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Roschdy Zem : « Il y a un fantasme autour de l’infiltré »

L’acteur incarne « un homme blessé en quête d’honneur », un personnage trouble dans le film de Thierry de Perreti, « Enquête sur un scandale d’Etat ».

Film multi-genres, enquête, polar, tribunal, presse… c’est un récit d’une grande noirceur.

Des bateaux débarquent des colis sur une plage de Marbella, embarqués rapidement dans de grosses voitures, puis mis à l’abri dans une villa. « Enquête sur un scandale d’Etat » (sortie le 9 février), film de Thierry de Perreti, commence tel un polar. Le scandale dont il est question c’est le trafic de drogue, ou plus exactement la gestion de ce trafic par les services policiers français. « On laisse passer aux frontières et on suit », explique Jacques Billard joué par Vincent Lindon, un patron de la lutte anti-drogue dont les méthodes sont dénoncées par un ancien ami et ancien infiltré, Hubert Avoine incarné par Roschdy Zem.

Annoncé dès le début comme « une fiction », ce film est tiré de « L’Infiltré » livre cosigné par Hubert Avoine et Emmanuel Fansten, journaliste de « Libération ». Pio Marmaï incarne ce journaliste, contacté par l’infiltré qui veut régler ses comptes, dénoncer l’Etat français comme le plus grand trafiquant du pays, et pas moins que « faire péter la République ». Avec des conférences de rédaction filmées dans les locaux de « Libé », cette « Enquête » est aussi un document sur le travail d’un journaliste, ses doutes, ses convictions, la délicate recherche de la vérité. Côté flic, le face à face entre l’intouchable directeur (Vincent Lindon) et la procureure de la République (interprétée par Valeria Bruni-Tedeschi) est un moment fort, tendu.

Il y a une certaine opacité au cœur de cette « Enquête sur un scandale d’Etat », le spectateur est parfois un peu noyé sous les infos, mais c’est une plongée dans les eaux troubles de la police, la justice, la politique, les médias… Film multi-genres, enquête, polar, tribunal, presse… c’est un récit d’une grande noirceur, avec parfois un peu trop d’effets dans la mise en scène, mais qui est assurément l’occasion d’un grand rôle pour Roschdy Zem.

Rencontre avec l’acteur et le réalisateur, lors de l’avant-première du film au Star à Strasbourg.

Roschdy Zem : « Le vrai danger, c’est la caricature »

Comment avez-vous composé ce personnage, avez-vous utilisé ce que vous saviez du modèle, Hubert Avoine disparu il y a quelques années, ou pas du tout ?

Roschdy Zem : Je suis parti de zéro, mais je me suis beaucoup servi des échanges sonores entre Fansten et Hubert Avoine, au-delà du contenu c’est surtout l’écoute de la musique qui leur est propre. J’ai pris aussi beaucoup d’information chez Thierry de Perreti, c’est une combinaison de tout ça qui me permet de constituer un personnage et de faire une vraie proposition. Le vrai danger, c’est la caricature évidemment, parce qu’il y a un vrai fantasme autour de l’infiltré, c’est un personnage très cinématographique, on ne le voit jamais dans la vie, on ne sait pas ce que c’est, on ne voit ça qu’au cinéma. Très vite, on comprend que l’infiltré c’est monsieur tout le monde, ce qui est important pour moi c’est que c’est un homme blessé qui est aussi en quête d’honneur. Forcément, de par son statut c’est un travailleur de l’ombre, et il y a donc beaucoup d’ingratitude ; quand on travaille dans l’ombre pour lutter contre les narcotrafiquants, quand il y a une saisie ce n’est pas vous qu’on va mettre en avant. Ce qui était aussi important pour moi, c’est cette blessure qu’il ressentait et qui l’animait, dans sa relation amicale et fraternelle avec le personnage de Jacques Billard. Il est guidé par cette blessure, qui allait être la pièce maîtresse de sa démarche. Un homme blessé, pour moi, d’abord c’est très touchant, romanesque, c’est ce qui me permettait de trouver la motivation dans chaque séquence.

Roschdy Zem : « J’ai fait beaucoup de films policiers, et à chaque fois que j’ai rencontré ou des policiers ou des bandits, ils sont toujours très cabots ».

Comment avez-vous défini cet homme blessé, c’est quelqu’un de sincère, de louche, un mytho ?

Je laisse au spectateur sa propre définition, moi pour l’interpréter j’ai besoin de l’aimer, j’ai besoin de le croire, mais je sais aussi qu’on va lui apporter cette ambiguïté, le cabotinage. J’ai fait beaucoup de films policiers, et à chaque fois que j’ai rencontré ou des policiers ou des bandits, ils sont toujours très cabots, donc c’est toujours très difficile de trouver la vérité dans leurs propos. En réalité, la vérité importe peu, c’est quelle histoire ils me racontent et à quel point elle me fascine ou pas. C’est ça qu’on retrouve chez Hubert, est-ce qu’il dit vrai, ce n’est pas un problème mais en revanche ce qu’il a à dire m’intéresse.

Comment vous le situez dans la galerie de personnages, des flics ou des voyous, que vous avez déjà interprétés ?

Il est à la frontière, à chaque fois, il doit composer avec tout ce qui peut animer quelqu’un qui doit infiltrer un réseau de narcotrafiquants, il y a des non-dits qui sont lourds de conséquences, des choses qui ne peuvent pas être trop montrées, mais c’est ce qui fait fantasmer, jusqu’où il a pu aller pour obtenir des informations, on ne connait pas sa limite. Il y a beaucoup de secrets qui entourent ce genre de personnages, c’est ce qui en fait des personnages fascinants pour le cinéma.

