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La quête de Prince pour le contrôle artistique total a marqué l’industrie musicale à jamais

Adam Gustafson, Pennsylvania State University

Capture.PNG princeLa mort de Prince signe la fin de la brillante carrière musicale de l’un des plus talentueux, sinon éclectique, artistes de la musique pop. Virtuose sur de nombreux instruments, maître arrangeur, producteur à succès et grand showman, la musique de Prince est aussi variée que ses nombreux talents.

Mais c’était sa quête d’une liberté artistique totale – et des protections légales qui vont avec – qui laissera une empreinte majeure de son passage. Ses combats répétés – et médiatisés – avec l’industrie du disque, les services de streaming et les utilisateurs de réseaux sociaux ont poussé d’autres artistes à demander la même liberté pour avoir, eux aussi, leur part du lion.

L’enfant prodige

C’est en 1978, à 19 ans, que Prince a signé avec Warner Bros et sorti son premier album, For You. Prince est crédité pour avoir joué chaque instrument et chanté chaque partie vocale de cet album, ce qui était contraire aux pratiques de l’époque et marqua la naissance d’une mégastar qui allait profondément marquer la musique des années 80.

La plupart du temps, les albums de l’époque s’appuyaient sur une armée de producteurs, d’arrangeurs, de compositeurs et de musiciens. L’album Off the Wall de Michael Jackson (1979), par exemple, se targue d’avoir fait travailler presque 40 musiciens de sessions et 15 compositeurs et arrangeurs. Même s’il n’a peut-être pas été un succès triomphal, For You a révélé le génie de Prince en train d’éclore et son désir de contrôler l’intégralité de la chaîne de son travail, afin de servir fidèlement sa vision d’artiste.

For You fut le premier d’une longue série d’albums studio que Prince a produit avec Warner Bros. La sortie de deux autres opus, 1999 (1983) et Purple Rain (1984) confirmèrent la place unique de l’artiste comme figure centrale de la pop des années 80.

Menottes contractuelles

Mais au début des années 90, la relation entre Prince et Warner Bros commencèrent à se refroidir. Après le succès de Diamonds and Pearls (1991), Prince signa un contrat pour six albums et 100 millions de dollars avec la major.

Les détails du contrat donnèrent lieu à d’interminables négociations et à une bataille sur les terrains artistiques et juridiques pour la paternité du catalogue de Prince chez Warner. Par contrat, la major reçut la propriété du catalogue que Prince a produit pour l’entreprise. De son côté, Prince recevait de gros moyens en cash pour continuer à enregistrer des projets dans son studio, Paisley Park Records, dans le Minnesota.

Avec la frustration de Prince d’avoir cédé les droits de sa musique, l’artiste commença à se rebeller en apparaissant publiquement avec le mot esclave écrit sur sa joue. Il en vint même à troquer son nom pour le « love symbol », après avoir déclaré la mort de son ancien « moi artistique ».

Prince avec le mot « esclave » écrit sur sa joue pendant sa bataille avec Warner Bros.
Brian Rasic/Rex Features

Pour livrer ce qui était prévu dans le contrat – c’est-à-dire les nouveaux albums que Prince devait produire sous le label Warner – il choisit de fournir à la major des morceaux de musique pré-enregistrée. Ce qui finit par donner un album, Chaos and Disorder (1996), méli-mélo de chansons écrites à la hâte, sorte de critique ironique de Warner, qui n’avait d’autre but que de remplir ses obligations vis-à-vis de la firme.

Se battre pour sa part

La bataille de Prince avec Warner Bros fut si longue et médiatisée que les dommages semblaient irréparables. Pourtant les deux parties renouèrent leur relation de travail en 2014, une stratégie qui permit à Prince de récupérer ses droits sur ses premiers albums chez la major.

Prince passa la dernière décennie de sa vie à se battre contre d’autres facettes de l’industrie musicale pour s’assurer que son œuvre soit correctement protégée.
En 2007, Prince et Universal Music assignèrent en justice une mère de famille après que cette dernière ait posté sur YouTube une vidéo de son fils dansant sur un morceau de Prince.

Toujours en 2014, l’artiste enchaîna les plaintes
contre 20 personnes qui, selon lui, avaient violé des copyrights protégeant son œuvre, soit en postant un de ses morceaux en ligne, soit en participant à des services de partages de fichiers de sa musique. Le plaignant demanda un million de dollars en dommages et intérêts à chaque personne.

Les poursuites de Prince étaient davantage faites pour attirer l’attention sur les problèmes de violation de copyright que pour ruiner les vies de mères de familles et d’enfants postant ses morceaux sur Internet. Dès que les accusés arrêtèrent de partager lesdits morceaux, Prince stoppa les poursuites.

Plus récemment, Prince et d’autres artistes commeTaylor Swift
ont demandé à leurs éditeurs en ligne et aux sites de streaming de payer des royalties plus importantes aux artistes de leurs catalogues. En 2015, Prince a enlevé ses albums de la plupart de ses sites marchands, signant une exclusivité avec le site de JayZ, TIDAL.

Le combat de Prince pour protéger sa voix a résonné dans les recoins les plus reculés du monde de la musique. Les arrangeurs vocaux – qui, d’habitude, doivent payer une licence pour accéder à des droits spécifiques – ne peuvent plus utiliser la voix de l’artiste en tant que matériel musical et éventuels samples.

L’héritage de Prince vivra certes à travers les quelque 30 albums studio qu’il a pu produire. Mais l’artiste passera à la postérité autant pour son travail comme défenseur des droits des créateurs, qu’en tant que musicien. Tout au long de sa carrière, la détermination de Prince dans ses batailles juridiques a pesé lourd dans le mouvement grandissant de mécontentement contre les majors du disque, mené actuellement par Jay Z, David Byrne ou Neil Young, entre autres.

De même que For You montrait un musicien contrôlant tous les aspects de son médium, le combat de Prince pour garder le contrôle total de sa musique tout au long de sa carrière lui a permis de laisser derrière lui l’œuvre qu’il souhaitant vraiment faire entendre.

The Conversation

Adam Gustafson, Instructor in Music, Pennsylvania State University

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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