Manuel Ruiz-Lopez, Université de Lorraine and Marilia Martins-Costa, Université de Lorraine
Un an après, Rémi Malingrëy a porté un regard graphique et personnel sur cet article. Après la conférence sur le climat de Paris en novembre 2015 (COP21), dont la principale ambition aura été de stabiliser le réchauffement climatique en dessous de 2 °C d’ici 2100, les expectatives se centrent désormais sur celle de Marrakech en novembre 2016 (COP22). Dans ce contexte, l’article ci-dessous avait tiré l’attention sur l’importance de prendre en compte le rôle des gouttelettes dans les nuages pour mieux comprendre les changements chimiques qui se produisent dans l’atmosphère. Ces phénomènes restent encore assez mal connus aujourd’hui et d’autres travaux seront nécessaires dans les années à venir. Mais le principal intérêt des chercheurs aura été de rappeler, si besoin était, la grande complexité de la chimie de l’atmosphère. Cette discipline, malheureusement, mais aussi étonnamment, n’est pas encore suffisamment présente dans les discussions scientifiques qui entourent la préparation des conférences sur le climat.
La pollution de l’air constitue un danger pour la santé humaine, notamment celle des personnes sensibles, enfants, personnes âgées, malades du cœur ou des poumons. Elle a de même potentiellement des effets néfastes sur l’environnement : le dépérissement des forêts ou l’acidification des océans provoqués par les pluies acides constituent des exemples aujourd’hui bien connus. La lutte contre la pollution atmosphérique représente donc un enjeu majeur pour nos sociétés.
Cette lutte suppose, bien sûr, l’engagement de politiques de réduction des émissions liées aux activités humaines, surtout celles des gaz à effet de serre, des particules fines ou des composés organiques volatiles. Mais pour être efficace, la décision politique doit prendre en compte les estimations des modèles atmosphériques et analyser différents scénarios possibles. Quel est le devenir de tel ou tel contaminant secondaire lorsque l’on réduit l’émission d’un gaz donné ? Comment cela affecte-t-il d’autres variables, comme l’effet de serre par exemple ?
Les modèles actuels permettent de répondre à ce type de questions, mais leur précision est limitée parce que notre compréhension du fonctionnement physico-chimique de l’atmosphère est encore imparfaite. Cela est dû, d’une part, à la complexité de sa composition chimique. En effet, au-delà des trois gaz principaux (azote, dioxygène, argon), l’atmosphère contient de nombreux autres gaz qui, même s’ils sont à l’état de trace, jouent un rôle essentiel dans les équilibres chimiques et se caractérisent par des durées de vie extrêmement variées (de quelques fractions de seconde à des centaines d’années). D’autre part, la température, le taux d’humidité ou encore l’ensoleillement influent sur la concentration des polluants, et inversement. En fait, on peut dire que dans l’atmosphère, tous les phénomènes sont plus ou moins fortement corrélés.
L’influence des nuages sur les polluants
Dans ces conditions, que sait-on sur le rôle des nuages ? Participent-ils ou non aux transformations atmosphériques ? Cette question fait actuellement objet de nombreux travaux de recherche. Le rôle des nuages dans la régulation de la température est désormais bien établi. On peut dire schématiquement que les nuages bas – tels que les cumulus – ont plutôt un effet refroidissant, car ils reflètent la lumière qui arrive du soleil (« effet parasol »), tandis que les nuages hauts – tels que le cirrus – contribuent au réchauffement (« effet de serre »), car ils absorbent le rayonnement infrarouge émis par le sol. En revanche, l’influence des polluants sur la formation des nuages, et surtout, l’influence des nuages sur la chimie des polluants, restent assez mal connues.
