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« Je n’ai jamais été à la mode », disait Charles Aznavour

« Je ne suis pas un chanteur de charme, je suis un chanteur de caractère », affirmait l’artiste, mort aujourd’hui à 94 ans.

Charles Aznavour, "chanteur de caractère" (Photo credit: OK - Apartment on VisualHunt.com / CC BY)
Charles Aznavour, « chanteur de caractère » (Photo credit: OK – Apartment on VisualHunt.com / CC BY)

Il avait 94 ans et se voyait toujours en haut de l’affiche. Chanteur, auteur, compositeur, acteur, Charles Aznavour assurait qu’il n’avait jamais prononcé le mot « adieux ». Ce n’était pas une tournée d’adieu qu’il avait prévu de faire en novembre, à Paris et en province, donnant l’impression de vouloir mourir sur scène. C’est dans son lit qu’il est mort, et ce sont ses fans du monde entier qui lui disent aujourd’hui adieu.

« Je ne suis pas un vieux chanteur, je suis un chanteur âgé », confiait-il en 2011, dans les coulisses de L’Olympia, où il lançait sa « première dernière tournée ». Son nom s’affichait en lettres rouges au fronton du music-hall du boulevard des Capucines, où il n’avait pas chanté depuis plus de trente ans. Avant son récital, il recevait alors en peignoir bleu et chaussons, torse nu sous l’éponge. « Je suis un artiste aimé », disait-il, « Le public est mon ami, et à 87 ans je suis non seulement là, mais je suis là avec un public fervent, c’est tout ce que je voulais ».

Le chanteur aux cheveux blancs depuis longtemps reprenait des chansons d’hier, d’avant-hier, et d’avant… Il racontait des « plaisirs démodés », emmenait « au pays des merveilles », évoquait la « Mama », chantait sa vie, « ses amis, ses amours, ses emmerdes », parfois les mêmes que ceux de ses spectateurs. « Ca leur rappelle des choses, ils n’ont pas tous les mêmes souvenirs mais j’ai beaucoup de chansons », disait l’homme aux mille chansons, dont beaucoup de formi-formidables. « Je raconte des histoires de tous les jours que j’ai glanées à droite et à gauche, je n’ai rien inventé », assurait Aznavour.

« J’avais dit que je réussirai et ils ne m’ont pas cru »

« Je fais mon métier aussi pour m’amuser, et puis il faut choquer, il faut bousculer et le public et les artistes », disait-il. Il a ainsi bousculé en chantant l’homosexualité avec « Comme ils disent » ou encore le sida avec cet « Amour Amer ». « Je ne suis pas indémodable, je n’ai jamais été à la mode », confiait-il bien des années plus tôt, dans les coulisses du Palais des Congrès, où il se détendait en jouant du piano, attendant la visite de son ami l’acteur Michel Serrault.

« Ce qu’on a retenu de moi pendant des décennies, ce sont les chansons d’amour, alors que c’est ce que j’ai chanté le moins », constatait Aznavour, « Je ne suis pas un chanteur de charme, je suis un chanteur de caractère ». Sur scène, il avait désormais à ses côtés sa fille Katia parmi ses choristes : « C’est elle qui en a eu envie ». Ses récitals suivaient des rites : son costume de scène, noir, ce verre de bordeaux dans lequel il trempait ses lèvres, le mouchoir frotté dans ses mains tout le long de « La Bohème », qu’il laissait tomber à la dernière note, et que les fans du premier rang s’empressaient d’attraper avant qu’il ne touche terre, conservé ensuite comme une relique.

« J’avais dit que je réussirai et ils ne m’ont pas cru » : c’est poussé par Edith Piaf qu’il se lance dans une carrière en solo, mettant fin au duo qu’il formait avec Pierre Roche. Bien plus qu’une vedette française, Aznavour est devenu une star internationale, le « Sinatra français » a chanté de New York à Bangkok, de Londres à Tokyo, dans toutes les langues, avec les plus grands, Liza Minelli, Paul Anka, Placido Domingo…

« J’ai gardé une certaine tendresse pour ma jeunesse communiste »

C’est à Paris qu’est né le 22 mai 1924 Charles Aznavourian, dans une famille arménienne et « une ambiance de musique, de théâtre et de poésie », une famille politisée qui était proche des Manouchian de « l’affiche rouge », résistants fusillés pendant la guerre. « J’ai gardé une certaine tendresse pour ma jeunesse communiste », confiait-il. Et pour le pays de sa famille, « Je fais ce que je peux », précisait-il, notamment grâce à son association « Aznavour pour l’Arménie ».

Monté sur une scène de théâtre dès l’âge de 9 ans, il fut comédien avant d’être chanteur, sollicité ensuite par le cinéma, une cinquantaine de films et une poignée de grands rôles : « Un taxi pour Tobrouk » de Denys de la Patellière avec Lino Ventura, « Tirez sur le pianiste » de François Truffaut, « Les Fantômes du Chapelier » de Claude Chabrol (avec son ami Serrault), « Edith et Marcel » de Claude Lelouch, « Ararat » film d’Atom Egoyan sur le génocide arménien, ou encore « Emmenez-moi », joli film d’Edmond Bensimon dans lequel il jouait son propre rôle.

Pour Johnny, il avait écrit « Retiens la nuit ». La nuit l’a emporté, chez lui dans les Alpilles. La mort, il y pensait : « Tous les jours, toutes les nuits exactement ». « Je ne veux pas partir », affirmait celui qui chantait « On ne peut garder sans cesse sa jeunesse ».

Patrick TARDIT

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