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Metz : La malédiction de l’hôtel Starck

C’est le premier geste architectural du designer Philippe Starck. Mais le superbe hôtel qu’il a conceptualisé à Metz se heurte à une kyrielle de déconvenues dont la disparition inexpliquée du notaire et promoteur du projet, Yvon Gérard, le 17 août 2022, n’est pas la moindre des damnations.

L'architecte Olivier Hein devant l'hôtel Starck à Metz (DR)
L’architecte Olivier Hein devant l’hôtel Starck à Metz (DR)

Un nid de cigogne posé sur un clocher : voilà le spectacle poétique et artistique que Philippe Starck a appelé « Stork by Starck ». (Stork, en allemand, signifie cigogne). Une œuvre d’art habitable selon le designer lui-même. Dans le quartier de l’Amphithéâtre à Metz, à deux pas du Centre Pompidou, à trois du centre-ville, s’élève une tour haute de 28 mètres au milieu d’un verger, et, tout en haut, sur le toit, une magnifique villa, réplique fidèle d’une maison bourgeoise du 19ᵉ siècle, que l’on peut voir en contrebas, dans la ville impériale, au 22 de l’avenue Foch.

Un hôtel élégant est le bienvenu

L’histoire de cet hôtel de luxe a commencé il y a 15 ans déjà. Yvon Gérard, notaire et homme d’affaires très en vue en Moselle, et son ami et associé Olivier Vetsch, souhaitent construire un très bel immeuble à Metz. Le plus grand, le plus beau de toute la région. « Ils nous demandent de dessiner un hôtel 4 ou 5 étoiles de 80 chambres sur un terrain à acquérir à la SNCF », se souviennent Olivier Hein et Guillemette Gille, architectes thionvillois associés au sein du cabinet Dynamo. Mais le futur bâtiment est dans le périmètre protégé et donc soumis à l’approbation des Bâtiments de France. Olivier Hein dessine une première esquisse. Le projet est proposé aux élus de Metz.
Ça tombe bien. Le maire de l’époque, Dominique Gros et son adjoint délégué à l’immobilier, Richard Lioger, veulent faire rayonner leur ville en Lorraine et à l’international. Un hôtel élégant est le bienvenu. À condition cependant qu’il soit associé à un nom ou une marque célèbre pour donner plus d’éclat encore à cette réalisation.

Une colonne de verre

En juin 2009, rendez-vous est pris avec l’un des plus grands noms du design, créateur prolifique à la stature internationale. Philippe Starck accepte aussitôt. Il se rend à Metz et propose une œuvre en 3 D : une colonne de verre, très élancée, avec au sommet, la fameuse maison de l’avenue Foch. Sublime sur le papier.
« Si l’on fait un bâtiment en verre de cette hauteur, on va exploser les budgets, constate Olivier Hein. Il faut du vitrage pyrobélite, résistant au feu. C’est hors de prix. En outre, l’immeuble en projet mesure 34 mètres de haut. Or, les immeubles de grande hauteur (IGH), au-delà de 28 mètres, sont soumis à une règlementation très stricte, imposant, entre autres contraintes, la présence de sapeurs-pompiers dans l’hôtel H-24. »
Finalement, l’Architecte des Bâtiments de France refusera le projet. Les promoteurs, Yvon Gérard et Olivier Vetsch cherchent un autre emplacement.

Dix ans plus tard…

La mairie de Metz propose un nouveau terrain. L’architecte Olivier Hein redessine entièrement l’immeuble. Mais il manque un opérateur. Yvon Gérard convainc le groupe Hilton dont la filiale Curio Collection by Hilton exploitera l’établissement sous la marque Maison Heler.
Le projet, estimé à 21,7 millions d’euros, est porté par une quinzaine d’investisseurs. Le permis de construire est signé le 21 novembre 2017 par Dominique Gros. Olivier Hein s’entoure du bureau d’études Bicome de Thionville. Le gros œuvre sera réalisé par l’entreprise Demathieu Bard, acteur majeur de la construction en Lorraine. Mais tout l’intérieur, du sol au plafond, des luminaires aux rideaux, de la vaisselle aux lits, sera réalisé par Philippe Starck.
Le projet est ambitieux. Il prévoit un resto-snack au rez-de-chaussée, des salles de conférence, de coworking et de sport au 1ᵉʳ étage. Une centaine de chambres et plusieurs suites entre le 2ème et le 8ème étage. Et, dans la villa, sur le toit de l’immeuble, une brasserie et un restaurant panoramique. La classe !
En septembre 2018, soit près de dix ans après les premières ébauches, tous les acteurs sont enfin réunis : Le maître d’ouvrage, la SAS Divodurum (l’ancien nom de la ville de Metz), présidée par Yvon Gérard, l’opérateur, le groupe Hilton, le créateur Philippe Starck, le maître d’ouvrage C.G.Bat, de Thionville et les architectes de Dynamo Associés qui devront s’inspirer d’images-et non de dessins-du designer.

