D’abord comédie sociale, le film de Jean-Christophe Meurisse se fait ensuite violent, tout « au bord de l’indécence ».
Ces « Oranges sanguines » sont un drôle de fruit. Présenté en séance de minuit au Festival de Cannes, ce film de Jean-Christophe Meurisse (sortie le 17 novembre) a d’abord le goût sucré, acidulé, de la comédie sociale, nous faisant alors rire ou sourire du ridicule de situations. Dès l’ouverture, on s’amuse ainsi de l’engueulade entre les jurés d’un concours de rock. On rit un peu jaune avec ce couple de seniors parmi les candidats, des retraités endettés (Olivier Saladin et Lorella Cravota), qui comptent sur le premier prix pour boucher leur découvert, promesse à des banquiers peu arrangeants, des banquiers quoi.
Ailleurs, on croise un fraudeur fiscal qui se trouve être ministre de l’Economie (Christophe Paou), et qui compte sur ses brillants avocats pour étouffer l’affaire. Plus tard, le même ministre dirige une réunion de son cabinet, entourés de conseillers plus macroniens que macroniens, qui envisagent tous les moyens d’économiser un « pognon de dingue », et comment taxer encore ces « salauds de pauvres ». Monsieur le ministre a pourtant l’air tellement humain, touchant, lors d’une interview télévisée à domicile menée par une « journaliste » admirative. Toute ressemblance avec un ministre quelconque et une animatrice connue ne peut être fortuite, puisque Jean-Christophe Meurisse assemble ici plusieurs faits divers ou pas, reliés ensemble par des personnages, des événements.
La comédie se fait « méchante » et le rire « sauvage »
Le réalisateur mêle également les membres de sa compagnie théâtrale, Les Chiens de Navarre, et quelques comédiens invités, dont Denis Podalydès impeccable en ténor du barreau, ou Blanche Gardin, absolument irrésistible en gynéco ; on plaint alors la jeune fille (Lilith Grasmug) venue à sa première visite auprès de la praticienne. « Croquis de la société française », le film est alors une succession de saynètes dont quelques-unes sont vraiment drôles ; mais ça va se gâter, la comédie devient « méchante », et le rire « sauvage ». On retrouve à la fois le ministre et la demoiselle, juste après avoir perdu sa virginité, victimes chacun leur tour d’un psychopathe (Fred Blin, impressionnant en détraqué).
Et les oranges sont alors vraiment sanguines, mécaniques, sanglantes ; les méchants sont punis par d’encore plus méchants, d’encore plus monstrueux. La violence est excessive, perturbante, et c’est le malaise qui l’emporte, même avec un final dans le mouvement de la vengeance féminine. En fait, le film applique un principe énoncé par l’avocat joué par Podalydès : « Il faut être au bord de l’indécence ».
Patrick TARDIT
« Oranges sanguines », un film de Jean-Christophe Meurisse, avec Denis Podalydès, Blanche Gardin, Olivier Saladin, Lorella Cravota, Christophe Paou, Alexandre Steiger, Lilith Grasmug, Vincent Dedienne… (sortie le 17 novembre).