Un juge opiniâtre et peu bavard. Connu pour ses enquêtes sur Nicolas Sarkozy, il vient d’hériter du dossier Fillon, avec deux consœurs, Stéphanie Marteau et Aude Buresi.
L’information judiciaire ouverte par le parquet national financier dans l’affaire des emplois présumés fictifs de Pénélope Fillon est confiée par le président du TGI de Paris, Jean-Michel Hayat, à trois juges du pôle financier du TGI de Paris. Avec le juge Serge Tournaire, Stéphanie Marteau et Aude Buresi sont chargés d’instruire ce délicat dossier. L’enquête porte sur des soupçons de « détournements de fonds publics, abus de biens sociaux et recel, trafic d’influence et manquement aux obligations de déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. »
Les trois magistrats instructeurs désignés ont désormais la possibilité de convoquer le candidat à l’Elysée à tout moment en vue d’une éventuelle mise en examen ou d’un placement sous le statut intermédiaire de témoin assisté. Mais le calendrier, extrêmement serré, rend peu probable une telle hypothèse avant le scrutin.
Ils peuvent aussi mettre en examen l’épouse du candidat, Pénélope Fillon et/ou les enfants du couple.
Les affaires de corruption
Qui est Serge Tournaire ? On sait finalement assez peu de choses sur ce juge du pôle financier sinon qu’il est peu bavard, opiniâtre et rigoureux. La presse n’a pas de photo de lui et encore moins de confidences. Pourtant, Serge Tournaire instruit avec plusieurs de ses collègues des dossiers qui font trembler la République.
Serge Tournaire, 50 ans, a d’abord fait sciences Po avant d’être auditeur à l’ENM (1991-93). Juge d’instruction au TGI d’Ajaccio, il est sensibilisé rapidement à la lutte contre la grande délinquance financière, le grand banditisme et les réseaux mafieux. Une expérience qui lui sera bien utile lorsqu’il sera nommé au TGI de Nice, puis à la JIRS de Marseille.
Avec un autre juge courageux, Charles Duchaine, il traite de délicates affaires de corruption comme celle dans laquelle semble être impliqué l’ancien nationaliste corse Antoine Nivaggioni, patron de l’entreprise de sécurité SMS. Mais, en novembre 2007, le suspect prend la fuite la veille de son interpellation. Il a manifestement été prévenu. Les juges soupçonnent deux policiers de la DCRI d’être à l’origine de la fuite. En octobre 2008, peu avant son procès, Nivaggioni est assassiné. Cette affaire renforcera le culte du secret qui habite déjà les deux magistrats.
Des dossiers chauds
En juin 2009, Serge Tournaire est nommé vice-président du TGI de Paris chargé de l’instruction. Il s’installe rue des Italiens, au pôle financier où, bien vite, il sera chargé des dossiers délicats. Avec Guillaume Daïeff et Claire Thépaut, il a mis en examen Bernard Tapie et son avocat Maurice Lantourne, mais aussi l’ancien magistrat Pierre Estoup et l’ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde Stéphane Richard dans l’affaire de l’arbitrage contre le Crédit Lyonnais grâce auquel l’homme d’affaires a obtenu 403 M€.
Avec son collègue Roger Le Loire, Serge Tournaire instruit l’affaire des sondages de l’Elysée pour d’éventuels faits de favoritisme et de détournement de fonds publics. Il s’agit de commandes d’études d’opinion qualifiées d’« exorbitantes » par la Cour des comptes, passées sans appel d’offres avec neuf instituts de sondages. Les bénéficiaires principaux sont des sociétés dirigées par des amis de l’ancien président de la République : Patrick Buisson et Pierre Giacometti.
Autre dossier chaud sur le bureau du juge : le financement présumé de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 par le leader libyen Mouamar Kadhafi. Depuis le 19 avril 2013, les juges Serge Tournaire et René Grouman multiplient les investigations dans le cadre de l’information ouverte pour « abus de biens sociaux, faux et usage, trafic d’influence, corruption active et passive et blanchiment. »
Sur écoute
C’est au cours d’une perquisition que les enquêteurs ont trouvé chez Claude Guéant des sommes d’argent en espèce dont l’origine semble floue. C’est encore dans ce dossier que Nicolas Sarkozy a été placé sur écoute avec son avocat Me Thierry Herzog. C’est encore dans ce dossier que Nicolas Sarkozy a appelé à deux reprises (juin 2013 et janvier 2014) le patron de la DCRI Patrick Calvar pour savoir si son service était chargé d’interroger Moftah Missouri, l’interprète de Kadhafi. En effet, Missouri, interviewé dans une émission de France 2, a déclaré que le leader libyen lui « a dit personnellement qu’il avait contribué à la campagne de Nicolas Sarkozy à hauteur d’une vingtaine de millions d’euro. »
Serge Tournaire a été furieux d’apprendre que la presse avait publié une partie du contenu des écoutes de Sarkozy.
Plus récemment, le 3 février 2017, Serge Tournaire a signé l’ordonnance de renvoi de Nicolas Sarkozy devant le tribunal correctionnel dans l’affaire du dépassement des comptes de campagne de 2012, appelé « l’affaire Bygmalion ».
Le voilà donc avec un nouveau dossier très sensible sur les bras où politique et corruption sont, une fois de plus, intimement enchevêtrées.
Marcel GAY