Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 b dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire.
Par Gilles Voydeville
Nous sommes en juin 2023 de notre calendrier grégorien.
Suite à la lettre de mai de Gaïa, Aurore Kepler 452b répond à sa sœur qui lui exposait ses problèmes.
Chez nos ancêtres les Grecs, Gaïa, notre Terre, est considérée comme un être vivant.
Aurore Kepler, elle, a été découverte en 2015 par le satellite observatoire Kepler de la NASA. Elle tourne dans la constellation du Cygne à 1400 années lumières de la nôtre et porte le matricule 452b.
Par sa taille, sa masse, son âge (elle est seulement plus ancienne de 1,5 milliard d’années) et la similitude de son orbite autour de son étoile, Aurore Kepler possède des caractéristiques communes avec Gaïa.
D’après la communauté scientifique, Aurore Kepler pourrait être habitée.
Ces deux planètes communiquent par intrication quantique, celle décrite en 1982 par le Français Alain Aspect. Il vient d’être récompensé 40 ans plus tard par le Prix Nobel 2022 de Physique.
Ce mystérieux phénomène quantique lie de façon instantanée deux particules, quel que soit leur éloignement. En 2015 à l’université de Delft, cette fantomatique action à distance a été réalisée et établie par une expérience de Ronald Hanson. En 2022 une information instantanée a été constatée entre deux ordinateurs quantiques intriqués.
Mois des terres brûlées sur Kepler
Ma chère Gaïa,
Comme ta vie est compliquée !
Ici, sur ma lointaine planète, c’est plus simple. En ce mois d’été mes Ovoïdes profitent du beau temps et des rayons duveteux de mon astre le Cygne. Ils font des sérénades, ils dansent, chantent en cœur, jouent de la musique, font des jeux bêtes comme « choux-fleurs en fleurs », « poisson pilote » ou « roule moi dans la farine ». Ils en sortent couverts de pétales, d’écailles ou de poudre blanche et rient de leur farce comme quand ils ont bu. À la vesprée, ils écoutent la mélodie des insectes qui font chanter les arbres et batifolent jusqu’à la nuit profonde. Ils dorment sous les cieux constellés où, si l’on y prend garde, l’on peut percevoir ta petite étoile qui brille dans la nuit étoilée comme un diamant jonquille parmi les blancs. Aux aurores ils s’éveillent et s’étirent au milieu des herbes folles puis se cachent comme les enfants de tes campagnes dans des meules de foin odorantes. Ils pataugent dans les ruisseaux d’amarante et s’éclaboussent à tout va. D’autres se roulent dans la terre d’ocre qui sent la myrrhe et se lavent sous les chutes des torrents. D’autres encore jouent au pentœuf sur les pyramides de granit et dévalent leurs pentes pour s’étourdir et se surprendre d’avoir fait un tel exploit.
Mais ils se font très peu la guerre.
Si ce n’est au pays des Deux Lunes maintenant soumis à la petite Utula qui flirte de plus en plus avec la dictature et les conflits. Depuis son avènement elle provoque le pays de Cocagne. Ici, comme chez toi, la guerre n’est qu’un passe-temps de décideurs oisifs ou en mal de popularité qui, faute de projet constructif, n’ont pour projet que la domination. Les gouvernants savent pourtant que soumettre une frange de leur peuple par la force les rabaisse au rang de tortionnaires. Sur Kepler il n’y en a pas eu beaucoup. Mais sur ta terre, je sais que ton Charmant a dû user de son intelligence pour survivre et qu’il a gardé dans son cerveau primitif cette habitude de lutter pour exister. Une empreinte génétique d’un combat vital dans une nature hostile qui ne l’attendait pas comme un sauveur qu’il ne deviendra pas. Et tu me dis qu’il utilise volontiers son expérience pour décimer ses semblables et soumettre et ta terre et tes espèces.
Tu en fais et feras les frais tous les jours où nous tournons et tourneront jusqu’à sa fin.
J’apprends par ta lune que ton Ours Brun vient de terrasser l’ours blanc qui l’avait défié. On ne joue pas avec le pouvoir des tyrans. Il y a des interdits à ne pas transgresser ou il faut aller au bout de sa logique si l’on ne veut pas mourir. Et si l’on fait la moitié du chemin, l’on se découvre et l’on s’expose pour finir sans écrire l’histoire que l’on avait rêvée. Le pouvoir était au bout de la route de l’ours blanc mais il ne fallait pas qu’il s’arrête en si bon chemin. La tergiversation est mauvaise conseillère quand l’action est engagée. C’est comme la sortie de l’Enfer. Quand Orphée cesse de jouer de sa divine lyre et se retourne inquiet pour savoir si son épouse Eurydice le suit malgré les ombreuses ténèbres, c’est fini. Hadès le maître de la Mort l’a prévenu : « Je te la rends mais tu devras regarder devant toi, sinon… ». L’ours blanc a douté et s’est retourné pour savoir si le peuple le suivait… Il en est mort. Toutefois sa réussite n’aurait pas forcément auguré d’une trêve, car s’il avait dénoncé les fallacieux motifs de la guerre, ses troupes n’en sont pas moins faites d’ultra nationalistes plutôt enclins à la prédation qu’à l’amour du voisin.
