c’est Cyrano. Quand il écrit Cyrano, il parle beaucoup de lui dans la pièce, il se considérait comme un raté et il a toujours voulu rendre gloire à un anti-héros, il le fait avec Cyrano. Il était très complexé, très angoissé, et finalement le nez de Cyrano est un peu aussi lié à lui, il n’aimait pas trop son nez et surtout il avait un complexe sur sa calvitie naissante ; il était très élégant, très habillé, il avait toujours des chapeaux pour cacher sa calvitie, il ne se sentait pas très bien dans sa peau. Il a cherché à avoir le succès, et au final c’est presque ce succès qui l’a tué, tout ce qu’il a fait après n’aura jamais la gloire de Cyrano de Bergerac.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Edmond », un film d’Alexis Michalik, avec Thomas Solivérès (sortie le 9 janvier).

Alexis Michalik et Thomas Solivérès, lors de la présentation de "Edmond" en avant-première à l'UGC Nancy.
Alexis Michalik et Thomas Solivérès, lors de la présentation de « Edmond » en avant-première à l’UGC Nancy.
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