Injection de chimiothérapie à l’hôpital chez une patiente soignée pour un cancer du sein.
Phil and Pam/Flickr
Thierry Philip, Institut Curie
Le risque de voir s’installer des inégalités entre les patients touchés par le cancer en raison du prix des nouveaux médicaments n’a pas disparu, au contraire. Il y a plus d’un an, un groupe de cancérologues dont je faisais partie alertait déjà la ministre de la Santé à ce sujet. L’inflation continue, de sorte qu’arrivera forcément le moment où l’accès de tous les patients aux anti-cancéreux innovants ne sera plus possible.
Il est encore temps d’éviter une situation qui posera un grave problème éthique, à condition de repenser entièrement le système de régulation du prix des médicaments en France, mais aussi dans le monde. L’élection présidentielle dans notre pays fournit une occasion unique de s’emparer de ce sujet. La Ligue contre le cancer, principale association de patients, a d’ailleurs interpellé les candidats sur ce thème : « Vous engagez-vous à soutenir, en France et en Europe, une remise à plat du processus de fixation du prix du médicament, avec des objectifs de transparence et de pérennité de notre système de santé ? »
En France, les médicaments anticancéreux utilisés dans les chimiothérapies, l’hormonothérapie ou l’immunothérapie, représentent une dépense d’un peu plus de 3 milliards d’euros pour une année. Ce qui constitue 2 % des dépenses de l’assurance-maladie – ces médicaments étant pris en charge actuellement à 100 %.
Chaque année, l’augmentation de leur prix représente un coût supplémentaire d’environ 200 millions d’euros. Ainsi, la part des dépenses de l’assurance-maladie allouée au cancer dans son ensemble (y compris chirurgie, radiothérapie, suivi des patients…) est de plus en plus importante au fil du temps. De 8 % en 2010 (11,5 milliards d’euros), elle a atteint 10 % (15 milliards d’euros, sur les 159,2 milliards de prestations versées en 2015, selon les chiffres clés de la Sécurité sociale).
80 000 euros par an et par patient pour le Keytruda
Prenons l’exemple de l’immunothérapie, discipline en plein essor consistant à utiliser notre propre système de défense pour combattre le cancer. Cette nouvelle voie porte en elle de grands espoirs mais pose aussi, de façon aiguë, la question de l’inflation du coût des médicaments. Un seul exemple : le Keytruda du laboratoire MSD, utilisé dans le traitement du mélanome (cancer de la peau) coûte plus de 100 000 euros par an et par patient aux États-Unis. En France, un arrêté au Journal officiel du 10 janvier en a fixé le prix, pour un montant estimé à environ 80 000 euros par an et par patient, selon l’évaluation du quotidien La Tribune.
Les industriels justifient des tarifs élevés par leurs dépenses de recherche et développement. Ainsi en France, le LEEM, organisation qui regroupe les entreprises de l’industrie pharmaceutique, affirme que des dizaines de médicaments ne franchissant pas la barrière des essais cliniques, le prix doit inclure le coût du médicament vendu et aussi celui de la recherche sans succès qui a été conduite en parallèle.
Pourtant, dans une tout autre maladie, l’hépatite C, une commission d’enquête du Sénat américain a montré, dans un rapport publié fin 2015 au terme de 18 mois d’enquête, que le tarif de 40 000 euros pour un traitement par le Solvadi était totalement déconnecté de la réalité des sommes investies par son fabricant, Gilead.
La France préfère pour l’instant négocier plutôt que légiférer
Pis, ce tarif était en réalité fixé selon l’unique critère de la capacité de chaque État à l’assumer financièrement. Pour preuve, la France – qui préfère pour l’instant négocier plutôt que légiférer – vient d’obtenir au 1er avril une baisse du prix du Solvadi de 41 000 à 28 700 euros.
En France, certains professionnels de santé et des associations de patients comme la Ligue contre le cancer s’élèvent contre des tarifs injustifiés. Médecins du monde a lancé, à l’été 2016, une campagne de communication sur ce thème qui a frappé les esprits : « Chaque année en France le cancer rapporte 2,4 milliards » ; « quel est l’un des marchés les plus rentables : la maladie ? »
La question est donc maintenant de savoir ce que l’on peut faire pour stopper cette inflation du prix des nouveaux médicaments.
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vient de rendre public un rapport sur les « prix et accès aux traitements médicamenteux innovants », toutes maladies confondues. Il réclame la « licence d’office », un dispositif réglementaire permettant à un État d’autoriser l’exploitation d’un brevet par un tiers, sans le consentement du titulaire des droits et à un coût bien moindre.
La menace de la « licence d’office »
Le candidat de la gauche à l’élection présidentielle, Benoît Hamon, a d’ailleurs déclaré qu’il pourrait y recourir s’il était élu : « Si jamais certains laboratoires refusent d’entendre raison, je n’exclus pas de recourir à la licence d’office qui nous permet de faire produire certains médicaments en générique, beaucoup moins cher ». Marine Le Pen, pour le Front national, la cite également dans son programme : « Nous actionnerons le mécanisme de la licence d’office dans les cas des laboratoires récalcitrants ». Jean-Luc Mélenchon, pour la France insoumise, fait également référence à cette disposition, sans la nommer.
Pour ma part, puisque les citoyens aussi bien que les entreprises pharmaceutiques réclament de la transparence, je propose de répondre : « Chiche ! »
Actuellement, les laboratoires pharmaceutiques externalisent les stades amont de leur recherche dans la plupart des pays industrialisés. Ils travaillent avec des start-up – issues le plus souvent de la recherche publique – qui deviennent par la suite des sociétés de biotechnologies. Ils recourent aussi à des sous-traitants, au sens plus classique du terme. Comme les technologies sont rapidement obsolètes, les laboratoires préfèrent en effet pouvoir changer de partenaire et traiter avec les entreprises les plus en pointe, pour un coût d’investissement et de fonctionnement très inférieur.