L’histoire n’est pas finie Mr Fukuyama.
Elle est même en train d’écrire des pages mystérieuses pour la plupart de tes Charmants qui n’avaient pas saisi le fossé qui sépare la Russie de ton Europe. L’âme russe se rappelle à l’esprit européen en marquant sa différence d’avec les lumières occidentales. L’Europe est doublement à l’Ouest quand elle croit saisir la pensée de sa voisine qui est enfouie dans les profondeurs de son histoire douloureuse. La Russie est une géante aux pieds de glace qui n’aime ni les réchauffements climatiques ni les diplomatiques. Ciel, quel enchevêtrement de cultures si différentes en de si petits espaces ! Je vois d’ici la puissance d’un peuple affirmer dans la guerre ce qu’il n’a pu réussir dans la paix, car il n’est pas fait pour elle. Il n’est pas établi depuis si longtemps qu’il faille déjà penser qu’il se limite. Ce peuple s’est construit malgré la cruauté des descendants de Gengis khan, ceux de la Horde d’Or, puis sous le joug des Tatares et de ses voisins les royaumes européens. Il a été élevé sous la tutelle de la violence de ses hommes forts et dans la célébration des mythes qui glorifient la force et le combat. Il n’est pas encore satisfait de ses acquis ni de son statut.
Son impérialisme mérite plus. Quand l’on est puissant, l’on n’hésite pas à dérober ce que l’on ne sait pas produire.
La saison VIII de la saga de l’ours blanc s’est donc enfin écrite. À moins qu’il ne renaisse de ses cendres comme un phénix d’or et de feu, ou que la célébration de son martyr ne le fasse entrer au panthéon de tes dieux slaves, tel Péroun ou Triglav, l’ours blanc ne menacera plus l’Ours brun. Ce fut le dernier épisode d’une série dramatique et palpitante à la fois. J’espérais pour toi que le héros, ayant dénoncé les fallacieux motifs de « L’opération spéciale » trouverait en même temps le chemin du Kremlin que celui de la raison et de la paix. Mais tu m’avais écrit que s’il prenait le pouvoir, il utiliserait le champignon maléfique contre le pays du bélier, usage qui demeure un tabou pour tes peuples. Mais tu dois te faire à l’idée que cette guerre des champignons un jour viendra. Il est difficile de résister au désir d’utiliser ses jouets.
La retenue n’appartient pas au registre comportemental de l’Ours brun.
Son absence de neurones miroirs lui permet d’appliquer les principes de Machiavel à la lettre ; seule la crainte d’une submersion sous le feu de l’OTAN et celle d’apparaître à ce qui restera de l’humanité comme le fauteur de l’Apocalypse, lui génèrent encore un peu de retenue. Il a la puissance du mal plus facile à projeter que celle du bien. Il est le démon. Il s’accommode de cette image. Quand il la désirera, il appuiera sur le bouton.
Depuis quelque temps tes Charmants attendaient cet épilogue qui tardait à s’écrire. Leur étonnement provenait d’un temps long entre la trahison et le châtiment. Ils avaient sans doute oublié que le Tsar punit quand le moment de sévir est venu. Il lui fallait neutraliser, intégrer, absorber la Horde des Walkyries, rattacher ses bataillons à l’Armée Rouge et pour ce faire, se servir de l’obéissance des troupes au chef de la meute avant de l’abattre. C’est fait. Le Tsar a le sens du tempo. Sa baguette donne le « la » quand la dramaturgie le nécessite.
Le geste est simple et précis. Il est implacable.
Je change de sujet.
Sur Kepler, nous avons formé des penseurs à l’IEP (Institut des Études Psychopolitiques). Ils ont disserté sur la nécessaire richesse des états pour créer des institutions solides et organiser la production de biens nécessaires à la population. Si les Ovoïdes n’ont pas besoin d’être riches car ils sont d’emblée nourris par le pouloïde qui leur est assigné, il faut quand même financer le fonctionnement des états et la réalisation des usines qui commencent à émerger de ci de là. Seul l’état a les moyens pour investir dans un outil de production, assurer le salaire des ouvriers qui consentent à travailler, fixer un prix de l’œuvre produite, avant de récolter les fruits de son organisation par la vente des produits. D’où la création d’une monnaie.
Ici la monnaie est lourde car faite de billes de jade, de nacre, de quartz ou de cristal de roche.
Sa disponibilité est réduite pour les citoyens par l’utilisation de ces mêmes billes pour quantifier le nombre de jour de traite des pouloïdes et encombrer la poche de reproduction des femelles. Les citoyens Ovoïdes n’en disposent pas suffisamment pour créer des entreprises. C’est donc à l’état de s’en occuper. Il faut qu’il prélève chez chaque Ovoïde des billes pour constituer un capital et démarrer un projet d’entreprise qui permettra une production de biens. Ceux-ci seront échangés volontairement contre de la monnaie, ce qui l’enrichira. Donc c’est un peu comme chez toi, il faut accumuler du capital pour permettre le travail et fixer les prix pour faire fonctionner une économie. Je crois me rappeler que ce sont les principes d’un de tes grands économistes, Adam Smith. Mais ici sur Kepler pour l’instant seul l’état a constitué un capital. Ce qui nous rapproche plus d’une organisation du type de celle recommandée par ton Karl Marx. Ce qui semblerait résoudre le problème d’avoir besoin d’un monde marchand mais de le vouloir équitable.
