« C’est un sujet qui n’a jamais été abordé », constate Clovis Cornillac, qui incarne justement un vétérinaire dans cette aimable fable campagnarde, réalisée par Julie Manoukian.
Michel Jonasz joue un des « Vétos » du film de Julie Manoukian (sortie le 1er janvier 2020), mais disparaît très vite après les premières séquences. Ce vétérinaire s’apprête à prendre une retraite bien méritée, ce qui inquiète son associé Nico, joué par Clovis Cornillac, déjà archi débordé. Mais Michel a tout prévu, il a trouvé sa remplaçante : sa « Pâquerette », sa nièce Alex, jouée par Noémie Schmidt, qui vient tout juste de terminer ses études vétérinaires, et va prendre un poste de chercheuse dans un laboratoire parisien.
Sauf qu’Alex n’a pas prévu de retourner dans le village de son enfance, dans le Morvan. « Ma vie elle est pas ici », a beau dire la demoiselle, qui n’a aucune envie de passer l’été au cul des vaches. D’autant que, considérée comme une Parisienne, elle n’est pas forcément bien accueillie, les débuts sont chaotiques, l’apprentissage difficile, et les machos pas sympa. « Le premier a priori d’un éleveur quand il voit arriver une jeune femme n’est pas forcément facile, mais elles font leur place et on leur fait confiance », assure Julie Manoukian (fille d’André).
Pour son premier long-métrage en tant que réalisatrice, elle tenait absolument à Cornillac dans le rôle de Nico : « C’était Clovis ou personne, il fallait que ce soit lui ». Quant à Noémie Schmidt, la jeune actrice s’est investie jusqu’à pratiquer un vêlage, et joue naturellement cette jeune demoiselle toute menue qui va finalement faire ses preuves, apprivoiser les villageois, comme ce renard qui s’approche de la maison.
« Les Vétos » est ainsi une aimable fable campagnarde, une douce comédie, du cinéma simple, qui évoque la transmission, et dans lequel quelques animaux (rat, renard, vache, chien…) tiennent presque des seconds rôles. « En fait, ça c’est passé plus facilement que ce que j’avais pu en douter », assure la réalisatrice, « On dit toujours au cinéma qu’il ne faut pas travailler avec des enfants et des animaux, en fait il faut travailler avec le bon dresseur déjà, Muriel Bec. Muriel m’a impliqué dans le film avant le tournage, et on avait fait un travail en amont pour ne pas écrire des choses qui seraient impossibles à tourner ».
Rencontre avec Clovis Cornillac et la réalisatrice Julie Manoukian, lors de l’avant-première du film à l’UGC Nancy.
Clovis Cornillac : « Il y a une envie de vivre mieux »
Ce vétérinaire que vous incarnez est un personnage comme vous les aimez bien, terrien, solide, c’est ce qui vous a fait accepter ce film ?
Clovis Cornillac : Je les aime bien, ça c’est sûr, mais il n’y a pas de calcul de ma part. De temps en temps, il s’avère que c’est des univers qui me touchent ou qui me parlent, et puis probablement qu’il y a quelque chose chez moi qui fait que ça paraît, pour les réalisateurs et les réalisatrices, cohérent, je dois dégager quelque chose qui a à voir avec ça plus qu’un aristocrate du XVIIème. La première chose qui m’a interpellé c’est le titre, immédiatement ça a allumé quelque chose, c’était un sujet qui n’a jamais été abordé, ça paraissait tellement évident après coup. Le scénario ressemblait vraiment au film, il y avait en même temps des choses graves et cet aspect très doux, très à hauteur d’homme, je pense que les gens vont se reconnaitre et se l’approprier, on fait des films pour les partager avec le plus grand nombre.
Pour ce rôle, vous avez appris les gestes du vétérinaire ?
C’est le travail qu’on fait sur les métiers qu’on va aborder, on essaie de rencontrer les professionnels, de bosser avec eux, d’essayer de comprendre comment ça fonctionne, on a suivi Noémie et moi des vétérinaires qui nous ont guidé pendant tout le film. L’idée c’est de ne pas trahir la profession, en plus le film s’appelle « Les Vétos », la fonction dans le film est très importante. Et c’est une des grandes joies de notre métier de pouvoir aborder mille métiers, et donc de rencontrer les gens.
On sent votre personnage passionné, surimpliqué dans ses actions de tous les jours…
Les vétos, notamment à la campagne, sont forcément investis à 200%, ils sont peu, ils ont de grands territoires, et tu sais que tu ne fais pas beaucoup d’argent, c’est lié vraiment à une profession de foi. Ils sont serviables 24 heures sur 24, toute l’année. En plus de soigner les animaux, ils soignent les gens d’une certaine manière parce que le rapport est très fort des humains avec les animaux, avec ceux qui en vivent comme les éleveurs, ou des gens esseulés en campagne, le seul qui fait le lien social c’est le vétérinaire. Une des choses qui m’a frappé, à laquelle je n’avais pas réellement pensé, c’est qu’ils sont pour nous tous le premier rempart aux épidémies.
