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« En liberté ! » : la fliquette et l’innocent

« J’aime les gens qui ont une fragilité, qui doutent un peu », confie le réalisateur Pierre Salvadori, qui a tourné une comédie fantaisiste avec Adèle Haenel et Pio Marmaï.

Adèle Haenel et Pio Marmaï jouent une inspectrice de police qui culpabilisent et un ex-taulard mal dans sa peau.
Adèle Haenel et Pio Marmaï jouent une inspectrice de police qui culpabilise et un ex-taulard mal dans sa peau.

C’est un film qui débute par une véritable scène d’action : un policier (joué par Vincent Elbaz) intervient avec panache dans la planque de trafiquants de drogue. En fait, c’est une version de l’histoire que raconte tous les soirs une maman à son fils, pour entretenir la légende du paternel, érigé en héros depuis sa mort. Ainsi commence donc le nouveau film de Pierre Salvadori, « En liberté » (sortie le 31 octobre), qui avait été sélectionné par la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes.

Mais c’est une fausse piste, la première du film. Car la jeune mère, incarnée par Adèle Haenel, elle-même inspectrice de police, va découvrir que feu son mari était un « flic à moitié honnête, à moitié corse », que le super-héros statufié n’était qu’un vulgaire ripou, et que par sa faute un innocent, Antoine (interprété par Pio Marmaï), a pourri en prison depuis des années pour rien.

Yvonne se sent immensément responsable envers cet homme qui retrouve une liberté dont il ne sait que faire, un ahuri qui parle tout seul, un mec sans repères qui « n’en peut plus de lui-même », une grenade dégoupillée qui ne demande qu’à exploser. « Avec ces personnages, je me suis rendu compte que je pouvais pousser le film très loin, et que les comédiens en seraient le centre de gravité, je me suis autorisé des choses », précise Pierre Salvadori.

Le cinéaste (« Les apprentis », « Comme elle respire », « Hors de prix », « Dans la cour »…) s’est ainsi autorisé un mélange de genres (policier, romantique, action…) et d’émotions ; c’est « en liberté » qu’il a imaginé cette comédie fantaisiste, avec ce qu’il faut de chaleur humaine, de drôlerie et de délicatesse. Il n’ébauche qu’à peine une romance entre la fliquette et l’ex-taulard, encore une fausse piste, deux personnages qui ont en commun d’être de « ceux à qui les gens aiment faire du mal ».

Car Yvonne s’autorisera enfin à craquer pour un collègue attentionné (joué par Damien Bonnard), et Antoine a une femme qui l’a patiemment attendu toutes ces années, une épouse jouée par Audrey Tautou, à qui Salvadori a donné une belle séquence. Celle du retour du prisonnier à la maison, lui faisant rejouer les retrouvailles pour qu’elles soient belles et mémorables, comme on se fait son  cinéma, comme on s’invente une vie rêvée.

Pio Marmaï a quant à lui connu « un moment d’abandon total », lors d’une séquence de braquage d’une bijouterie, dans une combinaison de latex et la voix déformée. « Ce qui me donne envie de faire du cinéma, c’est un sens du spectacle, des gens qui s‘amusent, qui inventent des histoires, je trouve ça indispensable, j’ai envie d’être dans la transgression », s’enthousiasme l’acteur.

Pierre Salvadori : « J’ai un goût pour des personnages fragiles »

Pierre Salvadori : "Ce qui m’intéresse, c’est comment je raconte, comment j’enchante".
Pierre Salvadori : « Ce qui m’intéresse, c’est comment je raconte, comment j’enchante ».

Dans votre filmographie, on retrouve souvent des personnages un peu en marge, décalés, qu’est-ce qui vous attire chez eux ?

Pierre Salvadori : « Les personnages viennent un peu spontanément, je m’aperçois que j’ai toujours eu un penchant et un goût pour des personnages assez fragiles, en tout cas pour les outsiders. J’ai toujours été très touché par des gens qui veulent participer au grand mouvement et qui n’y arrivent pas, qui sont maladroits, ou décalés, ou trop sincères, qui n’ont pas toutes les clés. L’assurance m’effraie, les gens très sûrs d’eux me font très peur, ils provoquent chez moi des paralysies totales, je n’ose plus rien dire, plus rien penser, c’est à peine si j’ose bouger. C’est pareil pour les comédiens, j’aime les gens qui ont une fragilité, qui doutent un peu. J’ai un goût pour les personnages maladroits, mais en même temps il faut peupler les comédies de personnages maladroits, parce que sinon c’est pas drôle ».

Finalement, il y a une règle des quatre M dans votre cinéma : malentendu, mensonges, masques, et on y rajoute maladroit ?

« Malentendu oui, évidemment, parce qu’il y a toujours de l’ironie, et la jubilation du spectateur d’avoir un peu d’avance sur les personnages. Pour ce qui est des masques, ça me passionne l’idée de gens qui portent des masques et qui, avec ces masques, tentent de faire des choses très sérieuses, j’ai toujours adoré ça au cinéma, des gens qui disent des choses très émouvantes, très profondes, mais qui ont un aspect un peu ridicule. Et si je m’autorise parfois à leur faire dire des choses un peu émouvantes ou sérieuses, c’est parce qu’avant je prends bien garde à les mettre dans des situations un peu décalées ».

