François Allard-Huver, Celsa Paris-Sorbonne
L’autorisation du glyphosate, la molécule active du Roundup, arrive à expiration ce jeudi 30 juin en Europe et le doute plane sur son renouvellement. Depuis de nombreuses années, l’herbicide phare du groupe Monsanto déchaîne les passions et cristallise l’attention de l’opinion autour des pesticides et de leurs effets sur la santé. En mars 2015, la classification par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) du glyphosate comme « cancérogène probable » avait ravivé la polémique.
Cette décision s’est accompagnée d’une passe d’arme virulente entre les comités d’experts scientifiques du CIRC et ceux de l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA), chargée d’évaluer les risques que posent le pesticides et qui, à de multiple reprises, a réaffirmé l’absence de dangerosité du glyphosate pour l’homme. Cette prise de position a néanmoins donné aux opposants du Roundup un argument scientifique supplémentaire pour réclamer son interdiction en Europe à un moment crucial du calendrier de renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché de l’herbicide par la Commission européenne.
L’émergence du citoyen-activiste
Le dossier du glyphosate rencontre depuis longtemps une résistance importante des institutions en charge de l’évaluation des risques. Ces dernières se refusent en général à prendre en compte les critiques dont le glyphosate fait l’objet en s’appuyant bien souvent sur les études confidentielles des industriels ; les acteurs politiques tergiversent, eux, sur le retrait de ce produit largement défendu par les lobbies de l’industrie des pesticides, soucieux de défendre leurs intérêts économiques, mais également par un certain nombre d’acteurs du monde agricole, dont la FNSEA.
Si de nombreuses associations environnementales, comme Greenpeace, France Nature Environnement ou Générations futures, luttent depuis longtemps contre le Roundup, leurs campagnes n’ont jusqu’alors pas permis de peser durablement sur le débat. On note cependant l’émergence d’un nouvel acteur sur la scène qui parviendra peut-être à faire évoluer notablement le débat sur les pesticides en Europe.
La plateforme en ligne Avaaz a ainsi porté devant le Parlement européen une pétition signée par plus de 1,4 millions (et à ce jour plus de 2 millions). Loin d’être un simple phénomène isolé, cette action témoigne de la montée en puissance des grassroots, ces mouvements citoyens émergeant de la « base », par opposition à la société civile organisée et aux associations traditionnelles.
Ce qui caractérise ces nouveaux acteurs réside dans leur capacité à utiliser les moyens de pressions que sont les réseaux sociaux et les pétitions en ligne, tout en les combinant avec des stratégies de communication de communication d’influence plus classiques. Loin d’être une simple campagne sur les réseaux sociaux, l’action engagée par la plateforme de pétitions en ligne emprunte, à la communication de combat et à la communication numérique, des tactiques qui la distinguent d’actions précédentes contre les pesticides. Ces dernières parviennent à construire une boucle de rétroaction positive où chaque action renforce la stratégie globale.
Des actions ciblées et coordonnées
En soumettant aux citoyens une pétition sur le glyphosate et en s’appuyant sur le rapport du CIRC, Avaaz utilise un argument d’autorité scientifique pour justifier une mobilisation citoyenne :
Nous vous demandons d’appliquer le principe de précaution et de suspendre immédiatement l’autorisation de ce produit que l’on retrouve dans des herbicides tels que le Roundup de Monsanto. Nous vous demandons également d’inclure les travaux du Centre international de recherche contre le cancer dans votre évaluation de la sécurité du glyphosate.
Cet argument fournit au site un motif valable pour s’emparer du sujet tout en justifiant une action rapide : la pétition est ainsi vue comme une réponse légitime à une interrogation légitime des citoyens. De plus, en cristallisant le débat autour du Roundup de Monsanto, la plateforme choisit un produit et une marque devenus au fil des ans de véritables « mythes », au sens de Roland Barthes, symbolisant les dérives de l’industrie chimique et agroalimentaire.
Le principal outil de la plateforme réside dans son système de recueil de signatures électroniques sous forme de pétitions. ce dernier à l’avantage de permettre aux internautes de contribuer directement à l’action : ils peuvent « partager » leur engagement au travers des réseaux sociaux ou inviter leurs amis et leurs contacts par courriels ; ils peuvent également contribuer financièrement à la campagne par des dons. Avec un investissement minimum pour le site, la pétition circule ainsi d’internaute en internaute, chaque signataire transformant – indirectement – chacun de ses contacts en potentiel signataire. Il « recrute » pour le site tout en s’affichant comme un citoyen engagé.
Rapidement, la campagne d’Avaaz s’accompagne d’actions plus classiques comme des manifestations ou des campagnes chocs devant des lieux stratégiques, Commission européenne ou Parlement européen. Avec un nombre de personnes limité qui « représentent » potentiellement plus d’un million de signataires et quelques personnes en équipement de protection arborant des masques de « tête de mort », l’association peut espérer faire le « buzz » et alimenter les réseaux d’images chocs. Celles-ci renforcent alors positivement les actions de la plateforme, apparaissant dans les « timelines » des signataires et de leurs contacts.
L’intelligence de la plateforme consiste enfin à associer des acteurs plus classiques à ses actions pour en faire des relais et des cautions. Greenpeace, Pesticides Action Network ou bien encore Ségolène Royal sont ici remerciés comme de « fantastiques alliés et partenaires » de la campagne. Ces alliés, acteurs installés et reconnus dans l’espace public permettent, alors à Avaaz de revendiquer une légitimité similaire sur le dossier des pesticides tout en ne s’aliénant pas ces acteurs qui pourraient préempter le sujet, voire nier la légitimité de la plateforme à s’emparer de ce sujet sans expertise préalable.
Les zones d’ombre de la méthode Avaaz
La campagne d’Avaaz a semblé porter, en partie du moins, ses fruits dans la lutte contre le glyphosate : les récentes absentions de la France et de l’Allemagne lors du renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché en témoignent. Cependant, cette méthode suscite quelques interrogations sur le degré de mobilisation des citoyens autour de ce sujet.
Si une grande partie des opinions européenne et française se déclarent concernées par les risques liés aux pesticides, qui sont les citoyens signataires de la pétition, d’où viennent-ils et combien sont européens et pourraient donc à juste titre vouloir peser sur la décision de la Commission européenne ? Le site ne le dit pas.
Par ailleurs, le degré d’engagement de ces citoyens est souvent questionné par les détracteurs des pétitions en ligne et des nouvelles formes de mobilisation numérique, qui dénoncent une forme d’activisme passif et paresseux, appelé « slacktivisme » ; les photos montrant quelques dizaines de personnes devant la Commission européenne ne traduisent pas, en effet, un mouvement de masse.
Enfin, c’est la légitimité même d’Avaaz à s’emparer de ce sujet qui peut être questionnée. En lançant cette pétition sur un sujet brûlant, ne s’agit-il pas de « surfer » sur l’agenda médiatique pour recueillir « les dons généreux de plus de 86 000 Avaaziens venus du monde entier » ? La question de la transparence des plateformes de pétitions en ligne, ainsi que celle de l’utilisation et de l’accès de leurs données de campagnes et de signataires, constituera sans doute une un questionnement légitime sur ces nouvelles formes de mobilisations.
François Allard-Huver, Chercheur associé, Celsa Paris-Sorbonne
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.