La gestion centralisée a engendré quelques méfaits sur ta terre.
Ici la construction de petits véhicules ne pourra se faire sans que les usines soient financées par le capital qui en retour se rémunérera par le paiement desdits véhicules. Tant que l’état sera assez riche pour assumer tout cela, le problème du partage équitable des bienfaits ne se posera pas. Mais quand certains citoyens investiront dans les usines avec leur propre capital, il faudra compter sur la fameuse main invisible appelée en renfort par ton Milton Friedman pour répartir les richesses et avantages. Mais chez toi cette main invisible se tend toujours vers les mêmes, ceux qui en ont le moins besoin. Et il y a fort à parier que cette théorie, tout comme celle du ruissellement des richesses débordant de la coupe en cristal des nantis pour désaltérer les pauvres, finira un jour dans les égouts des théories où croupissent déjà quelques subterfuges inventés par les riches pour conserver leurs privilèges et illusionner le bas peuple.
Bas peuple qui n’a pas attendu l’accord de l’élite pour vomir des couleuvres décidément trop longues pour être avalées.
Mais sur Kepler nous sommes dans une société morale ou chaque Ovoïde se préoccupe de son prochain sans chercher à le dépasser. Si fait que jusqu’à présent, personne ne cherche à accumuler des richesses ou à dépenser de façon illimitée et que la société est homogène et pérenne. Comme les grands instituts comme celui de la Mer, de la Condition Animale ou l’IEP, nécessitent du capital pour être construit et fonctionner, nous continuons à faire route vers le capitalisme d’état.
Mon monde animal se pose moins de questions même si, tu t’en souviens sans doute, les médorchats avaient été pris de folie après que les pouloïdes avaient été élus animaux de l’année. Mais depuis peu, les Transparents – des nuisibles invisibles qui se délectent en suçant le lait des pouloïdes ou le plasma de mes Ovoïdes – viennent d’attaquer en bande organisée une colonie de chasseurs ovoïdes installés près des pôles.
Là où il fait le plus froid et où s’épanouissent mes sixpèdes argentés que ces chasseurs déciment pour leur fourrure.
Je ne sais si ces derniers ont passé un contrat avec les Transparents, mais la colonie de trappeurs a soudain ressemblé à un village de zombies où se traînaient les plus costauds d’entre eux. Et l’hypothèse d’une attaque des Transparents n’a pas été de suite évoquée du fait déjà que l’on ne les voit pas agir et qu’ils laissent peu de trace après avoir gobé leur plasma, si ce n’est un microscopique trou de coque entre les deux yeux de mes Ovoïdes. Bref, une histoire qui a défrayé la Chronique des Pôles et a envenimé les relations entre les chasseurs et le parti des Martiens – ainsi dénommés parce que Verts – farouchement opposé à la chasse aux fourrures.
Des chercheurs à l’Institut de la Condition Animale viennent de mettre au point un révélateur de la présence des Transparents.
Il semblerait possible de les voir avec des lunettes polarisées. Donc on s’attend à une flambée de demande de binocles que l’état s’apprête à produire pour supprimer la transparence des agresseurs opportunistes. Et ceci va favoriser l’essor du capitalisme képlerien.
Ça n’est pas le seul rapprochement que je puisse faire avec la vie sur ta terre. Certains couples ovoïdes récemment formés ne me semblent pas toujours bien assortis. Quand l’on voit une belle femelle avec un riche mâle d’aspect imposant mais peu séduisant et qu’on lui demande si elle l’aime, elle répond souvent : « Il m’aime tellement ». De deux choses l’une : soit elle s’estime inférieure et fort honorée qu’un tel homme l’aime – si fait qu’elle lui doit une fidélité sans faille – soit elle voit dans l’amour que lui porte cet être important, riche, laid parfois cultivé, la reconnaissance de sa suprématie à elle sur les autres créatures.
En y réfléchissant bien, moi je dis les deux à la fois : elle s’estime inférieure mais au-dessus des autres femmes. Les féministes de ta planète vont apprécier…
« L’homme se grise de son désir et la femme demande et attend d’être grisée par le désir de l’homme. De là provient pour nous l’obligation au sentiment » dit, si je me souviens bien de la lecture que tu m’as faite il y a cent ans, l’hédoniste Mynheer Peeperkorn. Cet adorable et hideux protagoniste dans la Montagne Magique de Thomas Mann, est surtout l’heureux compagnon de voyage de la belle Clawdia Chauchat à la chevelure roussâtre et aux yeux de loup en amande.
Voilà ma belle Gaïa le fruit de mes dernières réflexions. De mes pensées je t’enlace du plus près que je peux mais du lointain espace qui nous sépare.
Ton Aurore