Point-de-vue. « Défiscaliser les dons pour Notre Dame n’a pas beaucoup de sens et présente des inconvénients » assure l’ancien secrétaire d’Etat au Budget, Christian Eckert.
par Christian Eckert
Rappelons d’abord quelques faits peu contestables :
- L’État, propriétaire du bâtiment, est son propre assureur. C’est un choix assumé, qui a traversé le temps et les différents Gouvernements. Les entreprises souscrivent des assurances pour leurs chantiers. La presse indique que les risques couverts ici seraient plafonnés à de faibles montants, et gageons de toutes façons que les responsabilités vont être difficiles à identifier.
- L’État estime que la rénovation de la cathédrale est une priorité. C’est peu contesté et je partage cette position. C’est un élément clé de notre patrimoine et un facteur d’attractivité majeur. Sa « fonction » religieuse n’est pas négligeable, mais cet aspect ne justifie pas à lui seul le caractère prioritaire de la réfection.
- A ce stade, les délais et les montants restent inconnus. Différentes options sont possibles, pour le choix des matériaux, des techniques et de l’architecture. Ces débats divisent les spécialistes dont je ne fais pas partie. Cela me semble normal et finira par être arbitré après je l’espère un travail d’analyse le plus objectif possible.
L’État ayant décidé et déclaré avec force qu’il souhaitait vite reconstruire, il n’est pas anormal qu’il sollicite la générosité de tous. Il aura de toutes les façons à payer la dépense, avec l’argent des contribuables de toute nature. Tous les dons réduiront la charge collective à inscrire dans les dépenses du budget de l’État.
Par contre, pourquoi défiscaliser ces dons ?
Imaginons un don de 100 Euros défiscalisé à 75%. En dépensant ces 100 Euros pour les travaux, l’État en encaissera 100 venus du donateur et celui-ci en déduira 75 de ses impôts. Le bilan est simple : les 100 euros de travaux auront été payés par 75 venus de L’État et 25 du donateur. En fait, c’est exactement comme si le donateur avait donné 25 Euros sans avantage fiscal….
Quels sont les inconvénients ?
Imaginons que la générosité conduise à collecter dès 2019 la somme de 2 Milliards d’Euros défiscalisés à 75%. Dès le budget de 2020 il manquera de fait 1.5 Milliard de recettes par le biais des réductions d’impôts… Je doute que 2 Milliards soient dépensés dès 2020. La dépense pourra sans aucun doute être étalée…. On m’objectera que la défiscalisation ne sera pas toujours demandée… Alors pourquoi la prévoir ? Une question risque d’ailleurs de se poser si le montant des dons était supérieur au coût de l’opération.
Il faut aussi se souvenir que, sauf modification législative, l’avantage fiscal est une réduction (et non un crédit) d’impôts. Une réduction d’impôts se déduit des impôts à payer et ne profite donc qu’à ceux qui sont imposables. Un crédit d’impôt vient de même en déduction des impôts de ceux qui en paient, mais est en outre payé à ceux qui ne sont pas imposables. Les foyers non imposables n’auront donc ici droit à aucun avantage fiscal, contrairement aux autres… Le foyer non imposable qui fera un don de 30 Euros sera en fait plus généreux que le foyer imposable qui donnera 100 Euros. Allez comprendre…
Pourquoi cette défiscalisation n’est pas semblable aux autres ?
Lorsque l’État accorde une réduction ou un crédit d’impôt pour les restos du cœur, des emplois à domicile etc., ce crédit d’impôt incite à verser au profit d’actions menées par d’autres que lui. En fait l’État abonde, AU PROFIT D’UN TIERS, les sommes consacrées à une action qu’il veut encourager. Prenons l’exemple des restos : un donateur de 100 Euros se verra remboursé de 75 par L’État. Le bilan sera qu’en réalité, les restos auront reçu 100, 25 du donateur et 75 de L’État. En fait, L’État subventionne les restos du triple des dons qu’ils reçoivent. D’où l’intérêt… Sur l’exemple de Notre Dame, l’État se subventionne lui-même…. Je n’y vois donc aucun intérêt.
Bien sûr, les dons pour cette indispensable reconstruction sont bienvenus et allègeront d’autant la charge publique. Mais les défiscaliser n’a aucun intérêt et présente quelques inconvénients.