Et il y a toujours aussi un fond social dans vos films…

« Je ne porte pas de grands sujets, je passe toujours par des êtres qui me touchent, en difficulté, je n’ai pas un vrai motif, j’ai cette idée de tendre vers la joie, la vitalité, avec cette idée que les comédies nous enchantent, que le jeu et la poésie sont essentielles, des choses comme ça. Ce qui m’intéresse, c’est comment je raconte, comment j’enchante, je raconte la même histoire depuis vingt-cinq ans, chercher des points de fuite, la dérive, l’enchantement, la beauté, la drôlerie. Un point de vue réel, un jugement sur le monde tel qu’il est ou tel qu’il devrait être, je ne détiens pas ce truc-là, je ne l’ai pas ».

Adèle Haenel : « Je joue tout le temps avec un grand sérieux »

Adèle Haenel : "Sur ce film, j’ai eu le déclic, en me disant qu’il fallait lâcher prise avec l’ego, peu importe que j’arrive à mon but ou pas".
Adèle Haenel : « Sur ce film, j’ai eu le déclic, en me disant qu’il fallait lâcher prise avec l’ego, peu importe que j’arrive à mon but ou pas ».

« Les Combattants » (César de la meilleure actrice), « La fille inconnue », « 120 battements par minute », « Suzanne » (César du meilleur second rôle)… ou actuellement « Un peuple et son roi » de Pierre Schoeller, dans lequel elle joue une lavandière pendant la Révolution française : dans l’exigeante filmographie d’Adèle Haenel, les rôles sont souvent durs et les sujets sérieux. « Les Combattants, ce n’est pas non plus un drame, il y a quand même un peu de la blague », tempère la jeune actrice, du genre cérébrale, singulière, révoltée.

Mais en entrant dans le cinéma de Pierre Salvadori avec « En liberté ! », elle découvre un nouveau terrain de jeu, la comédie et le burlesque. « Oui, clairement », convient Adèle, « Sur ce film, j’ai eu le déclic, en me disant qu’il fallait lâcher prise avec l’ego, peu importe que j’arrive à mon but ou pas. A partir du moment où l’ego est au bon endroit, je trouve qu’on joue bien. On sent à la lecture qu’il va y avoir un certain nombre de composantes dans le film qui sont assez explosives, notamment les scènes d’action, les quiproquos, les situations un peu barrées, on sent qu’il y a matière à s’amuser. Il ne s’agit pas d’apprendre quelque chose, mais de désapprendre les préjugés, il y a un apprentissage technique, réussir à parler plus lentement, à bouger plus calmement ».

Il y a quelques semaines, le visage d’Adèle Haenel était en couverture de « M Le Magazine du Monde ». Quelques jours après la parution, elle n’avait pas encore lu le long portrait qui lui était consacré. « Non, ça m’a angoissé », dit-elle. Dans cet article, Pierre Salvadori la compare à « une casserole d’eau qui saute sur le feu » : « Oui, je crois que je suis toujours en train de m’énerver, mais au-delà de m’énerver j’aime bien un peu gamberger, tout ça », convient-elle.

La réalisatrice Céline Sciamma y évoque quant à elle cet « injuste miracle de la photogénie » ; pour son premier film, « Naissance des pieuvres », à la recherche de ses jeunes nageuses, elle avait découvert cette toute jeune fille, jolie blonde aux yeux bleus qui rayonnait à l’écran. Une décennie plus tard, l’actrice et la cinéaste vont se retrouver avec « Portrait de la jeune fille en feu », l’histoire d’une peintre chargée de faire le portrait d’une jeune mariée, dans la Bretagne du XVIIIème siècle.

« Je joue tout le temps avec un grand sérieux », assure la comédienne, qui a trouvé plaisir à jouer dans la légèreté, avec la complicité de Pio Marmaï. « Il faut remplir son rôle avec humilité, on joue d’une certaine connivence avec le spectateur, parce qu’on sait que le projet final c’est quand même de faire rire, mais il faut assumer le sérieux et jouer le grand projet », dit-elle, « En tant que personnage, on est au service du propos. Les personnages sont aussi un peu dépassés, ils prennent les choses trop au sérieux, un personnage qui a conscience qu’il est drôle, c’est encore autre chose ».

« En vrai, si on regarde la vie telle qu’elle arrive, on n’arrête pas de se prendre des claques ou des vagues au fur et à mesure, et il y a un truc de composition des rapports dans la comédie qui est assez chouette, cette position de réorganiser un peu le monde », ajoute la demoiselle, qu’on verra prochainement en « personnage un peu fou » dans « Le Daim » de Quentin Dupieux, avec Jean Dujardin.

Patrick TARDIT

« En liberté », un film de Pierre Salvadori, avec Adèle Haenel et Pio Marmaï (sortie le 31 octobre).

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