Les nuages sont composés principalement de gouttelettes d’eau et de cristaux de glace. Les particules fines de l’air et certains polluants peuvent être « dissous » dans les gouttelettes et éliminés lors des précipitations sous forme de pluie ou de brouillard. Par ce mécanisme de dissolution, qui n’implique pas la destruction des polluants, on peut considérer que les nuages contribuent à « lessiver » l’atmosphère. C’est bon pour la qualité de l’air… mais cela peut aussi avoir des conséquences préjudiciables au niveau du sol, on pense ici aux pluies acides.
Une récente étude de simulation par ordinateur a toutefois montré que les gouttelettes d’eau dans les nuages pourraient atténuer les effets de la pollution atmosphérique par un mécanisme différent, un mécanisme « chimique » cette fois, puisqu’il mènerait vers la destruction des espèces indésirables. La surface des gouttelettes agirait comme une source additionnelle de radicaux hydroxyles, des espèces hautement oxydantes qui jouent le rôle de « détergent » de l’atmosphère en dégradant les polluants jusqu’au retour à des molécules simples peu ou pas nocives pour la santé. Le travail des chercheurs est basé sur l’utilisation d’une méthodologie originale qui a permis de modéliser le monde microscopique de la chimie en incorporant les concepts de la mécanique quantique et de la mécanique statistique. L’étude suggère ainsi que les nuages pourraient contribuer à modérer les effets de la pollution.
La simulation, un outil indispensable
Pour mieux comprendre le rôle « chimique » des nuages, il faut se rappeler que l’ozone est un constituant minoritaire, mais essentiel, de l’atmosphère terrestre. Dans la haute atmosphère – la stratosphère – la couche d’ozone forme un écran moléculaire qui protège les êtres vivants contre les rayonnements ultraviolets de haute énergie. L’ozone est également un constituant fondamental de la basse atmosphère, la troposphère, où il est formé à partir d’un cycle de processus au cours desquels interviennent les composés organiques émis par les plantes et par les activités humaines, mais aussi la lumière du soleil. Une petite quantité de l’ozone troposphérique est donc d’origine naturelle. Mais la pollution liée aux activités humaines peut conduire à une augmentation significative de sa concentration et l’ozone devient alors un polluant toxique qui peut provoquer des maladies respiratoires et cardiovasculaires, et avoir des effets délétères sur la végétation, les forêts et le rendement des récoltes.
L’ozone est relativement peu stable et le rayonnement ultraviolet et la lumière visible provoquent sa photolyse qui in fine conduit à la formation des radicaux hydroxyles. Or, les simulations par ordinateur prédisent que la vitesse de formation des radicaux hydroxyles à la surface de l’eau serait environ dix mille fois plus rapide qu’en phase gazeuse ! Les radicaux ainsi formés sont susceptibles de détruire les autres polluants également absorbés sur les gouttelettes, ou éventuellement ils peuvent être désorbés et intégrer la machinerie chimique dans l’air environnant. Trois facteurs semblent s’additionner pour produire cet effet remarquable : une grande affinité de l’ozone pour la surface aqueuse, une nette augmentation de l’absorbance de lumière par l’ozone sous l’effet de l’interaction avec les molécules d’eau, et enfin une plus grande efficacité du processus de photolyse.
Le fait que les nuages et les aérosols de diverses origines puissent avoir une influence directe sur la composition chimique de l’atmosphère est une hypothèse de plus en plus souvent évoquée, avec à l’appui un certain nombre de mesures de terrain et de données théoriques. Il s’agit d’un sujet capital, car les prévisions des modèles atmosphériques actuels sont principalement basées sur une chimie en phase gazeuse. Malheureusement, les études expérimentales dans ce domaine sont délicates et l’état de connaissances encore très insuffisant. La simulation par ordinateur apparaît donc comme un outil indispensable pour progresser dans notre connaissance de l’atmosphère.
Manuel Ruiz-Lopez, Directeur de recherche en Chimie Théorique, Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Université de Lorraine and Marilia Martins-Costa, Ingénieur de recherche au CNRS, Université de Lorraine
This article was originally published on The Conversation. Read the original article.