France
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

Levée des préavis de grève à la SNCF pour Nouvel An : le bout du tunnel ? Pas si sûr !

SNCF : le système ferroviaire français sur la sellette (DR)
SNCF : le système ferroviaire français sur la sellette (DR)

 

« L’esprit de responsabilité prévaut à la SNCF » a déclaré Elisabeth Borne après la récente levée des préavis de grève pour Nouvel An. Décision qui ne devrait pas pour autant permettre le rétablissement d’une circulation normale des trains pour Noël.

Bernard Aubin,
Bernard Aubin,

Par Bernard Aubin

Pas sûr que notre Premier ministre qualifie de la même manière le comportement qu’adoptera le personnel de l’Entreprise lorsqu’elle annoncera les mesures de réforme des retraites. Sur les rails, un train peut en cacher un autre. Sur le plan social, un conflit peut aussi en cacher une autre.

Un climat social très dégradé

Rappelons que le climat social se dégrade à grande vitesse à la SNCF depuis plus d’une décennie. La gestion du personnel paternaliste, fondée sur le principe du gagnant-gagnant, appartient au passé. Dès les années 90, l’Entreprise y substitua progressivement un « management » calqué sur le Privé. Celui-ci se décline désormais à tous les niveaux, sous la responsabilité de technocrates ne connaissant rien au chemin de fer, mais qui sont incollables en camemberts Excel. À cela s’ajoutent différentes réformes qui ont tour à tour rogné les acquis des cheminots. Des agents déconsidérés, mais paradoxalement dénommés « collaborateurs », comme ailleurs. Cerise sur le gâteau, les salariés n’ont bénéficié d’aucune augmentation en 8 ans. Les mesures accordées ces deux dernières années gravitent autour des 2 %/an, à comparer avec l’inflation galopante. Pendant ce temps, les exigences qui pèsent sur le personnel augmentent de manière exponentielle, et les conditions de travail ne cessent de se dégrader. On est loin du portrait de « privilégiés » ressorti à chaque mouvement social.

Le cas des contrôleurs

Pour résumer, les Agents du Service Commercial Trains réclamaient une meilleure reconnaissance et une meilleure compensation financière de leur investissement. Une revendication partagée par l’ensemble des cheminots. Leurs salaires, restés modestes, ne sont plus compensés par un Statut spécifique érodé par les réformes et voué à disparaître. Au point que l’Entreprise peine désormais à recruter. À la SNCF, les conflits locaux se sont multipliés en 2022, signes révélateurs d’un climat dégradé et peut-être annonciateurs d’un mouvement d’ampleur. L’apparition du Collectif « CNA » il y a plus d’un an témoigne d’un ras-le-bol qui a grandi au point de dépasser l’encadrement syndical. En haut lieu, ni le Gouvernement, ni les syndicats conventionnels, … et ni les Voyageurs ne souhaitaient l’émergence d’un conflit pendant les fêtes, chacun pour ses raisons. Le terrain en a finalement décidé autrement, s’affranchissant des considérations stratégiques des uns et des autres et avec les conséquences que l’on connaît sur les Voyageurs.

La fuite en avant des syndicats « conventionnels »

Face à la montée de la grogne des contrôleurs, les syndicats se sont inscrits contre leur gré dans une fuite en avant. Impossible pour eux d’ignorer l’existence et les revendications de ce « Collectif National Asct » qui revendique 3500 membres et agite autant la Toile que le terrain. Parmi ses membres figurent forcément des syndiqués ou des sympathisants qui n’apprécieraient guère être « lâchés » par ceux censés être les premiers à les soutenir. Impossible aussi d’avaliser une démarche à laquelle ils n’adhéraient pas : en  »off », les syndicats les plus durs déclaraient ne pas souhaiter tomber dans « le piège tendu par le Gouvernement » consistant à les rendre impopulaires au pire moment. Là réside l’explication des dépôts de préavis sans appel à la grève. Une posture à la Ponce Pilate, difficile à tenir dans la durée.

Des « avancées » consenties… vraiment ?

Bien décidés à reprendre la main sur les actions qui jusqu’à présent leur échappaient, les 2 syndicats concernés ont fini par retirer le préavis, ôtant ainsi toute possibilité LEGALE aux contrôleurs de cesser le travail pour Nouvel An. Avec comme argument, les dernières « avancées » obtenues de la Direction. Le pari est osé. « On a décidé de créer une direction des chefs de bord pour être plus à l’écoute demain qu’aujourd’hui et de mettre 200 chefs de bord en plus sur le terrain dès 2023 », déclarait Christophe Fanichet. Le directeur général de SNCF Voyageurs brandit aussi l’augmentation de la prime spécifique accordée aux chefs de bord de 600 à 720 euros. De quoi convaincre le terrain ? Pas sûr. Ces évolutions n’ont rien de transcendant. Privés du droit de faire grève, les contrôleurs et leur Collectif sont désormais confrontés à un choix pour Nouvel An : rentrer dans le rang ou enfreindre la loi… avec tous les débordements qu’une telle situation pourrait engendrer. Tout cela dans un climat social qui demeure très tendu, à la SNCF comme ailleurs.

Le collectif, un rassemblement synonyme de colère et d’exigences immédiates

La constitution d’un Collectif, fondé sur un rejet des syndicats ou plus largement des instances conventionnelles, relève de deux facteurs. Le premier, c’est que ce type de rassemblement éphémère catalyse une brusque montée de colère autour d’un ou plusieurs sujets, que les canaux d’action classiques, moins réactifs, peinent à encadrer. Le second relève de l’évolution des mentalités. Les personnels étaient autrefois adhérents ou sympathisants de syndicats dont ils partageaient la vie au jour le jour, les stratégies, les actions sur le long terme. Aujourd’hui se développe une exigence d’immédiateté. S’inscrire dans une longue démarche, basée sur des réflexions et une implication personnelle ? Trop fatigant pour un nombre grandissant de salariés. Le ras-le-bol monte ? Ils l’expriment désormais instantanément, parfois de manière incontrôlée, parfois de manière contre-productive : une armée organisée a toujours plus de chance de remporter la victoire que des troupes, même nombreuses, dépourvues de stratégie commune.

Reculer pour mieux sauter

Pour leurs parts, les syndicats « conventionnels » affichent une stratégie sur un plus long terme. Pas question pour eux de fragiliser le front social à la veille d’un conflit qui pourrait être déterminant pour leur survie et les intérêts du plus grand nombre. Une raison qui les a conduits à siffler la fin de la récré à la SNCF en retirant leurs préavis, du moins pour Nouvel An. Ce « recu » leur permettra de « mieux sauter » dès le 10 janvier, jour d’annonce des mesures gouvernementales touchant les retraites. Pas sûr qu’après cette date ne survive la belle osmose entre Gouvernement, Direction SNCF et syndicats, opportunément affichée aujourd’hui. L’ « esprit de responsabilité » prévaudra alors à la SNCF comme ailleurs, mais d’une autre manière. Entretemps, il y aura Nouvel An… à guetter de près !

 

France