« Vous avez oublié un étage… »

Le chantier peut enfin commencer en décembre 2018. L’immeuble sort de terre dans le quartier de l’Amphithéâtre. Les six premiers étages surplombent déjà la ville. Mais le maître d’ouvrage comme l’exploitant restent soumis aux normes strictes, coûteuses et incontournables de l’IGH. La seule façon d’y échapper, c’est de rabaisser le bâtiment de 6 mètres, passant de 34 à 28 mètres.
« Il a fallu supprimer deux étages, en cours de construction, pour rentrer dans le budget, explique Olivier Hein. Un étage du bâtiment et un étage de la maison. Le permis modificatif a supprimé d’un coup 17 chambres. »
Ces importantes modifications supposent de reprendre la conception sur le 8ᵉ étage et non plus sur le 9ᵉ. Les services de l’urbanisme de Metz-Métropole s’en étonnent : « Vous avez oublié un étage » écrivent-ils à l’architecte Olivier Hein !

Ces modifications imposent un arrêt du chantier d’octobre 2019 à février 2020. La reprise, en mars, sera de courte durée à cause du Covid. Le chantier reprendra plusieurs mois plus tard. Lorsqu’un événement inattendu viendra remettre tout en cause : la disparition brutale du promoteur, Yvon Gérard.

Le notaire s’est volatilisé…

Yvon Gérard est né le 17 février 1968. Cet homme élégant, sportif, cultivé était notaire à Hettange-Grande (57) puis à Paris où il a fondé en 2020 Invictus Notaires, « un réseau notarial à taille humaine ». Ce spécialiste du droit immobilier et commercial était à la tête de plusieurs dizaines de sociétés. En tant que notaire, il traitait de très gros dossiers, comme la vente du siège historique de la librairie Gibert à Paris (plusieurs dizaines de millions d’euros).
Il conseillait également des sportifs de haut niveau dont Jo Wildrid Tsonga, Fabrice Santoro ou encore Ugo Humbert ainsi que des personnalités du showbiz comme son ami de Florent Pagny. Son côté businessman l’avait conduit à créer l’Open ATP de Moselle, l’un des plus grands tournois de tennis de France.
Yvon Gérard s’était installé à Allonnes, en Anjou, avec sa famille après le confinement. A l’été 2022, plusieurs événements vont se bousculer. Le 6 juillet, dans la soirée, un incendie d’origine volontaire se déclare à l’hôtel Starck. Pas de gros dégâts, mais une grosse émotion dans ce quartier huppé.
Dimanche 10 juillet 2022, par une belle journée d’été, Yvon Gérard fait une balade à vélo sur les routes du Maine-et-Loire quand il est violemment percuté par une voiture. Traumatisme crânien et fracture du bassin.
Le 17 août, toujours en convalescence, Yvon Gérard prend sa voiture. Ne le voyant pas rentrer pour le déjeuner, sa famille donne d’alerte. Les gendarmes retrouveront son véhicule à l’entrée d’un chemin forestier où il avait l’habitude de se promener, dans la forêt de La Breille-les-Pins. De gros moyens sont déployés pour tenter de le retrouver. En vain. Deux ans plus tard, le mystère reste entier.
S’est-il donné la mort comme il l’écrit dans un mail qu’il s’est envoyé à lui-même ce jour-là ? Est-il parti à l’autre bout du monde pour fuir les ennuis ? A-t-il été victime d’un règlement de comptes ? Personne ne sait. Mais les affaires continuent. La SAS Divodurum, désormais présidée par Christophe Lanson, l’un des associés d’Yvon Gérard, poursuit la construction de l’hôtel.

Une fierté pour Metz

Dans le quartier de l’Amphithéâtre, le bâtiment est terminé dans sa volumétrie depuis le printemps 2023. Les aménagements intérieurs créés par Philippe Starck se mettent en place : meubles, lampes, objets aux formes et aux couleurs uniques participent à l’atmosphère particulière du lieu.
Quatorze ans après les premières images en 3D du designer, la conception et la mise en forme du bâtiment par l’architecte Olivier Hein, l’hôtel 4 étoiles aux contours fantasmagoriques est en voie de finition. Il aura résisté à toutes les malédictions. Il ne reste plus qu’à obtenir le certificat de conformité des pouvoirs publics avant d’ouvrir la Maison Heler au public. Dans quelques mois, sans doute.
La griffe Philippe Starck de cet hôtel sera-t-elle, un jour, une destination touristique à elle seule comme l’a prophétisé il y a longtemps déjà son promoteur ? « Les endroits signés Starck sont des lieux de destination » disait Yvon Gérard. Une fierté pour tous les messins. Mais quand ?

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