Monde
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

Le prix à payer pour un monde toujours plus climatisé

Lucas Davis, University of California, Berkeley

De plus en plus de climatiseurs
De plus en plus de climatiseurs (Visual Hunt)

Alors qu’une vague de chaleur fait actuellement monter les températures au-dessus des 38 °C aux États-Unis, nous sommes bien contents de pouvoir nous soustraire à la canicule en restant à l’intérieur et en faisant fonctionner la climatisation.

Et si vous pensez que 38 °C, c’est beaucoup, attardez-vous un moment sur l’Inde et ses 51 °C ! 2016 est d’ailleurs en bonne voie pour être une nouvelle année record, avec des températures globales bien au-dessus de la moyenne. Ce qui signifie toujours plus de climatisation. Beaucoup plus de climatisation.

Dans un article récemment publié dans Proceedings of the National Academy of Science (PNAS), Paul Gertler et moi-même avons étudié l’énorme potentiel de développement de l’air climatisé. À mesure que les revenus progressent au niveau mondial et que les températures augmentent, l’achat d’appareils de climatisation croît pareillement pour atteindre des niveaux préoccupants.

En Chine, par exemple, ces ventes ont presque doublé au cours des cinq dernières années. Désormais, ce sont plus de 60 millions d’appareils de climatisation qui sont vendus annuellement dans l’Empire du Milieu, soit 8 fois plus qu’aux États-Unis.

On pourrait s’en réjouir : les gens ont davantage de moyens et la climatisation est d’un grand secours pour les jours chauds et humides. Mais cette dernière est aussi très énergivore. Dans une pièce climatisée, il faut ainsi 10 à 20 fois plus d’électricité que pour la même pièce munie d’un ventilateur.

Pour satisfaire cette demande croissante d’électricité, il va falloir investir des milliards dans les équipements ; cela signifie une hausse des émissions de CO2. Une récente étude conduite par le Berkeley National Laboratory souligne encore que climatiser requiert l’utilisation de gaz réfrigérants qui intensifient l’effet de serre.

Le cas du Mexique

Pour avoir une idée des conséquences de cette utilisation accrue de la climatisation, nous nous sommes penchés sur le cas du Mexique ; ce pays aux climats variés comprend à la fois des zones tropicales marquées par la chaleur et l’humidité, des déserts arides et des hauts plateaux. Les températures annuelles globales vont d’un maximum de 10 °C sur les hauts plateaux à un minimum de 26 °C dans la péninsule du Yucatan.

Différences des températures moyennes (exprimées ici en degrés Fahrenheit) à travers le Mexique.
Davis and Gertler, PNAS, 2015

L’équipement en climatisation varie considérablement à travers le pays : il est minoritaire dans les zones fraîches, et ce même pour les revenus les plus élevés dont le taux d’équipement ne dépasse pas les 10 %. Dans les zones au climat chaud, la situation est évidemment différente. Le taux d’équipement s’accroît en fonction des revenus, jusqu’à s’approcher les 80 %.

Revenus, climat et climatisation au Mexique. Premier graphique : les communes avec des degrés-jours de climatisation en dessous de la moyenne. Second graphique : les communes avec des degrés-jours de climatisation au-dessus de la moyenne.
Davis and Gertler, PNAS, 2015. Copyright 2015 National Academy of Sciences, USA, Author provided

À mesure que les Mexicains s’enrichissent, ils s’équipent davantage en systèmes de climatisation. Compte tenu de la hausse globale des températures, ce déploiement devrait aussi atteindre les zones plus tempérées. Selon nos calculs, dans quelques décennies seulement, presque tous les foyers situés en zones chaudes devraient être équipés.

La climatisation au niveau mondial

Nous pensons que cette tendance va s’étendre au reste du monde, et il suffit d’un rapide coup d’œil pour identifier les endroits chauds de la planète où le niveau de vie progresse. Dans notre étude, nous avons classé différents pays au regard de leur potentiel en matière d’équipement en climatisation. Nous avons établi ce potentiel en multipliant le nombre d’habitants par les « degrés-jours de climatisation » – ou cooling degree days (CDDs) – une mesure permettant d’évaluer les besoins énergétiques pour refroidir les bâtiments.

Davis and Gertler, PNAS, 2015. Copyright 2015 National Academy of Sciences, USA, Author provided

L’Inde arrive en tête. Ce pays gigantesque possède une population quatre fois plus importante que celle des États-Unis. Et il y fait extrêmement chaud. Les degrés-jours de climatisation s’y élèvent à 3 120, contre seulement 882 pour les États-Unis. Ce qui signifie que le potentiel de climatisation indien est 12 fois plus important que celui des États-Unis.

Le Mexique se classe au 12e rang ; ses degrés-jours de climatisation sont bien moindres que ceux de l’Inde, de l’Indonésie, des Philippines et de la Thaïlande. Et si le PIB par habitant de ces pays est plus bas qu’au Mexique, notre étude indique qu’il suffira de quelques décennies pour qu’ils adoptent rapidement la climatisation.

Pic de carbone

Que signifient toutes ces informations en matière d’émissions de CO2 ? Cela dépendra de la vitesse des avancées technologiques, à la fois pour les équipements de climatisation et pour la production d’électricité.

Les systèmes de climatisation utilisent moitié moins d’énergie aujourd’hui que dans les années 1990. Et les progrès en matière efficacité énergétique pourraient permettre de réduire encore bien davantage la facture d’électricité. De même, les évolutions attendues du côté de la production d’énergie grâce au solaire, à l’éolien et aux autres énergies renouvelables pourraient permettre d’atténuer ces émissions de CO2.

À Shanghai, en Chine, eau et clim’ à tous les étages.
question_everything/Flickr, CC BY-NC-ND

Pour l’économiste que je suis, le meilleur moyen de contrôle reste la taxe carbone. Une électricité plus coûteuse ralentirait l’adoption et l’usage de la climatisation, et stimulerait l’innovation dans le domaine de l’efficacité énergétique. Elle soutiendrait également le développement des énergies renouvelables.

Les pays où les revenus sont de faibles à moyens vont faire face à une demande accrue d’énergie dans les décennies à venir ; dans ce cadre, la taxe carbone est, à mes yeux, le système le plus efficace pour répondre à cette demande en ayant recours à des technologies durables.

Donner un prix au carbone permettrait aussi d’impulser des changements de comportement. Nos foyers et nos entreprises ont tendance à être très énergivores. Cela est en partie rendu possible par la gratuité des émissions de carbone. Une énergie plus coûteuse grâce à un prix du carbone donnerait davantage d’importance à la conception des bâtiments. Ombre, orientation, choix des matériaux, isolation : autant de facteurs qui agissent sur la consommation d’énergie. Et nous avons besoin d’efficacité si nous voulons rester au frais sans que la planète surchauffe…

The Conversation

Lucas Davis, Associate Professor, University of California, Berkeley

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Monde