Sur son blog, le secrétaire d’Etat au budget Christian Eckert propose un petit cours de rattrapage sur la fraude des multinationales…
« On entend beaucoup de choses sur la fraude et l’optimisation fiscale agressive des multinationales, la complaisance de l’administration, la complicité des gouvernements.
Ces sujets sont évidemment essentiels et méritent de la part du Secrétaire d’Etat et de son administration une attention permanente.
Ces sujets sont également techniques et complexes. Ils ne souffrent donc pas de raccourcis simplistes plus dignes de propos de comptoir que de débats législatifs.
Ces sujets sont éminemment politiques et certains en font leur fonds de commerce en se présentant comme les chevaliers blancs seuls contre une administration et des gouvernants au mieux incapables et, au pire, complices !
Prenons le seul exemple de la récente histoire dite de la taxe Google.
De quoi s’agit-il ?
De très grandes sociétés sont présentes dans de nombreux pays, y font des affaires, ont créé beaucoup de filiales qui échangent entre elles des services, des biens, de l’argent, des contrats, des brevets….
Ces « transferts » entre filiales et maison-mère leur permettent d’organiser la centralisation des profits et des bénéfices imposables là où l’imposition est la moins forte !
Ainsi est mis à mal le principe qui devrait s’appliquer et qui devrait conduire à imposer le bénéfice dans le pays où il est réalisé.
Les administrations fiscales et les législations fiscales sont capables de contrôler des mètres carrés de bâtiments, des chiffres d’affaires, des effectifs, des charges financières… Elles sont plus démunies pour évaluer des biens immatériels, des fichiers d’adresses mails, des flux informatiques, des échanges entre pays où on commande d’un endroit, fabrique dans un autre, expédie dans un troisième, et paie dans un quatrième, le tout en quelques clics… !
Qu’est ce qui a déjà été fait pour remédier à cela ?
Beaucoup plus de choses qu’on ne le croit !
Ainsi, la gestion du paiement de la TVA est déjà faite de façon à ce que la TVA soit payée au taux du pays de livraison et perçue par ce même pays. Les grandes centrales d’achat utilisées par les particuliers sont maintenant contraintes – et c’est assez récent- à cette bonne pratique.
De même, les administrations fiscales sont pour la plupart – en Europe et dans de nombreux pays du monde – engagées à s’échanger les informations fiscales entre elles, permettant ainsi de vérifier que les « prix de transfert » sont cohérents.
Par exemple, un groupe international de magasins exige de chacun de ses points de vente une ristourne sur le chiffre d’affaires. Cette « ristourne » remontée en Irlande via quelques écrans, permet d’amputer fortement les bénéfices taxables en France et donc d’annuler l’impôt ! Cette société a été redressée par notre administration, faute d’avoir pu justifier que la remontée d’argent correspondait à une vraie prestation !
Les citoyens contribuables que nous sommes doivent savoir qu’en 2015, le fisc français a redressé 21,5 Milliards d’euros d’impôts et de pénalités ! (Avant 2012 la moyenne annuelle était de 16,5 Milliards).
Les 5 plus gros dossiers d’entreprises redressées en 2015 ont représenté à eux seuls 3,4 Milliards d’euros de pénalités ! Ils concernent évidemment de grandes sociétés multinationales.
La presse française s’est fait l’écho de perquisitions conjointes de magistrats du Parquet National Financier et d’inspecteurs des impôts (70 personnes en tout) dans les locaux d’une grande entreprise mondialement connue…
Est-ce pour autant satisfaisant ?
Evidemment non.
Nous sommes dans un Etat de droit et les procédures administratives ou judiciaires sont forcément contradictoires : les entreprises contestent, multiplient les recours, les expertises…
La gestion du temps des procédures est sans rapport avec le temps de la communication politique. Cela rend difficile la communication du Gouvernement face à l’opinion publique légitimement impatiente.
Certains pays -de moins en moins nombreux- coopèrent avec beaucoup de …lenteur.
Le secret fiscal, principe souvent critiqué mais toujours inscrit dans notre droit, (j’y consacrerai prochainement un post) encourage la suspicion et autorise bien des affabulations.
Certains épisodes parlementaires ont entretenu le doute et le dernier en date mérite explications.
Qu’en est-il de cette « taxe Google » ?
Un parlementaire (Yann Galut) a déposé en loi de finances un amendement qu’il a présenté comme instaurant une « taxe Google » destinée à mettre à mal l’optimisation fiscale des multinationales de type Google…
Il a obtenu le soutien d’autres parlementaires, sensibles à cette thématique et a trouvé des relais dans la presse, toujours intéressée par ces sujets. L’actualité a (trop) vite considéré qu’on tenait là la solution finale à l’optimisation fiscale.
Sa proposition avait évidemment été étudiée de près par nos services et par nous-mêmes. Elle présentait un intérêt très limité et des dangers importants.
L’intérêt était de donner dans la loi une définition d’un « établissement stable » permettant une taxation et des pénalités sur une base jusque- là fixée par la seule doctrine administrative.
Cet intérêt restait limité car la doctrine administrative permettait déjà l’intervention de l’administration pour caractériser un établissement stable et l’imposer en France.
Les dangers tenaient au fait que les conventions fiscales internationales réglaient déjà largement ces sujets, et qu’en droit constitutionnel, les conventions internationales priment sur le droit national. Nous avons donc émis des réserves sur le fait que cet amendement risquait d’entrainer des contentieux plus qu’il ne résolvait les difficultés…
Après des débats et une réécriture plus convenable cherchée ensemble, l’Assemblée a adopté l’amendement avec la bienveillance du Gouvernement que je représentais. Il était en effet difficile pour moi d’émettre trop de réserves sur un texte présenté par quelques- uns comme l’outil majeur de lutte contre la fraude, sans être une fois encore accusé de laxisme.
Quelle conclusion ?
Le texte a été examiné par le Conseil Constitutionnel qui a tout annulé !
Il a estimé que ce n’était pas à l’administration de faire le tri entre les entreprises à taxer, et que toutes devaient être également traitées.
En droit français, les décisions du Conseil Constitutionnel sont souveraines et ne peuvent faire l’objet d’appel. Il est d’usage que le Gouvernement ne les commente pas.
Tout ça pour ça !
Mais l’opinion aura sans doute malheureusement retenu que des députés de la majorité ont imposé au Gouvernement une mesure présentée comme indispensable à la lutte contre la fraude.
Les débats auront sans doute fait oublié l’essentiel : depuis quelques années, les nombreuses actions en France, en Europe et dans le Monde, ont permis de progresser comme jamais dans le combat contre l’optimisation fiscale : La fin du secret bancaire, les échanges automatiques d’information entre administrations, les nouveaux standards internationaux des conventions fiscales en cours de généralisation, les dispositions législatives (70 en 5 ans) donnant à l’administration plus de leviers d’action, la création du Parquet National Financier, sont autant de raison d’être fiers de notre action, sans pour autant considérer que tout est achevé. »