Alors que nous sommes en période d’élections, ce que génère le trafic de drogue est-il un sujet d’actualité ?

Quand on évoque le trafic de drogue, c’est un sujet récurrent, il n’y a pas de coïncidence, vous sortez ce film à n’importe quelle époque il correspond toujours à l’actualité. Je me demande si, dans dix ans, on dira que c’est un film fait à l’époque où le cannabis était interdit, c’est comme la prohibition de l’alcool, c’est une volonté politique aujourd’hui de ne pas encore légaliser mais je crois qu’on y va tout droit. Je ne cherche pas à encourager qui que ce soit à fumer ou à consommer, évidemment pas, mais on a le sentiment qu’il y a des décisions qui sont de l’ordre d’une candidature. Par exemple, quand Badinter décide d’abolir la peine de mort, ce n’est pas une décision très populaire, et là on est exactement dans le même cas de figure. Après, quand je fais un film, je ne suis pas un activiste, ce qui m’intéresse c’est le rôle qu’on me propose, c’est le récit, c’est la fiction.

Thierry de Perreti : « Le film est romanesque »

Le film est notamment basé sur la relation entre l’ancien infiltré joué par Roschdy Zem et le journaliste de « Libé » à qui il se confie, joué par Pio Marmaï.

L’avant-propos précise bien que ce film est « une fiction », mais c’est quand même une fiction qui essaie d’aller au plus près de la réalité ?

Thierry de Perreti : Cela dépend de quelle réalité vous parlez, le carton est un peu ironique, du style qu’on met dans un film sur deux ou une série sur deux, inspirés de faits réels, ça agit un peu comme un chantage sur le spectateur qui se dit « Mon dieu, c’est réel ». Il y a un rapport au jeu qui vient du travail des acteurs qui est très précis, très réaliste, qui va contredire ce carton du début. En même temps, on ne peut pas faire autrement parce qu’on ne peut pas utiliser les vrais noms. La spécificité de ce film est de raconter des affaires qui sont toujours en cours, qui ont des rebondissements, des révélations, et nous, on fait un film avec ça, sans attendre cinq ou dix ans avant que l’affaire ne soit terminée, pour avoir la bonne distance critique pour la raconter, là on est dedans. On est obligé de prendre des précautions sur le nom des personnages, sur les propos, ce qui est bien aussi parce qu’il ne faut pas qu’un film serve d’élément à charge ou à décharge pour des procès futurs, ce n’est pas du tout l’objet du cinéma.

Vous mélangez plusieurs genres cinématographiques, le polar, le film d’enquête, le film de tribunal… on sent aussi une certaine influence du cinéma américain ?

Oui, parce que le cinéma américain influence le cinéma mondial, mais c’est plus l’influence du cinéma italien, certains films de Francesco Rosi, comme « Lucky Luciano » ou « Main basse sur la ville », qui essaient d’élucider une partie de la société à travers certains personnages, tout en restant le plus envoûtant et captivant possible.

C’est aussi un film sur le journalisme et le travail d’enquête journalistique…

En tout cas, c’est l’environnement dans lequel les personnages évoluent, un des personnages est journaliste d’un grand quotidien français, on va essayer d’être le plus précis possible, le plus juste possible et de le donner à voir. Déjà c’est une représentation qu’on n’a pas vue beaucoup au cinéma, le journalisme d’aujourd’hui. C’est quand même un grand truc du cinéma de pouvoir rentrer dans des endroits qu’on n’a pas l’habitude de voir, mais ce n’est pas le sujet non plus.

Outre son titre choc, « Enquête sur un scandale d’Etat », il est aussi question de « faire péter la République » dans ce film qui sort en pleine campagne présidentielle, quel est votre sentiment par rapport à ça ?

C’est intéressant parce que la toile de fond c’est la lutte contre le trafic de drogue, le dévoiement et le regard qu’on porte là-dessus. On peut parler de ces questions et comment elles sont instrumentalisées par le politique, comment on aborde ce type de problèmes qui sont à la fois sérieux, complexes, tragiques. Mais le film est romanesque, c’est une proposition, avec des personnages qu’on prend à une période de leur vie et il se trouve que dans leur vie il y a du trafic, du scandale, une blessure. La comédie humaine qui se joue est plus intéressante que le rapport direct avec l’actualité. Je trouve que le monde se ferme de plus en plus, et finalement la grande fiction dans laquelle on est tous hypnotise de façon un peu dangereuse. Le film propose une mise en perspective de tout ça à travers des personnages qui sont romanesques, forts, complexes, humains, et libres du regard qu’on porte sur eux.

Votre film évoque aussi clairement la responsabilité des politiques dans la lutte contre le trafic de drogue…

Comment on combat le crime, comment on l’a combattu, on voit qu’il y a des liens entre les moments de l’histoire où les mouvements révolutionnaires ont été infiltrés par les polices parallèles, et qu’il y a quelque chose qui revient comme un effet boomerang. Ces ministres de l’Intérieur qui débarquent devant les ballots de cannabis ou à Marseille en faisant les gros bras, ils peuvent toujours dire qu’ils vont harceler les trafiquants, mais ce n’est plus crédible, cette parole est dévaluée, ça ne marche pas comme ça. La drogue, c’est une force, ce n’est pas juste un petit problème qu’on règle en dépénalisant ou en étant très sécuritaire. La France est le pays d’Europe le plus répressif en matière de lutte contre le trafic, et c’est le pays où on consomme le plus ; on peut se poser des questions, ça ne marche pas et peut-être que tout le monde a intérêt à ce que ça ne marche pas.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Enquête sur un scandale d’Etat », un film de Thierry de Perreti, avec Pio Marmaï, Roschdy Zem, et Vincent Lindon (sortie le 9 février).

 

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