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Conditionnalité, sélectivité : les oubliés du plan de relance

Point-de-vue. L’ancien secrétaire d’Etat au Budget estime que la relance économique aurait pu «  prendre d’autres formes » visant à « réorienter l’économie vers des pratiques plus vertueuses. Une occasion manquée qui relègue l’État au rôle de tiroir-caisse ».

Christian Eckert, ancien secrétaire d'Etat au Budget (DR)
Christian Eckert, ancien secrétaire d’État au Budget (DR)

Par Christian Eckert

Pour être honnête, il faut éviter les discours simplistes qui ignorent les deux grands principes qui encadrent l’intervention de l’État au profit des entreprises.
Le premier concerne l’Europe : je dois ici – quitte à me fâcher avec quelques lecteurs – rappeler la règle de la « concurrence libre et non faussée ». Ce principe a été imposé dans l’Union Européenne par les forces libérales. Celles-ci se trouvent aujourd’hui tel « l’arroseur arrosé » en pleine contradiction : lorsqu’elles appellent la puissance publique au secours face à la crise, elles sollicitent les aides qu’elles voulaient limiter pour laisser le marché et la concurrence agir sans contrainte ! Déroger à ces règles communautaires ne sera certainement pas très difficile : en quelques jours la sacro-sainte « règle des 3% » réputée jusque-là intangible a été levée face à la crise sanitaire. Nul doute que les mêmes raisons conduiront les Européens à fermer les yeux sur les plafonds des aides économiques face à la crise économique qui suit la crise sanitaire.

Le levier fiscal

Le second est plus difficile à contourner, d’autant que les outils mis en œuvre par le gouvernement dans le plan de relance ne facilitent pas la sélectivité ou la conditionnalité des aides. Pour des raisons comptables, le gouvernement utilise principalement le levier fiscal. Suppression, réductions ou crédits d’impôts remplacent les aides directes. Or notre constitution a -fort heureusement- sacralisé « l’égalité devant l’impôt ». De ce fait, les constitutionnalistes estiment que toute forme de diminution de l’impôt doit satisfaire à ce même principe d’égalité. Ainsi, par exemple, accorder une réduction d’impôts à une entreprise industrielle considérée comme « vertueuse » sans faire de même pour la « grande distribution » que l’on estime moins contrainte, a toutes les chances d’être annulée par les garants de la Constitution. De la même façon, réserver une réduction de l’impôt aux seules entreprises qui s’interdiraient de licencier semble inconstitutionnel.

Le CICE

Beaucoup rappellent que le CICE créé fin 2012 pour soutenir l’emploi et l’activité avait ce même défaut. C’est entièrement vrai, et les gouvernements de François Hollande ont refusé de conditionner l’octroi du CICE pour respecter ce principe d’égalité, tout en trouvant d’autres compensations qu’il serait trop long de détailler ici. Mais si le CICE a alors été choisi pour relancer l’économie, c’est parce qu’il permettait un report d’une année de dépense pour l’État sans le même décalage pour les entreprises (voir sur ce lien le détail des explications). Alors que les déficits de 2019 étaient bien inférieurs à ceux de 2012 et dès lors que la règle des 3% a sauté, l’intérêt du levier fiscal disparait et ne reste plus que la difficulté d’imposer conditionnalité et sélectivité.

Des aides directes

Pour ces raisons, il semble que l’État aurait pu formater ses aides d’autre façon. Accorder 20 milliards de réduction des impôts dits « de production » ne permet en rien d’instituer des incitations à être vertueux en matière sociale ou environnementale. Tout le monde en bénéficiera, même celles et ceux qui n’en ont aucun besoin, même celles et ceux qui n’ont pas souffert de la crise, même celles et ceux qui licencieront, même celles et ceux qui servent plus généreusement leurs actionnaires que leurs salariés…
Par contre, l’État aurait pu mettre en place des aides directes : des subventions auraient pu n’être accordées qu’en échange d’engagements formels à respecter des règles éthiques. Rien n’empêche l’État d’aider une entreprise sous réserve d’inscrire dans une convention l’obligation de verdir ses pratiques, d’améliorer sa politique sociale, d’augmenter ses investissements, de renforcer la formation de ses salariés, de mieux les intéresser aux résultats…

L’intérêt général

De même, des prises de participation auraient pu (pour les grandes entreprises) accorder des pouvoirs à l’État actionnaire, garant de politiques respectueuses de sa ligne politique. Outre le retour sur investissement possible et souhaitable, la présence de représentants publics dans la gouvernance des entreprises soutenues par le budget du pays leur imposerait une gestion respectueuse de l’intérêt général souvent oublié au profit de l’intérêt particulier.

La relance post crise sanitaire est indispensable. Certains la trouve tardive ou mal calibrée. Ça se discute… Mais cette relance aurait surtout pu prendre d’autres formes, capables de réorienter l’économie vers des pratiques plus vertueuses. Une occasion manquée qui relègue l’État au rôle de tiroir-caisse…

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