Le cinéaste iranien Mani Haghighi confronte deux couples sosies dans un scénario sombre et manipulateur.
Un jour d’embouteillage et de pluie dans les rues de Téhéran, une monitrice d’auto-école croit apercevoir son mari à un carrefour. Surprise et suspicieuse, elle suit l’homme en imperméable, monte dans le même bus, le file jusqu’à un immeuble où il entre, et où elle l’aperçoit à une fenêtre avec une autre femme. C’est avec un soupçon de tromperie, d’adultère, que commence « Les ombres persanes », film du cinéaste iranien Mani Haghighi (sortie le 19 juillet). « Je t’ai vu, c’était toi ! », assure l’épouse qui se croit trompée. Pas possible, rétorque le mari, il était au travail, ailleurs, il a des preuves…
Enceinte de trois mois, mal dans sa peau, elle se demande si elle devient folle, si elle a des hallucinations. Et sera pas moins perturbée par la révélation : dans la même ville vit un autre couple qui leur ressemble, une autre femme et un autre homme qui sont tels leurs jumeaux, leurs clones, leurs répliques. Bien sûr, « ça n’a aucun sens » que Farzaneh et Jalal aient pour sosies Bita et Mohsen. Le trouble est d’autant plus grand pour les spectateurs que les comédiens Taraneh Alidoosti et Navid Mahammadzadeh jouent chacun un double rôle.
Un cauchemar existentiel
Si physiquement les ressemblances sont frappantes, il y a d’abord une différence sociale flagrante, un des deux couples bénéficiant clairement d’une plus belle vie matérielle. Des différences psychiques également : une des femmes est dépressive et inquiète, l’autre est à l’aise et enjouée ; un des hommes est doux et attentionné, l’autre autoritaire et nerveux. Dans cet improbable quatuor, chacune et chacun sont confrontés à une autre version d’eux-mêmes, à un autre destin possible, une autre existence. Les deux « meilleures versions » sont ainsi heureux/se de déceler chez l’autre quelque chose de leur conjoint qui a disparu, de le ou la retrouver tel qu’il et elle étaient « avant ».
Lorsque Mohsen refuse de s’excuser auprès d’un collègue hospitalisé qu’il a tabassé, c’est finalement son double, Jalal, qui propose de le faire, comme celui-ci promettra au fils de « l’autre » de l’amener au stade voir un match de foot. Cette première substitution rend possible tous les schémas dans ce scénario manipulateur. « Les ombres persanes » voient double, et Mani Haghighi plonge ce cauchemar existentiel dans une ambiance sombre et nocturne, déversant des torrents de pluie, inondant les appartements. Telle cette eau qui s’écoule, c’est le mal qui s’infiltre insidieusement dans ce thriller psychologique, qui flirte avec le cinéma fantastique.
Patrick TARDIT
« Les ombres persanes », un film de Mani Haghighi, avec Taraneh Alidoosti et Navid Mahammadzadeh (sortie le 19 juillet).