Des fermetures de sites industriels
La transparence, chiche ! Qu’on donne les montants des économies réalisées par les laboratoires pharmaceutiques avec les fermetures de sites industriels, conséquence de cette sous-traitance. La cession du site de GSK aux Ulis, en région parisienne, combien d’euros d’économies ? La fermeture du site de Roche à Strasbourg, combien d’économies ? La fermeture du site de Sanofi à Toulouse, combien d’économies ? Idem pour la fermeture des sites d’Astra-Zeneca à Montréal (Canada) et de Roche aux États-Unis comme en Europe.
Novartis, Pfizer, Roche, Sanofi, Merck, Johnson & Johnson, GSK, Astra-Zeneca, expliquez-vous : vos installations délocalisées, combien d’économies ? Mettons les chiffres sur la table et examinons ensemble les coûts, en toute transparence.
Si ces chiffres ne devaient pas être mis sur la table, le futur gouvernement pourrait explorer une autre voie avant de dégainer la « licence d’office », sorte d’équivalent dans la santé de l’article « 49.3 » dans la vie politique, qui mettrait fin brutalement à la discussion. À défaut de transparence, il pourrait réclamer la concurrence.
Un prix du médicament très réglementé
En France comme dans la plupart des autres pays, les médicaments innovants ont aujourd’hui un prix très réglementé. Pour être commercialisé, un médicament doit être autorisé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Son prix est ensuite déterminé par l’Union nationale des Caisses d’assurance-maladie et le Comité économique des produits de santé. Dans ce contexte, le marché ne joue aucun rôle.
Et si on laissait les hôpitaux et cliniques décider du prix qu’ils acceptent de payer pour un médicament donné ? Sachant que les établissements conserveraient, par ailleurs, un budget réglementé.
Il est probable que les prix baisseraient alors considérablement. On ne traiterait plus sur un pied d’égalité un médicament contre le cancer qui fait gagner – modestement – trois mois de survie, avec un produit d’immunothérapie qui révolutionne une maladie et guérit des malades jusque-là incurables. La concurrence amènerait à évaluer le service réellement rendu par un médicament et c’est, de mon point de vue, une évolution inéluctable.
Pour en revenir à l’oncologie, le coût de la recherche et développement a diminué dans cette branche de l’industrie pharmaceutique, contrairement à ce qu’affirment les fabricants. En effet, ces derniers se retirent progressivement de la recherche fondamentale. Les molécules innovantes sont aujourd’hui essentiellement le fruit de la recherche publique, payée par les citoyens avec leurs impôts. Par ailleurs, les médicaments innovants sont mis sur le marché de plus en plus vite, ce qui réduit les coûts et augmente d’autant la durée d’exploitation des licences avant que le brevet ne tombe dans le domaine public.
Un système de régulation qui ne régule plus
Notre système de régulation des prix ne régule plus. La conclusion est évidente : il faut en changer.
L’Alliance européenne de santé publique (EPHA) qui regroupe des organisations sans but lucratif, des ONG de santé publique, des groupes de patients, ou des professionnels de la santé, demande la création d’un système de recherche et de développement orienté vers les besoins mondiaux de santé publique. Ce nouveau système doit réussir à fournir des médicaments de qualité, accessibles à tous, à des prix abordables.
De mon point de vue, il faut envisager de mobiliser le G7, le groupe de discussion des grandes puissances économiques, sur la mise au point d’un dispositif transparent à l’échelle mondiale, incluant les financements publics nécessaires pour soutenir la recherche et le développement pharmaceutique axé sur les besoins réels.
Il faudra ensuite dissocier les coûts de recherche et développement financés par le secteur public et ceux financés par les industriels. Ainsi les citoyens n’auront plus à payer deux fois pour la même chose comme c’est le cas actuellement : une fois pour la recherche en amont du médicament, et une seconde fois pour se le procurer.
À quand un comparateur des prix du médicament ?
Il restera à fixer un tarif abordable à l’aide d’un observatoire international, en accès libre, qui comparerait en temps réel les prix d’un même médicament d’un pays à l’autre. Il pourrait être une sorte de « comparateur » à l’échelle mondiale.
Cette exigence de transparence est légitime. Il n’est pas normal qu’en Europe, on ne puisse obtenir des informations auxquelles le Sénat américain, lui, accède.
Et si on regardait, aussi, du côté d’une association à but non lucratif comme l’AFM-Téléthon ? Dans les myopathies, l’AFM a découvert de nouvelles molécules dans ses propres laboratoires, puis les a fabriquées à prix coûtant pour les mettre à disposition des patients qui les attendaient. C’est un exemple dont on ne parle pas assez. Si le non-lucratif est un modèle efficace pour des maladies rares dans lesquelles les industriels ne veulent pas investir, pourquoi ne fonctionnerait-il pas aussi pour des maladies plus fréquentes ?
À l’heure d’un changement impératif de système, nous avons le choix entre trois solutions : la transparence, la concurrence et… la licence d’office. La menace d’imposer la licence d’office, brandie par des candidats à la présidentielle et par le CESE, a au moins un mérite. Celui de rendre plus désirable, pour les industriels, la solution immédiatement applicable de la transparence. Laquelle est susceptible d’entraîner très vite, à elle seule, des prix abordables pour les médicaments innovants.
Thierry Philip, Médecin cancérologue, professeur des universités en oncologie médicale, président, Institut Curie
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.