Nommé pour l’Oscar du meilleur Documentaire, ce film est signé de « la journaliste qui a fait trembler le Japon », Shiori Ito. Devenue un symbole du mouvement MeToo dans son pays, elle a mené l’enquête sur sa propre affaire, son viol par un journaliste « intouchable ».

Elle est « la journaliste qui a fait trembler le Japon ». Jolie jeune femme, Shiori Ito est devenue un symbole du mouvement MeToo dans son pays, révélant son agression sexuelle et enquêtant sur sa propre affaire dans un film qu’elle a réalisé, « Black Box Diairies » (sortie le 12 mars). Un long-métrage distribué en France par Art House, mais toujours pas diffusé au Japon (une pétition a été lancée) alors qu’il a été nominé aux Oscars, catégorie meilleur Documentaire.
Shiori Ito n’a aucun souvenir de cette nuit du 3 avril 2015, où elle a été violée par un journaliste politique renommé, Noriyuki Yamaguchi, un « intouchable » proche du Premier ministre d’alors, Shinzo Abe, dont il a écrit la biographie. Diffusée tardivement dans son film, la vidéo surveillance de l’hôtel Sheraton la montre incapable de sortir seule d’un taxi, puis titubant dans le hall, soutenue par son prédateur avec lequel elle avait seulement accepté de dîner.
« Black Box Diairies » est une sorte de journal filmé, de ses 25 à 33 ans, le récit d’un combat solitaire pour obtenir justice. La journaliste raconte ainsi les difficultés pour déposer une plainte, pour qu’une enquête soit réalisée, un mandat d’arrêt est bien lancé mais vite annulé, ainsi que lui confirme un policier compatissant, écarté de l’affaire, pourtant évoquée jusqu’à l’Assemblée japonaise.
La défaillance du système judiciaire
En 2017, elle dévoile son viol lors d’une conférence de presse, finalement peu diffusée, publie un livre, « La Boîte noire », sans avoir prévenu sa famille. « Je n’ai rien fait de mal », répète-t-elle, refusant de faire partie de ces trop nombreuses victimes réduites au silence, et de céder à la honte ainsi que le voudrait la société japonaise. Entre découragements et envie de se battre, Shiori Ito semble parfois dépassée par les événements ; pour le public, elle devient « celle qui s’est faite violer », héroïne pour les uns, détestée par d’autres, insultée, menacée sur les réseaux sociaux, prostrée dans son appartement qu’elle doit quitter.
Il y a parfois des maladresses dans le filmage, comme cette tentative forcément ratée d’interviewer par surprise le chef de la police, ou ces images à l’hôpital après une tentative de suicide. Mais la journaliste mène l’enquête, se filme et raconte la plainte classée sans suite, celle déposée contre elle pour diffamation, l’enquête bâclée, l’intimidation de la presse, la stigmatisation… Puis, enfin, un procès civil gagné au Tribunal de Tokyo, dont le jugement est confirmé plus tard par la Haute Cour.
« Black Box Diairies » dénonce la défaillance du système judiciaire japonais, qui a finalement réformé la législation sur le viol, qui n’est pas « un incident malencontreux ». Ce film est le témoignage d’une femme qui a décidé de briser le silence, de vider « la boîte noire » de tout son contenu, et d’aller voir les cerisiers en fleurs sans que ce ne soit une douleur.
Patrick TARDIT
« Black Box Diairies », un documentaire de Shiori Ito (sortie le 12 mars).