« L’animal, c’est un aspirateur à émotions »
Le film montre aussi la difficulté de vivre parfois à la campagne, notamment dans une zone enclavée comme le Morvan, tout est loin ?
Tout est loin parce que tout est parti. Typiquement, le Morvan, le Gers ou les Vosges, tout est loin parce que tout le monde part, c’et le cercle infernal de la désertification. Je suis très optimiste de nature, et je pense qu’il y aura un retour, qui ne viendra pas par la terre, mais par des citadins, avec le télétravail, le prix de l’immobilier dans les villes, la qualité de vie, le principe aussi d’avoir plusieurs métiers dans une vie, sans parler de l’écologie et de toutes ces choses dont on a pris conscience. Je crois qu’il y a une envie de vivre mieux, quand même, avec la terre, avec les animaux, ça va forcément réouvrir des écoles, faire revenir des médecins… Le Morvan, le Gers, les Vosges, le Larzac, ce sont des territoires merveilleux, c’est fou qu’on n’y vive pas.
Comment s’est déroulé le tournage avec les animaux ?
J’ai fait pas mal de films avec des animaux, j’ai pas de souci avec, j’aime bien ça. La seule chose qui est sûre, c’est que la prise qui sera bonne pour l’animal, il vaut mieux que tu sois bon parce que c’est celle-là qui sera montée. Tu ne vas pas refaire une prise parce que tu n’as pas été bon et que l’animal était parfait, tu ne l’auras jamais deux fois, ça fait partie du deal de jouer avec des animaux, c’est plutôt chouette. Le public ne regarde que l’animal, c’est un aspirateur à émotions, l’idée c’est plutôt de l’accompagner, et que la scène raconte bien ce qui a à raconter.
En tant que réalisateur, vous allez faire l’adaptation de « Couleurs de l’incendie », le roman de Pierre Lemaître ?
Absolument. D’abord, je vais terminer mon prochain long-métrage, « C’est magnifique », qui est en montage, j’ai pas mal d’effets spéciaux dedans donc il va être un peu long à sortir. C’est une comédie originale qui traite de la quête d’identité, mais un peu décalée, un peu ailleurs. Et ensuite, « Les couleurs de l’incendie », Lemaître je suis fan, j’adore sa littérature, donc quand on m’a proposé la réalisation du film, évidemment ça me parle, j’espère un grand cinéma épique, historique, et populaire.
Julie Manoukian : « On voulait rendre hommage à ce métier »
Après « Petit paysan », « Au nom de la Terre », et maintenant votre film, « Les Vétos », on a l’impression que le cinéma français redécouvre la campagne française ?
Julie Manoukian : « Petit paysan », on n’est pas dans la même catégorie, c’est vraiment un film d’auteur alors que nous on est un peu plus populaire, un peu plus grand public ; on ne savait même pas qu’il existait quand on a commencé à réfléchir à cette histoire. Par contre, c’est troublant d’arriver après « Au nom de la Terre » et de voir à quel point il y a un appel vers ces histoires-là que je n’avais pas anticipé. J’en ai été la première surprise, ce n’est pas pour ça que j’ai écrit ce film. On est tous très contents qu’un film beaucoup plus sombre que le nôtre appelle les gens, malgré la dureté du propos.
Géographiquement, pourquoi avoir choisi le Morvan pour y tourner cette histoire ?
Il nous fallait un coin de nature idyllique, on était à peu près sûrs de trouver les extérieurs qu’on voulait dans le Parc Naturel et ça a été le cas, après il fallait trouver le bon village, et quand on a trouvé Mhère, le village qu’on a visité en dernier, on a décidé de poser nos bagages là-bas.
Comment est venue cette idée de scénario ?
Comme plein de petites filles, j’avais rêvé d’être vétérinaire pendant une courte période, en étant très loin de la réalité que j’ai découvert en préparant le film, c’est un métier rêvé pour beaucoup d’enfants. Je suis arrivée au cinéma par l’écriture, j’ai rencontré le producteur Yves Marmion sur un autre projet, et il y a trois ans il m’a proposé ce sujet. Il n’y avait qu’une toile de fond sur laquelle il fallait trouver une histoire, et je suis tombée amoureuse de ce que j’ai découvert. Il y a beaucoup de vétos qui écrivent très bien sur leur métier, j’ai trouvé la même chose que chez les médecins, la passion, le dévouement, la difficulté des conditions de travail, l’humour, et à partir de là l’histoire s’est écrite assez vite.
Effectivement, il y a une partie comédie alors que le contexte est assez dur…
Oui, la dureté de ce métier, les vétos donnent la vie et la mort, il fallait que ça existe parce qu’on voulait rendre hommage à ce métier ; en même temps, pour moi, c’était très important de faire une comédie et d’offrir un petit moment de joie, tout simplement parce que j’en ai besoin et apparemment je ne suis pas la seule.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« Les Vétos », un film de Julie Manoukian, avec Clovis Cornillac et Noémie Schmidt (sortie le 1er janvier 2020).