Christian-Georges Schwentzel, Université de Lorraine
C’est une gigantesque machine à remonter le temps qui ouvre ses portes au Grand Palais, à Paris, du 1er juillet au 27 septembre 2020. L’exposition « Pompéi » propose à ses visiteurs une expérience originale : être propulsé au milieu de la vie trépidante de la cité au Iᵉʳ siècle apr. J.-C.
Une promenade il y a 2000 ans
La promenade s’appuie sur des reconstitutions en 3D, des effets spéciaux et des sons qui reproduisent les bruits de la ville antique, dans l’esprit de certains jeux vidéo éducatifs. D’ailleurs, Ubisoft, créateur d’Assassin’s Creed et de ses Discovery Tours, s’est associé pour l’occasion à la société Gedeon Programmes, spécialiste des documentaires et reconstitutions archéologiques. Mais, mieux encore que dans un jeu, vous vous trouvez directement immergés dans l’univers antique reconstitué.
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La balade se fait en trois temps. Vous êtes d’abord entraînés au cœur de l’ancienne ville romaine : ses rues pavées, maisons aux fresques colorées, espaces publics ou encore lieux de spectacles. Une cité animée et raffinée, tirant ses richesses d’activités commerciales intenses.
Puis le ciel s’obscurcit annonçant la fin tragique. Nous sommes en 79 après J.-C. Bien sûr, le visiteur connaît d’avance ce scénario promis par l’affiche de l’exposition, mais il éprouve tout de même un certain plaisir un peu morbide à vivre sans risque l’engloutissement de la ville, comme dans un film catastrophe. Le volcan entre en éruption, crachant son épais nuage de cendre, de pierres ponces et de gaz. La coulée pyroclastique s’étend sur la ville qu’elle va intégralement recouvrir. Vous ressentez alors un peu ce que vécurent tant d’habitants pris au piège dans leurs maisons ou rattrapés par le nuage brûlant alors qu’ils tentaient de fuir.
Lors du troisième et dernier acte de cette déambulation, vous participez à la redécouverte du site, à partir du XVIIIe siècle, lorsque les fouilleurs révélèrent les premiers vestiges de la cité engloutie. Puis vous suivez l’évolution des recherches archéologiques jusqu’à nos jours ; vous assistez aussi au travail de conservation des édifices ou encore à la restauration des peintures et des mosaïques.
Enfin, une animation en réalité virtuelle (qui ne sera disponible qu’en septembre, pour cause de mesures sanitaires) permet aux visiteurs de découvrir la Maison au Jardin de Pompéi avant et après l’éruption du Vésuve.
Plaisir et science
Mêlant découverte ludique et pédagogie, plaisir et science, ce type d’exposition d’un genre nouveau devrait être promis à un brillant avenir, témoignant de la fascination du grand public pour un passé reconstitué et scénarisé. « Pompéi » s’inscrit dans le succès que connaît aujourd’hui, de manière plus générale, le divertissement historique, dont l’exposition du Grand Palais constitue le « haut de gamme ». L’objectif est original : instruire en créant des émotions et des sensations chez les visiteurs. Ces nouvelles expositions ne se contentent pas d’exhiber des objets ; elles offrent aussi de véritables expériences reconstituées grâce aux nouvelles technologies. Déjà, durant l’été 2019, une exposition américaine proposait ainsi de humer le parfum de Cléopâtre.
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D’extraordinaires découvertes
Les objets archéologiques traditionnels ne sont cependant pas absents. Comme dans une exposition traditionnelle, un choix de quelques pièces provenant des fouilles récentes ou anciennes est présenté au public : bijoux, amulettes, vaisselle, sculptures… Un espace est consacré à des copies des fameux moulages de corps de victimes, dans la position de leur mort, obtenus au XIXe siècle grâce à l’injection de plâtre dans les espaces creux entourés de lave qui s’étaient formés autour des cadavres décomposés.
L’exposition permet aussi de mesurer l’importance des découvertes réalisées sur le site depuis 2017, durant les travaux menés par l’archéologue Massimo Osanna et son équipe.
Après une série de dégradations, comme l’effondrement de la caserne des gladiateurs en 2010, Pompéi était en piteux état. Une honte pour un site inscrit au patrimoine mondial de l’humanité.
La fragilisation des monuments faisait craindre d’autres catastrophes. C’est dans ce contexte que Massimo Osanna a entrepris des travaux de restauration et de sécurisation du site qui lui ont permis, par la même occasion, d’étendre la zone fouillée et d’explorer un nouveau quartier de la ville, où les archéologues ont mis au jour d’excitants nouveaux trésors.
Fresques sensuelles ou cruelles
Parmi ces trouvailles, on compte plusieurs fresques extraordinaires. Admirez (en tête de cet article) ce buste d’une jeune Romaine entourée d’une couronne végétale. Elle semble vous fixer à travers un hublot temporel. De grands yeux sans doute cerclés de fard, des cheveux ondulés cachant le haut du front selon la mode de l’époque, une bouche aux lèvres légèrement retroussées, deux grosses perles blanches en guise de boucles d’oreilles… Peut-être la maîtresse de la maison où la fresque a été mise au jour ?
Une autre peinture met en scène une Néréide, nymphe marine, dont les formes pulpeuses se détachent d’un fond bleu presque fluorescent. Elle a perdu son drapé qui s’est écoulé le long de ses jambes produisant un effet de strip-tease. Sans doute la conséquence des mouvements du grand hippocampe qu’elle chevauche. Cette séduisante image devait captiver les regards des clients d’un thermopolium, une échoppe qui proposait un service de restauration rapide.
Dans un style plus érotique encore, une peinture montre le viol de Léda, reine de Sparte, par Zeus, le maître de l’Olympe, métamorphosé en cygne.
Une autre œuvre mise au jour en 2019 nous rappelle la cruauté des combats de gladiateurs, divertissement si populaire à l’époque. Il s’agit d’une fresque très réaliste, provenant d’une taverne : un gladiateur vaincu, blessé au poignet et à la poitrine, se vide de son sang qui gicle, et implore qu’on lui laisse la vie sauve. L’artiste s’est plu à montrer l’instant fatidique. Le vainqueur, debout à côté du vaincu, attend le verdict du public.
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Une mosaïque mystique
L’art de Pompéi si souvent charnel, qu’il soit érotique ou cruel, délivre parfois quelques messages plus mystiques, comme cette étonnante mosaïque découverte par l’équipe de Massimo Osanna.
C’est une sorte de tapis de pierre évoquant la légende d’Orion, un beau chasseur de la mythologie grecque. Dans l’une des versions de ce mythe, le dieu Apollon, craignant que sa sœur Artémis ne succombe au charme d’Orion, envoya sur terre un monstrueux scorpion qui tua le séduisant jeune homme.
Mais, après la mort d’Orion, les dieux lui permettent de monter dans le ciel où il prend place parmi les étoiles. C’est cette ascension que dépeint la mosaïque. Un beau message d’immortalité, à l’image de Pompéi qui renaît aujourd’hui de ses cendres !
Christian-Georges Schwentzel, Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.