Pierre Victoria, Sciences Po Rennes
La pollution de l’air intérieur est restée relativement méconnue jusqu’au début des années 2000, contrairement à celle de l’air extérieur, réglementée depuis des décennies et davantage médiatisée. Or, dans les climats tempérés, nous passons en moyenne 85 % du temps dans des environnements clos – logements, écoles, bureaux, transports… –, où nous pouvons être exposés à de nombreux polluants.
La question de la qualité de l’air intérieur est ainsi devenue une préoccupation majeure de santé publique partout dans le monde.
L’air – intérieur ou extérieur – est estimé pollué lorsqu’un agent chimique, physique ou biologique vient modifier les caractéristiques naturelles de l’atmosphère. Parmi les polluants les plus nocifs pour la santé, les matières particulaires (elles sont formées d’un mélange complexe de particules solides et liquides de substances organiques et minérales en suspension dans l’air : sulfates, nitrates, ammoniac, chlorure de sodium, carbone, matières minérales et eau), le monoxyde de carbone, l’ozone, le dioxyde d’azote et le dioxyde de soufre.
Outre les apports de l’air extérieur, les sources potentielles de pollution dans les bâtiments sont nombreuses : appareils à combustion, matériaux de construction, produits d’entretien, peintures, tabagisme, acariens, etc.
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Un coût sanitaire et socio-économique exorbitant
La pollution de l’air est l’un des principaux risques environnementaux mondiaux et le 4e plus gros facteur de risque de mortalité dans le monde. Elle est à l’origine de maladies respiratoires et cardiovasculaires, de cancers, d’allergies et d’asthme, mais aussi indirectement de baisses de la productivité (confort, bien-être au travail…).
Jusqu’à 8 fois plus pollué que l’air extérieur, l’air intérieur a entraîné 3,8 millions de décès prématurés dans le monde en 2016. En France, l’OQAI juge sa qualité mauvaise dans 60 % des logements et note que 34 % des locaux tertiaires (soit un bureau sur deux et trois salles de classe sur cinq) ne sont pas équipés d’un dispositif de ventilation et de traitement de l’air.
Les conséquences peuvent être lourdes pour la collectivité qui doit supporter un coût de quelque 19 milliards d’euros entre les décès prématurés, la prise en charge des soins, les pertes de productivité au travail… Parmi les publics les plus exposés, les enfants et leurs 40 respirations/minute (contre 16 pour un adulte) motivent à traiter en priorité la qualité de l’air intérieur des espaces clos accueillant un jeune public.
Une étude, réalisée par Elabe pour le groupe Veolia et publiée ce 5 juin à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement portant cette année sur la pollution de l’air, a été conduite auprès de milliers de citoyens en France, en Belgique et à Shanghai. Il s’agit d’évaluer l’état des connaissances du grand public sur la question de la pollution de l’air intérieur. Voici les principaux enseignements de cette enquête.
Prise de conscience et manque d’informations
Si 90 % des Français considèrent que leur état de santé est impacté par la qualité de l’air qu’ils respirent à leur domicile, dans les transports et les bâtiments publics, la plupart évaluent mal le risque sanitaire et sous-estiment la pollution de l’air intérieur, notamment dans les lieux privés.
Ainsi, 52 % sont « surpris » (dont 14 % « très surpris ») d’apprendre que nous sommes davantage exposés à la pollution de l’air à l’intérieur de notre logement et des bâtiments que nous fréquentons qu’à l’extérieur. Voire même trois sur quatre estiment que l’air qu’ils respirent à l’intérieur de leur logement est de bonne qualité. A contrario, la qualité de l’air intérieur des lieux ouverts au public ou de passage divise ou interroge : moins d’un Français sur deux y juge l’air de bonne qualité.
Le sentiment de manquer d’informations prévaut en matière de prévention, de mesure de la qualité de l’air intérieur, de solutions et d’impact sanitaire : moins d’un Français sur deux considère être bien informé sur les gestes à adopter. Sur le terrain des solutions de mesure et de traitement, 67 % se disent mal informés sur les moyens disponibles et près de deux sur cinq ignorent purement et simplement l’existence des capteurs de mesure et des appareils de ventilation et de filtration qui se déclenchent automatiquement en fonction de la qualité de l’air intérieur.
Des résultats assez comparables à ceux de la Belgique, où 60 % des sondés sont surpris (dont 16 % très surpris) d’apprendre que l’exposition à la pollution de l’air intérieur est plus importante. Ainsi, trois Belges sur quatre estiment que l’air qu’ils respirent à l’intérieur de leur logement est de bonne qualité. Une évaluation significativement plus positive que pour l’air extérieur, jugé de mauvaise qualité par un sur deux au niveau du pays et par plus d’un sur trois pour leur quartier ou leur commune (contre deux Français sur cinq au niveau du pays et moins de trois sur dix au niveau de la commune).
À Shanghai, les résidents établissent majoritairement un lien entre leur santé et la qualité de l’air qu’ils respirent, à l’extérieur comme à l’intérieur de leur domicile ou des bâtiments qu’ils fréquentent. Ils sont 95 % à considérer que leur état de santé est impacté par la qualité de l’air qu’ils respirent chez eux, dans les transports et les bâtiments ouverts au public.
Pourtant, de la conscience de l’enjeu à la bonne information, il y a un pas qui n’est pas encore franchi. S’ils déclarent en majorité avoir connaissance des gestes de prévention (76 %), de la qualité de l’air intérieur des lieux qu’ils fréquentent (55 %) et des moyens disponibles pour l’améliorer (64 %), la plupart des sondés évaluent mal le risque sanitaire et sous-estiment la pollution de l’air intérieur, dans les lieux privés comme dans les bâtiments publics.
Comment améliorer la situation ?
L’OMS estime que le coût de la pollution de l’air pourrait s’élever à plus de 1 % du PIB mondial en 2060. Un défi sanitaire qui requiert l’implication de tous les acteurs de la qualité de l’air intérieur – de la régulation, de l’information et des solutions – comme le confirme une grande majorité des sondés dans les pays couverts par l’étude Elabe/Veolia.
En France, les ministères de l’Environnement et de la Santé ont lancé en 2013 le plan d’actions sur la qualité de l’air intérieur. Avec, entre autres temps forts, la mise en œuvre d’une surveillance dans certains établissements publics, dont les écoles et les crèches. Depuis le 1er janvier 2018, elle est devenue obligatoire dans les crèches et les écoles maternelles et élémentaires. Elle sera généralisée à tous les établissements de ce type à partir du 1er janvier 2023.
Si l’ensemble des acteurs, publics et privés, à tous les niveaux jusqu’au plus local ont un rôle à jouer en matière d’amélioration de la qualité de l’air intérieur, les Français considèrent à 45 % (selon l’étude Elabe/Veolia) que l’État a un rôle « très important » à jouer et que la réglementation est, pour 85 % d’entre eux, un levier « important » ou « très important ».
Pierre Victoria, Professeur associé en développement durable, Sciences Po Rennes
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.