Après « La Panthère des neiges », Vincent Munier a filmé la beauté de la nature et des animaux dans ses Vosges natales, accompagné de son père et de son fils. Sauvage et magique.

Les sapins émergent d’un rideau de brume mouvant qui se déchire sur la montagne vosgienne, aux premières images du nouveau film de Vincent Munier. « Les Vosges sont mon ancrage, mon point d’équilibre. Les grands voyages sont des parenthèses », assure le réalisateur, qui était parti au Tibet filmer « La Panthère des neiges », César du meilleur documentaire coréalisé avec Marie Amiguet. Et c’est donc dans ses Vosges natales (et un peu dans le Jura voisin) qu’il a tourné « Le chant des forêts » (sortie le 17 décembre), autour de chez lui, près de Gérardmer, accumulant des milliers d’heures d’images en une décennie.
« Ce sont les forêts qui m’ont vu grandir, celles où j’ai appris à observer les bêtes sauvages. J’ai toujours eu la conviction qu’il n’était pas nécessaire d’aller au bout du monde pour vivre des instants d’intensité », estime Vincent Munier, « Chaque matin et chaque soir, je pars en quête de l’instant, autour de ma ferme des Vosges entourée de forêt. C’est devenu une obsession ». Dans le film et dans la vie, le cinéaste partage une « même fascination pour la vie sauvage » avec son père Michel qui lui a tout appris et son fils Simon disposé à tout apprendre, un grand-père écolo et naturaliste et un jeunot de 12 ans, les pas des uns dans les pas des autres.
Se taire, écouter, et voir… peut-être

Au bout du monde ou dans « ses forêts », Vincent Munier a passé « une vie d’affût » à s’immerger, « se faire minuscule », jusqu’à disparaître : « Nous tentons de regarder les bêtes… mais elles, sans cesse, nous épient en retour. C’est ce jeu de miroir qui m’intéresse : filmer non pas depuis une position de force, mais dans une posture de fragilité, d’attention ». Ses images sont superbes, forcément superbes, les spectateurs en ont plein les yeux mais aussi plein les oreilles, avec un son qui capte ce fameux « Chant des forêts », un souffle, un craquement, un bruissement, le brame du cerf, le lynx qui feule… « C’est la même démarche que pour l’image : pas d’artifices, pas d’effets, seulement la langue des bois, des cris, des feulements, des silences habités », précise le réalisateur.
Guetter, se rendre invisible, se taire, écouter, et voir… peut-être. Grâce à sa patience et sa discrétion, il nous fait découvrir cerfs, grand-duc, hulotte, grue, écureuils, piverts, renards, lynx… Et ce fameux Grand Tetras, « l’oiseau fantôme des aubes glacées », que le trio de Munier va rechercher jusqu’en Norvège, dans le Grand Nord, puisque l’animal « légendaire », cet oiseau du froid, a disparu du massif vosgien. « Il a façonné la vie de mon père, puis la mienne, et il a été pour nous un maître d’affût. C’est grâce à lui que nous avons appris à attendre, à écouter, à rester immobiles pendant des heures dans le silence de la forêt ».
« C’est beau, c’est beau, c’est beau… »

« Le chant des forêts » n’est pas de ces documentaires animaliers mensongers, un peu fabriqués, truqués, c’est « un film de Vincent Munier », un film de cinéma, une œuvre poétique, contemplative, où il n’y a que du vrai, du sauvage, de vraies images filmées, non pas à hauteur d’homme ou de drone, mais d’animal, et de vrais sons diurnes et nocturnes d’une nature au naturel.
Sauvage et magique, c’est un conte raconté dans une cabane, au coin du feu, à la bougie, accompagné par la douce et mélodieuse musique de Warren Ellis (complice de Nick Cave, ils avaient composé ensemble la B.O. de « La Panthère des neiges »). « Passeur d’émotions », cet « éternel émerveillé » qu’est Munier nous émerveille à notre tour avec la beauté de la nature, et capte ce « Chant des forêts » qui nous enchante. « C’est beau, c’est beau, c’est beau… », s’enthousiasme Michel Munier face aux sapins et à la montagne vosgienne. C’est vrai que c’est beau les Vosges, à qui sait les voir.
Patrick TARDIT
« Le chant des forêts », un film de Vincent Munier (sortie le 17 décembre) et un livre (Editions Kobalann/50€).
Exposition « Lumières sur le vivant » au Musée des Beaux-Arts de Strasbourg, jusqu’au 27 avril.
