Tentant de percer « l’énigme d’une vie », les cinéastes espagnols Aitor Arregi et Jon Garano font l’hallucinant portrait d’un imposteur. Enric Marco, qui a présidé l’Association des anciens déportés espagnols et rapporté l’horreur des camps de concentration, où il n’a pourtant jamais été prisonnier.

« Marco, l’énigme d’une vie », film coréalisé par Aitor Arregi et Jon Garano (sortie le 14 mai), sort sur les écrans alors qu’a été célébrée la libération des camps de concentration il y a 80 ans. Entre 1940 et 1945, 9000 Espagnols y furent internés, beaucoup étaient des Républicains exilés en France, deux tiers n’ont pas survécu. A leur retour, les survivants furent ignorés, abandonnés par le régime franquiste, oubliés par l’Etat espagnol, ignorés par la population.
Des décennies plus tard, un homme brisait le silence et se démenait pour faire reconnaitre le sort et les droits des prisonniers, Enric Marco, devenu président de l’Association des anciens déportés espagnols. Incarné par Eduard Fernandez (qui a reçu le Goya du meilleur acteur pour ce rôle), on le découvre au début du film en visite du camp de Flossenbürg, quémandant un certificat, un document, assurant de sa présence pendant la guerre, peut-être même sous un faux nom. Mais aucune trace écrite ne confirme sa détention, et pour cause.
Beau parleur, le Catalan ne ménage pas sa peine, raconte avec force et talent l’horreur des camps dans les écoles, des conférences, des interviews… allant jusqu’à prononcer un discours à l’Assemblée espagnole. Vieux monsieur, aux cheveux et moustache teints, le médiatique porte-parole au charisme certain captive et bouleverse ses auditoires. Jusqu’en 2005. Alors que Marco a convaincu le président espagnol Zapatero de participer à une commémoration de la libération des camps, en Allemagne, un historien émet alors des doutes sur son passé.
Un personnage scandaleux et fascinant

« Je sais que vous mentez », affirme l’historien. Dénégation outrée jusqu’à la révélation : en fait, Enric Marco est allé en Allemagne comme travailleur volontaire, il n’a jamais été emprisonné dans aucun camp, et a falsifié la copie d’un registre allemand. Durant des décennies, il a répété une histoire apprise par cœur, s’appropriant les récits d’anciens déportés, s’est fabriqué un passé, tissant un récit plausible qui faisait pleurer dans les chaumières. Pris en flagrant délit de supercherie, il a pourtant tenté de se défendre, a continué de se faire entendre, s’enfermant dans ses propres mensonges et dénégations, à la grande consternation de tout un pays.
Dans sa capacité à se réinventer, trompant même sa propre famille, et son impérieux besoin de reconnaissance, le scandaleux personnage en est fascinant. Présenté en avant-première aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer, « Marco, l’énigme d’une vie » est ainsi « inspiré de faits réels », basé sur des entretiens qu’ont eu les co-réalisateurs avec Marco, déjà sujet d’un documentaire (« Ich bin Enric Marco »), d’un roman (« El impostor »), et de nombreux reportages…
Hallucinant portrait d’un menteur, qui finit par croire lui-même à ses propres mensonges, ce film est aussi une réflexion sur la post-vérité, la manipulation de la mémoire, de l’histoire, et combien l’art de raconter est bien plus important que la vérité elle-même.
Patrick TARDIT
« Marco, l’énigme d’une vie », un film de Aitor Arregi et Jon Garano, avec Eduard Fernandez (sortie le 14 mai).